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Quand nous aurons mangé la planète | album d'Alain SERRES & Silvia BONANNI
Éd. Rue du Monde | juin 2009 - 14€
Quand nous aurons mangé la planète est une variation sur l'adresse des Indiens Cree aux colons nord-américains: «Quand le dernier arbre aura été abattu et le dernier poisson pêché, alors vous vous rendrez compte que l'argent ne se mange pas». Les richesses environnementales que nous sommes désormais en mesure de détruire sont illustrées une par une (banquise, forêts, animaux) dans la première partie de l'ouvrage. Viennent ensuite les conséquences de cet usage inconsidéré: les êtres humains sont devenus des Midas, incapables de manger l'argent et l'or qui sont tout ce qui leur reste. La situation – traitée graphiquement de manière moins catastrophiste que dans le texte – est dépassée par la présence possible d'un enfant «aux poches remplies de graines de vie».
Silvia Bonanni tire parti de l'organisation thématique du propos pour construire des doubles pages dont chacune a sa couleur et son ambiance visuelle. Elle travaille avec le collage, qui lui permet de faire entrer dans l'album des objets bruts, éléments tantôt naturels, tantôt artificiels, sans logique apparente. Le feuillage d'un arbre peut être figuré avec un tissu ou la carte routière d'une campagne, tandis que les billes de bois sont faites de bois. Le résultat consiste en de grands tableaux sans relief et d'apparence naïve, qui donnent une impression d'étrangeté.
Le propos d'Alain Serres répond-il à l'ambition affichée en quatrième de couverture, à savoir écrire «une histoire qui donne envie aux enfants de faire tourner la planète un peu plus rond»? On a du mal à comprendre comment cet objet très beau, bâti autour d'un paradoxe exprimé avec une grande force, peut être aussi œuvre didactique. Ou bien il faudra l'accompagner, pour expliquer aux plus petits comment l'être humain peut menacer d'engloutir les dernières glaces de cette banquise où il ne figure pas. Et qui est ce «nous» mystérieux et culpabilisant qui mange ainsi la planète…
Aude Vidal (juillet 2009)
30/08/2009 | Lien permanent
UNE PLANÈTE DANS LA TÊTE
Roman dérangeant
de Sally GARDNER
Traduit de l’anglais par Catherine Gibert
Éd. Gallimard Jeunesse, sept. 2013
254 pages – 14,90 €
Dans un monde totalitaire où règne la Mère Patrie et ses lois d’exclusion, un jeune garçon survit tant bien que mal avec son grand-père, dans la Zone 7, la zone des déshérités, des inadaptés et des opposants silencieux au régime.
Standish est dyslexique, considéré comme idiot par tous sauf par Hector, son seul ami, le fils de ses voisins, échouésaux marges de la société, pour mauvaise attitude envers la Mère Patrie.
Cet endroit délaissé et désolé est dominé par un étrange bâtiment entouré de grillages. Un jour, Hector va chercher leur ballon de l’autre côté des barrières. Peu après, il disparaît…
Standish est prêt à tout pour retrouver son ami et dénoncer le mensonge d’État, entretenu par les dirigeants pour maintenir le peuple dans la soumission.
Avec ses chapitres très courts et son écriture heurtée, ponctuée d’exclamations (« merde et remerde »), Une planète dans la tête est un étrange roman qui parle tout à la fois de la résistance à la tyrannie et de la différence et du handicap. Comme de nombreux romans, il adopte le point de vue de son narrateur « différent », voire défaillant et immerge le lecteur dans un mode de pensée déstabilisant, parfois même dérangeant.
D’autant qu’on ne sortira pas plus de ce monde clos et désespérant que du cerveau décalé de Standish. Le récit de Sally Gardner appelle à la discussion autant sur le fond que sur la forme. Après cette lecture un rien éprouvante, on ne saurait trop vous recommander une promenade dans la nature et un échange avec des personnes bienveillantes.
