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06/11/2009

Le Mur | album de Peter SIS

mur SIS.gifMon enfance derrière le rideau de fer
éd. Grasset jeunesse | oct. 2007 | 16,90€

Avec Le Mur, Peter Sís conclut une (provisoire?) trilogie du souvenir, entamée avec Les Trois Clés d'or de Prague en 1994 et poursuivie avec Tibet. Les Secrets d'une boîte rouge en 1998. Trois livres qui cernent le rapport de l'auteur à son pays natal, la Tchécoslovaquie, et à la ville où il a grandi, Prague. Trois livres qui s'inscrivent, en même temps qu'ils lui échappent, dans l'histoire récente du pays - le communisme, la Guerre froide, le Bloc de l'Est... Trois livres qui explorent les espaces de liberté que l'auteur a su se ménager avant son exil américain dans les années 80.
Dès les pages de garde, on repère immédiatement l'emplacement du Bloc de l'Est sur le planisphère. Par un premier effet de loupe, on discerne la place de la Tchécoslovaquie. Loupe qui obéit strictement aux lois de la cartographie, ce qui n'est pas le cas d'une seconde loupe, qui  nous montre Prague cette fois. Un rond au milieu indique simplement: «Chez moi».


Dès l'ouverture, certains des motifs visuels et des codes graphiques de l'album sont  posés: le type de dessin, la couleur rouge. Significativement, le cercle formé par Prague apparaît en blanc, comme si la ville formait un îlot de résistance. D'autre part, les loupes sont placées en dehors du continent européen et surtout loin du bloc communiste, au beau milieu de la mer. Ceci, bien entendu, pour des raisons liées à l'organisation spatiale de la double-page. Mais l'effet produit est clairement celui d'une extraction au Bloc communiste. Par ailleurs, sur le planisphère, Prague forme un œil, situé à la fois au milieu de la Tchécoslovaquie mais aussi de la page. Le programme du livre est ainsi affirmé visuellement: puissance du regard, œil ouvert qui traduit la vigilance face à l'uniformité de la masse rouge, écrasante, qui cerne le pays.

STRUCTURE DE L'ALBUM
Des doubles-pages dépeignent le quotidien, et notamment ce qui est OBLIGATOIRE (écrit ainsi, en gras et en capitales). La structure très composée de ces pages, formées de rectangles superposés qui viennent à leur tour former un rectangle plus grand, positionné bien au milieu de la page et cerné d'un blanc tournant – cette structure va évoluer et en quelque sorte se libérer au fur et à mesure de l'aspiration de la Tchécoslovaquie à la liberté et de la conscience peu à peu en éveil de Peter. Des double-pages à la composition plus libre, au nombre de six, prennent le pas vers la fin du livre sur les autres pages. Elles affirment l'aspiration, puis l'accession, à la liberté. Des double-pages extraites des carnets de l'auteur, sont au nombre de trois. Ici le texte est prédominant. Il est placé dans un cadre qui occupe l'essentiel de la double-page. Ce cadre est lui-même entouré par de multiples cadres plus petits, collages de dessins, d'affiches et de photos – essentiellement des portraits.

LA COULEUR
Le rouge est disséminé partout et investit sous forme de motifs (drapeaux, étoiles, faucilles et marteaux, foulards, fusées, etc) les dessins en noirs et blanc. Par extension, le rouge (le Parti) domine tous les aspects de la vie du pays, les paysages, l'espace urbain, mais aussi l'intérieur des maisons. Le rouge codifie, à l'aide de motifs qui reviennent rituellement, la vie de tous les jours. Même l'espace privé tend à disparaître, colonisé par les motifs rouges témoignant de l'emprise du Parti jusque dans l'intimité des gens. Dans Le Mur, le rouge «clignote»: de constants rappels de couleur sont disséminés dans les images et sollicitent l'œil par flashes multiples. Le bleu et le jaune des dessins d'enfants de Peter s'opposent au rouge. Liberté qui ne réside pas seulement dans les couleurs employées, mais aussi dans la forme, qui privilégie les courbes aux lignes droites. Le jaune vif du dessin d'enfant, sur un trottoir, attire le regard en premier. On sent bien qu'il s'agit là d'une forme naturelle de résistance dont l'enfant témoigne dès sa naissance. Tendance qui est pourtant très vite encadrée, au sens strict: les couleurs demeurent, mais le dessin se conforme à l'art officiel.

Vient enfin le triomphe du polychrome sur le monochrome. La couleur unique sert à l'auteur à cerner un monde uniforme, où le dogme s'impose à la pensée individuelle. Peter Sis oppose à cet univers un monde coloré où la multiplication des formes et des couleurs témoigne de la liberté nouvelle qui saisit le pays jusqu'aux événements d'août 1968: des formes douces et colorées, des couleurs aux harmonies contrastée, qui tranchent les unes sur les autres. Expression même de l'insouciance, de l'hédonisme, du rêve. Figuration d'un paysage mental dans lequel Peter vagabonde librement. Il en va de même dans les deux pages où les jeunes peignent une fresque colorée sur un mur que les autorités repeignent obstinément en blanc. À nouveau, la liberté est «encadrée», enfermée dans une série de rectangles qui composent une architecture très rigide, dont seules la forme et la couleur se posent en contrepoint. Toute la séquence peut d'ailleurs être lue comme une conquête de l'abstraction. Le dernier dessin nous présente une fresque peinte à la volée et se réduisant à une forme colorée zébrant le mur. «Tout ce qui vient de l'Ouest paraît coloré et désirable». Cette page est essentielle dans la formulation d'une prise de conscience qui se fait jour chez l'enfant. Les activités clandestines sont reléguées au sous-sol, dans un réseau de galeries qui métaphorisent les méandres de la pensée. Cette prise de conscience est alimentée par le halo qui coiffe l'immeuble et se présente comme une sorte de petite cosmogonie où le rock tient une place cruciale. Par sa forme, le halo s'oppose à la forme dure et rectangulaire de l'immeuble. La sphère des centres d'intérêt interdits, organisée en harmonie circulaire et colorée, défie la rectitude et la monotonie de la construction. Le spirituel triomphe du matériel, l'évanescence de la pesanteur.

d'après Boris Barbiéri, mai 2008
Pour lire l'analyse intégrale, avec images à l'appui C'EST ICI

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