Ariane Tapinos (octobre 2013)
22/11/2013 | Lien permanent
LA PLANÈTE DES 7 DORMANTS
roman de science-fiction
de Gaël AYMON
Éd. Nathan, juin 2018, 272 pages - 16,95 €
Un vaisseau spatial se pose en catastrophe sur une planète inconnue. Au sein de son équipe, réduite à 11 personnes, les tensions sont à leur comble. Au fil des mois de navigations, les difficultés se sont accumulées, des mutineries ont éclaté et l’autorité de la capitaine Melae est battue en brèche. La découverte sur cette planète non répertoriée, de sept dalles identiques sur lesquelles sont gravées les silhouettes, mâle et femelle de bipèdes, traces manifestes d’une civilisation humanoïde ancienne, redonne un peu de lustre à l’expédition et à sa capitaine. Mais l’apparition d’un peuple primitif qui les prend pour des divinités les met devant un dilemme insondable : user de cette méprise ou les renseigner sur leur nature réelle ? Quelle option mettra l’équipage hors de danger ?
D’autant qu’après la découverte du corps sans vie de la seconde lieutenante, Nansen, l’une des plus farouches adversaires de la capitaine, la tension au sein de l’équipe a redoublée. Et la place que Melae accorde alors à Danco, l’empathe linguiste et anthropologue, issu de la planète Amadahyee, n’est pas du goût de tous. Elle lui demande d’utiliser ses capacités à sonder les émotions et ses connaissances en linguistique pour à la fois découvrir qui est responsable de la mort de Nansen et communiquer avec les habitants de cette planète.
Dans la pure tradition de Star Trek, Gaël Aymon provoque une détonante rencontre entre peuples de l’espace et invente, avec beaucoup de talent, un vaisseau organique dont les rouages sont comme les parties d’un corps vivant au service de son équipage.
Mais c’est à Pierre Boule, l’auteur du célébrissime roman La Planète des singes, qu’il emprunte l’un des éléments clefs de son récit que l’on ne révèlera pas ici. Impossible, en effet, d’en dire plus sans déflorer l’intrigue ; ce qui compte c’est que ça marche ! Le lecteur se ronge les sangs aux côtés de ces aventuriers d’un nouveau genre (dans tous les sens du terme) et s’interroge sur la nature de ce peuple qu’il découvre et apprend à connaître en même temps qu’eux. Et il a tout loisir de s’interroger sur ce qui fonde une civilisation et sur son rapport à l’étranger…
Deux choses restent à signaler : Gaël Aymon se joue des stéréotypes de genre et distribue les fonctions et les qualités de manière totalement non conventionnelle et ce n’est pas la dernière des qualités de ce beau roman d’aventure spatiales (mais qui aurait pu se passer au fond d’une région encore inexplorée de la terre). Enfin, la couverture de La planète des 7 dormants est magnifique et évoque à merveille ce voyage intersidéral.
Ariane Tapinos (juillet 2018)
A Lire sur notre blog, la critique des Contes d’un autre genre, de Gaël Aymon, éditions Talents Hauts, 2011.
15/07/2018 | Lien permanent
Céleste, ma planète | roman de Thimothée de FOMBELLE
Illustré par Julie RICOSSÉ
Éd. Gallimard jeunesse, coll. Folio junior | février 2009 | 96 pp. - 4 €
A peine arrivée, Céleste a disparu... Le narrateur, un garçon de quatorze ans qui vit seul au cœur du monde déshumanisé de !ndustry, l’entreprise pour laquelle travaille sa mère, se met à sa recherche. Il retrouve Céleste, tout en haut de la tour parking, au milieu des effluves des gaz d’échappement. Cachée par ses parents, elle est malade. Son visage et son corps sont couverts de taches. Et ces taches, il les reconnaît, lui qui passe le plus clair de ses heures de solitude à dessiner des cartes du monde : elles représentent les endroits de la terre qui sont en danger. Amazonie, Antarctique, océans asséchés…
Céleste porte sur elle les stigmates de la terre maltraitée par les hommes qui l’habitent et l’exploitent. Alors Céleste disparaît de nouveau. C’est que les dirigeants d’!ndustry n’ont pas intérêt à ce que soient connus les ravages que leur compagnie fait subir à l’environnement. Mais par amour, et aussi par lucidité, le jeune garçon entreprend de sauver Céleste et dévoiler aux hommes la menace de la fin de leurs univers.
Dans cette courte fable philosophique et écologiste, on retrouve le talent de raconteur d’histoires de Timothée de Fombelle, découvert dans le merveilleux Tobie Lolness et ses préoccupations pour l’environnement. Contée ici à la manière d’un récit d’anticipation, l’histoire de Céleste qui est l’histoire de la terre, laisse, comme dans les aventures de Tobie, une large place à la poésie. Entre rêve et cauchemar, Timotée de Fombelle nous invite à réfléchir au mal que nous faisons à la nature qui nous entoure, aux risques que nous prenons pour l’avenir, mais ce faisant, il nous entraîne dans une lecture délicate et lumineuse. Une lecture respectueuse des enfants auxquels elle se destine, ces «jeunes lecteurs» un peu délaissés par l’édition jeunesse ces derniers temps…
Ariane Tapinos (mars 2009)
12/03/2009 | Lien permanent
10 façons d’assassiner notre planète | nouvelles
Nouvelles réunies et présentées par Alain GROUSSET
Éd. Flammarion, coll. Tribal, mars 2007, 142 pages – 7€
De la glaciation à l'invasion des déchets, voici dix nouvelles par dix grands auteurs de science-fiction et autant de scénarios pour en finir avec la planète Terre! Réchauffement planétaire, surpopulation, menace nucléaire, cet opus évoque les grandes menaces qui pèsent sur notre planète.
17/01/2010 | Lien permanent
SUR QUELLE PLANÈTE BLEUE AI-JE ATERRI ?
documentaire
de Anne ALTER et Hervé LE TREUT & Lucie MAILLOT (illustrations)
Éd. Le Pommier, coll. Sur les épaules des savants, octobre 2015 – 13,90€
Ce documentaire explore notre planète à travers le climat, la mer, la terre, l'atmosphère, les nuages, les hommes, les animaux, ... Ce qu'il s'est passé, ce qu'il se passe et ce qu'il se passera certainement sur la terre ; l'origine des événements climatiques ; les corrélations entre les différents éléments et toutes ces questions qui restent pour le moment sans réponse... Les auteurs nous expliquent comment fonctionne tout ça, ce à quoi on peut s'attendre, les phénomènes qui s'accentuent et les conséquences sur notre environnement. Cependant, ils pointent également du doigt les choses que l'on ne sait pas encore, par exemple « On sait que le réchauffement climatique risque de faire du mal, mais on ne sait pas encore jusqu'à quel point. », ou encore « Aujourd'hui les nuages refroidissent l'atmosphère le jour et la réchauffe la nuit. Mais demain, quand notre planète sera plus chaude, quel rôle vont-ils jouer ? ».
Ce documentaire divisé en 7 chapitres, explique de façon claire et précise les différents éléments et phénomènes liés à l'environnement et au climat de la terre, tout en amenant le lecteur à se poser des questions essentielles et à ouvrir le débat sur les risques que pourraient engendrer les changements climatiques de plus en plus importants. Chaque chapitre est introduit par une sorte de poème tout en rime, dont chaque vers et repris et expliqué par la suite. C'est Hervé Le Treut, climatologue, membre de l'Académie des sciences et un des moteurs de la conférence de Paris en décembre 2015 (COP21), qui est à l'origine de chacune des conclusions.
Ici on ne nous propose pas de solutions miracles, les auteurs mettent les choses à plat afin de nous faire réaliser les enjeux et prendre pleinement conscience de ce qu'il se passe du point de vue climatique. La dernière phrase du livre, au ton grave sans être alarmiste, termine de nous impliquer dans l'avenir de notre planète, « La vie est un don, un vrai trésor entre nos main et nous devons le garder intact ».
Chloé Boulanger (novembre 2015)
01/11/2015 | Lien permanent
CES ENFANTS QUI NE VIENNENT PAS D'UNE AUTRE PLANÈTE : AUTISME & DIFFÉRENCES
A l’occasion de la rencontre que nous organisons à la librairie avec l’association La Main à l’Oreille, autour de l’autisme et de l’accueil de la différence, nous avons souhaité proposer une bibliographie d’ouvrages de littérature jeunesse qui abordent ces questions.
Depuis la sortie, en 1988, du film de Barry Levinson, Rain Man, l’autisme n’a cessé d’être un sujet de fiction. Déclaré « grande cause nationale » en 2012, il est également entré dans le débat public, et le traitement et la prise en charge des enfants autistes ont fait l’objet de violentes polémiques largement relayées par les médias.
Maladie, handicap, différence… Selon la forme d’autisme dont on parle, l’autisme toucherait aujourd’hui un enfant sur cent (contre un enfant sur dix mille dans les années 50). Plus que le développement réel de l’autisme c’est la définition qu’on en donne qui explique cette explosion des diagnostics.
Rien d’étonnant dans ces conditions à ce que l’autisme fasse son entrée dans la littérature jeunesse. Pourtant, à y regarder de plus près, si l’autiste de haut niveau séduit l’écrivain, peu d’ouvrages présentent des autistes profonds. Les compétences particulières – alliées à leurs difficultés propres – de ces autistes (souvent atteints du syndrome d'Asperger) en font de passionnants personnages littéraires capables notamment de résoudre les énigmes les plus sophistiquées, mais peu de livres abordent les difficultés, non immédiatement utilisables pour le dénouement de l’intrigue, des enfants autistes ou de le leur entourage.
Du moins dans le roman… Les albums sont bien moins nombreux, ce qui est étonnant au regard de l'importance de l'autisme dans le débat public ces dernières années mais peu surprenant si on compare cette quasi invisibilité à celle dans laquelle sont tenues toutes les formes de handicaps. Les albums, cependant, mettent en scène des enfants en difficulté et non des petits génies atypiques.
Comme chaque fois que nous effectuons ce travail, cette bibliographie n’a pas vocation à être exhaustive mais à proposer une sélection d’ouvrages : romans, documentaires et albums.
Nous avons voulu l’élargir à des livres, albums et romans, qui parlent d’enfants différents, un peu décalés, qui ne sont (probablement) pas autistes, mais qui ont ici toute leur place, puisque ces enfants comme les autistes, ne viennent pas d’une autre planète…
Récemment, dans sa chronique sur France culture, la psychanalyste Caroline Eliacheff* disait que « l’autisme, quand il s’exprime par le refus d’entendre l’autre, n’est pas l’apanage des autistes ». Souhaitons que cet éclairage bibliographique en littérature jeunesse contribue à mieux entendre l’autre.
Notre bibliographie est accessible en quatre parties :
Romans ici
Albums ici
Documentaires ici
D’autres enfants, d’autres différences ici
Elle est complétée par des critiques de certains des livres mentionnés (il suffit de suivre les liens indiqués) et les textes entre guillemets reproduisent des informations données par les éditeurs.
* Cette chronique portait notamment sur le passionnant essai de Catherine Vannier, écrit en collaboration avec Bernadette Costa-Prades : Autisme : Comment rendre les parents fous !, paru aux éditions Albin Michel.
04/04/2014 | Lien permanent
L'Égypte des Pharaons & Les Planètes | documentaires de la collection MANGORAMA
Les Planètes
Delphine GODART, ill. Hélène GEORGES | Éd. Mango, coll. Mangorama | oct. 2008 | 8,50 €
L’Égypte des Pharaons
Delphine GODART, ill. Élodie BALANDRAS | Éd. Mango, coll. Mangorama | oct. 2008 | 8,50 €
À gauche, une histoire qui présente le sujet. Ici : une visite au planétarium avec un guide qui garde la tête dans les étoiles, et une balade non autorisée au bord du Nil, avec Ahmosé, le plus jeune des enfants de Pharaon. À droite, un documentaire qui se déploie au fur et à mesure que l’histoire avance et éclaire et développe certains points. Ici : le système solaire, la course du soleil, la lune, les expéditions lunaires et les satellites, pour Les Planètes ; et l’Égypte, le Nil, le Pharaon, sa famille, l’écriture, les dieux, la vie après la mort et les cultes, pour L’Égypte des Pharaons. Ces deux parties tout carton, se rejoignent dans un poster central qui se déplie.
Le système est amusant et, à y regarder de plus près, assez opérant. On peut avancer sur les deux fronts – fiction et documentaire – en même temps. Les histoires ne sont pas passionnantes et sont plus des prétextes aux explications de la partie documentaire, mais cette dernière est bien faite, dans un registre ultra simple. Encore que… on se demande à quels enfants de quatre ans l’éditeur pense pouvoir expliquer que «certaines planètes sont telluriques»… Mais sans doute en est-il de l’édition comme des librairies : les enfants qu’on y croise sont tous très éveillés !
Ariane Tapinos (février 2009)
À lire dans la même collection :
L’Aéroport, Les Châteaux forts, Le Corps humain, Les Dinosaures, La Ferme (à paraître), Les Saisons (à paraître)
15/02/2009 | Lien permanent
Le Grand Livre pour sauver la planète | documentaire de Brigitte BEGUE et Anne-Marie THOMAZEAU
Illustrations de PEF
Direction éditoriale Alain Serres
Avec la participation de Yann Arthus-Bertrand, Allain Bougrain-Dubourg, Jean-Louis Étienne, Jean-Marie Pelt et Aminata Traoré
éd. Rue du Monde | juin 2009 | 128 pp. - 22,50€
Tout savoir sur l'écologie, le retour du retour. Le Grand Livre pour sauver la planète n'est le premier ni de sa collection (chaque question de société a son Grand Livre chez Rue du Monde), ni du concept «bouquin encyclopédique et de sensibilisation des 8-13 ans aux questions d'écologie». Le résultat est encore une fois impressionnant, riche non seulement en illustrations (les gags de Pef et des photos en noir et blanc dont on sent que certaines acceptent mal de quitter leurs couleurs originelles), mais aussi en informations, dans le texte principal et dans ses à-côté (les «bonnes nouvelles», «alertes», autres notes marginales et grands témoins dont l'entretien clôt chaque séquence de deux chapitres). Le livre, pour foisonnant qu'il soit, respire agréablement, sa langue et sa mise en page sont claires.
La progression est assez classique, qui met d'abord en avant de grands dossier environnementaux (eau, forêt, air et pollutions, climat, déchets). Chacun est abordé depuis son versant scientifique, avec force chiffres, avant de devenir un thème de société. Toujours la même hésitation au sujet de l'écologie, discipline scientifique devenue pensée politique. Une approche sociale (l'indispensable solidarité avec nos 6 milliards de colocataires de la planète Terre) vient compléter l'ouvrage, qui s'achève sur des réponses (les éco-gestes, l'engagement associatif) à la malheureuse question: «mais qu'est-ce qu'on peut faire? ». Air connu donc, et ici Rue du Monde ne rompt pas avec les bonnes habitudes.
L'une d'elles consiste à dépolitiser les questions écologiques, pour permettre aux plus jeunes (dont le devoir sera de «faire passer le message» aux générations perdues, comme le souhaite Allain Bougrain-Dubourg) d'intégrer la vulgate écologique du moment. D'emblée l'écologie politique est désavouée, avec la mention de «slogans inscrits sur des tracts ou des banderoles, comme c'est le cas depuis plus de trente ans». Les théoriciens de l'écologie, de Serge Moscovici à René Dumont, en passant par Jacques Ellul et André Gorz, apprécieraient de voir leur œuvre réduite à des «slogans». Plus loin, crédit est fait aux associations et partis qui se sont emparés de la question écologique d'avoir sensibilisé les auteurs des politiques publiques en la matière. Ouf.
Mais cette incohérence n'est ni la première ni la dernière, et le livre fourmille de propos modalisés («les consommateurs que nous sommes sont toujours un peu responsables»), de réserves («la France se contente de conseiller aux agriculteurs et aux jardiniers d'être prudents en manipulant [les pesticides]») immédiatement suivies de cris de victoires («les coccinelles et les fleurs sauvages vont se réjouir!») ou surmontées par un optimisme de bon aloi («c'est déjà ça!» pour le Grenelle, «c'est mieux que rien» pour l'évaluation a minima des substances chimiques présentes sur les marchés européens – ou projet REACH). C'est le royaume des mais, néanmoins et malgré tout, avec une hésitation constante à propos de la tête sur laquelle faire porter le chapeau.
Manque de «discipline», de «responsabilité», «d'efforts» de la part des individu-e-s? Ou emprise des entreprises sur la vie publique? Si certaines responsabilités sont nommément citées (l'exploitant de forêts boréales et fabricant de Kleenex Kimberly-Clark), d'autres restent tues (ah! ce drame de l'exploitation des bois tropicaux africains dont il serait indélicat d'accuser le papetier français Bolloré, patron de presse et ami du président de la République). Et toujours l'on tourne autour du pot: les hommes d'affaires, les industriels, l'organisation du commerce, les grands groupes… ne seraient-ils pas des substituts au gros mot capitalisme? Aminata Traoré crache le morceau et avoue la faute au «système économique libéral». Enfin! On avait fini par imaginer que les problèmes de sous-alimentation au Sud n'étaient qu'un problème de production agricole…
On apprécie quelques partis pas si facile à prendre, comme les arguments en faveur du nucléaire qui n'arrivent pas à balancer ceux qui s'y opposent, ou la relativisation de l'impact climatique de la Chine, quand un-e Chinois-e émet encore deux fois moins de gaz à effet de serre qu'un-e Français-e. Il aurait été plus facile de se contenter de la condamnation des 4x4, des OGM et de l'inaction de gouvernements abstraits.
Mais d'autres prises de position auront de quoi faire hurler les écolos: «la bio ne peut répondre aux besoins alimentaires de toute la planète», le TGV est plus écologique que le train, la décroissance est un mouvement réactionnaire qui ne propose que du moins. Car si ce Grand Livre semble dépolitisé, il est néanmoins porteur des valeurs productivistes qui irriguent toujours notre pensée. Progressiste: «depuis six millions d'années les hommes ne cessent ainsi d'améliorer les conditions de vie»… On demande à voir, entre détérioration de l'environnement et régression sociale, si le mouvement de l'Humanité a toujours été celui d'un progrès égal. Et si, fruit de ce progrès, le grille-pain est vraiment aussi indispensable à une vie confortable que le lave-linge! Techniciste: tour à tour le dessalement de l'eau de mer, les avions solaires et les vaccins pour neutraliser la flore intestinale des vaches et les empêcher d'émettre du méthane sont présentés comme des solutions qui permettront (dans un futur imprécis) de résoudre nos petits soucis écologiques tout en ne changeant rien (à notre sur-consommation de viande, par exemple). Pourtant l'aventure racontée ici du pot catalytique, dont les bienfaits se sont trouvés noyés dans l'usage accru de la bagnole, aurait pu aider à remettre en question le recours si pratique à la solution technique.
L'ouvrage ne se déprend pas non plus d'une confusion entre l'être humain et son milieu, dans une anthropomorphisation de la nature, qui dit merci à la dame (les rivières sont contentes, les coccinelles ravies) tandis que la planète qu'il s'agit de sauver signifie aussi bien, dans une métonymie qui commence à devenir fatigante, «milieu de vie de l'être humain», «conditions de la vie humaine dans ce milieu», parfois même «Humanité». D'où le rappel de Jean-Louis Étienne: «c'est l'homme qu'il faut sauver, pas la planète!».
Les auteures de Rue du Monde, sous la direction d'Alain Serres, ne sortent pas des sentiers battus de l'écologie à l'usage des jeunes générations et nous livrent un nouveau bouquin ambitieux, bien fichu et, malgré ses grandes qualités, limité. Leurs hésitations et leurs incohérences ne leur sont toutefois pas propres, et viennent plutôt d'une pensée qui domine toujours en matière d'écologie et qu'il faudra un jour cesser de transmettre aux plus jeunes…
Aude Vidal (juillet 2009)
30/08/2009 | Lien permanent
LETTRE D’INFORMATION # 3 | nov.-décembre 2009
Animations / Rencontres
• Vendredi 20 novembre à 18h
Dévernissage, grignotage et rencontre signature avec RÉGIS LEJONC
Pour ceux qui n'en auraient pas encore profité, une dernière occasion d'apprécier l'exposition Quelles Couleurs! kakémonos et originaux de Régis Lejonc, pour son livre paru aux éditions Thierry Magnier.
• Samedi 21 novembre de 14h30 à 17h
Rencontre - signature
avec DOMINIQUE DE SAINT MARS,
auteure de la série des Max et Lilli, aux éditions Calligram.
• Samedi 12 décembre de 17h à 19h
Découvrez l'Antiquité inattendue avec CATHY ROUSSET et CLAUDE AZIZA
Présentation du volume 1 de Murena, la célèbre BD de Dufaux & Delaby traduite en latin par nos deux invités (éd. Dargaud) ; et des deux derniers livres de Claude Aziza: Le Péplum, un mauvais genre (éd. Klincksieck 2009) et Le Guide de l'Antiquité imaginaire (éd. Belles Lettres 2008). La rencontre sera illustrée par un montage vidéo d'extraits de films inattendus et un peu loufoques… autour de l'Antiquité.
Infos pratiques
Pour faciliter vos courses de fin d'année…
• Novembre: ouverture tous les lundis après-midi de 14h à 19h
• Et en décembre: la librairie sera ouverte
les lundis 7, 14 & 21 décembre de 10h30 à 19h
et les dimanches 13 & 20 de 11h à 13h et de 14h à 18h.
Fermeture exceptionnelle samedi 2 janvier 2010.
Suites, séries etc.
Pour une nouvelle liste de «Suites»,
de romans «à suivre»
et autres séries remarquables
à compléter dare dare c'est ICI.
Dernières critiques
Les avis de lecture publiés sur le blog depuis cet été.
ALBUMS
Le Son des couleurs de Jimmy LIAO, éd. Bayard images / Le Mur. Mon enfance derrière le rideau de fer de Peter SIS, éd. Grasset jeunesse / Les Heureux Parents de Laëtitia BOURGET et Emmanuelle HOUDART, éd. Thierry Magnier / C'est ma place d'Emile JADOUL, éd. Pastel / Un jour en ville de Julien ROUX, éd. Thierry Magnier / Le Problème avec les lapins d’Emily GRAVETT, éd. Kaleidoscope / L'Été de Garmann de Stian HOLE, éd. Albin Michel / Quand nous aurons mangé la planète d'Alain SERRES & Silvia BONANNI, éd. Rue du Monde / Yin la jalouse de Shen QIFENG & BOBI + BOBI, éd. HongFei
PREMIÈRE LECTURE
Mademoiselle Zazie a trop d'amoureux de Thierry LENAIN (texte) et Delphine DURAND (ill.), éd. Nathan
ROMAN JEUNES LECTEURS
Rose de Colas GUTMAN, ed. L’École des loisirs, coll. Neuf / Le Monde de Lenny de Kate BANKS Éd. Thierry Magnier, coll. Romans
ROMANS ADOS
Breaking the Wall de Claire GRATIAS, éd. Syros, coll. Rat noir / Genesis de Bernard BECKETT, éd. Gallimard jeunesse, Hors série / Les Enfants rats de Françoise JAY, éd. Plon jeunesse / Villa des Oliviers d'Anne VANTAL, éd. Seuil Jeunesse, coll. Karactère(s)
DOCUMENTAIRES
Abd el-Kader sage et résistant, roman et documentaire de Guy JIMENES, ill. Erwan FAGES, éd. Oskar jeunesse, coll. Personnages de l'Histoire / Le Grand Livre pour sauver la planète de Brigitte BEGUE et Anne-Marie THOMAZEA, illustrations de PEF, direction éditoriale Alain Serres, éd. Rue du Monde / Demain le monde de Philippe GODARD, ill. Elizabeth FERTÉ et Vincent ODIN, éd. De La Martinière
BIBLIOGRAPHIE
Biblio chute du Mur de Berlin 1989 / 2009… Que tombent les murs
19/11/2009 | Lien permanent