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08/03/2010

Les Orphelines | pièce de théâtre de Marion AUBERT

Orphelines.jpgÉd. Actes Sud Papiers, coll. Heyoka Jeunesse | nov. 2009 - 10€

«MONSIEUR
(au public)
Il y a des pays, lorsqu’une petite fille vient au monde, les mamans sont tout étonnées. Il y a des pays, lorsqu’un petit garçon vient au monde, les papas courent dans la rue. Ils achètent du champagne rosé. Ils font cuire une dinde. Il y a des pays, lorsqu’un petit garçon vient au monde, on tue le veau gras. On pend partout des lampions. Des guirlandes. Les parents sont tellement heureux. Ils dansent. Ils font les fous. Ils remercient Dieu. Les mamans sont fières de leurs petits garçon. C’est une grâce d’avoir un garçon dans certains pays. Les garçons sont tellement précieux. Il y a des pays, lorsqu’une petite fille naît, c’est un malheur. La ville devient toute grise. Le cœur de la maman tombe. Le papa est très en colère contre la maman parce qu’elle ne sait faire que des filles. Vous imaginez, vous? C’est un peu comme si c’était un monstre, une petite fille, dans ces pays-là. Il y a des pays, lorsqu’une petite fille vient au monde, on la tue. On ne veut pas d’elle. Le village ne veut pas d’une petit fille pareille.
(À Violaine:)
“Moi, je suis là pour mener une enquête sur les petites filles disparues”, je dis comme ça.
»

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27/04/2009

La Joue bleue | roman d'Hélène LEROY

9782916238371.jpgIllustré par Sylvie SERPRIX
Éd. Talents Hauts, coll. Livres et égaux | mars 2009 | 34 p. - 6,90 €

À l’aube de l’Humanité, Homo Sacrin Sacrin, qui a déjà conquis son territoire, décide de prendre femme. Mais dès les premiers temps de cette cohabitation, les désirs de l’un sont incompatibles avec les rêves de l’autre. Femme voudrait peindre et apprendre les langues de ses voisins, Homo Sacrin Sacrin, veut qu’elle lui prépare ses repas et se tiennent coite. Femme propose qu’ensemble, ils explorent les environs, Homo Sacrin Sacrin lui impose de rester dans leur caverne, à l’abri du monde. Femme se dresse devant Homo Sacrin Sacrin… il lui envoie un coup de poing dans la joue, et «à partir de ce moment-là, Femme a la joue bleue». Homo Sacrin Sacrin se fait soudain tendre et de cette nuit naît l’enfant qui raconte l’histoire. Et l’histoire, on la connaît… De coups en excuses, le couple s’enlise dans la violence, celle de l’homme sur la femme. Celle de la peur de l’enfant pour sa mère et pour lui-même. Un jour qu’Homo Sacrin Sacrin a été plus loin encore dans l’humiliation, Femme s’enfuit avec son enfant. Elle cherche, sans succès, de l’aide auprès de ceux qui l’entourent et finit par trouver refuge chez les Sava Sava…

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05/04/2009

Champion | album de Gilles RAPAPORT

champion.jpgÉd. Circonflexe | octobre 2005 | 13 €

Voici l'histoire de Young Perez, qui conquit à vingt ans le titre de champion du monde de boxe, catégorie poids mouche, à Paris en 1931. Venu de Tunis, alors protectorat français, pour poursuivre sa carrière de boxeur professionnel en France, il livra 133 combats, en gagna 92 et en perdit 26. Le 21 septembre 1943, il est arrêté comme juif et emprisonné à Drancy, d'où il part le 7 octobre 1943 dans le convoi n°60 en direction d'Auschwitz. Il est abattu le 22 janvier 1945, pendant la Marche de la mort.

Champion nous raconte un bref, mais pourtant interminable moment, au cœur de ces quinze mois de détention de Young Perez, celui d'un combat sur la grande place de Buna à Auschwitz le 31 octobre 1943. Un étrange et abominable combat contre un «géant nazi… un tueur de squelettes». Un combat pour l'unique plaisir pervers de ses geôliers. Un duel qui, comme la vie au camp, ne répond plus à aucune des règles qui régissent la vie entre les hommes. Une lutte à mort entre un détenu juif poids mouche et son bourreau nazi poids lourd. Un combat, enfin, où tous les coups sont permis et encouragés. Alors qu'il se bat pour sa vie, Young repense à son existence d'avant, au soleil de Tunis, à l'amour et à la peur de sa mère. À cette vie de gloire qui, croyait-il, le protégerait de la haine. Alors qu'il se bat pour sa dignité, Gilles Rapaport s'adresse à lui et aux spectateurs impuissants de cet ignoble corps à corps, au-delà des années, des souffrances et des morts: «Frappe, Young! Frappe! Frappe! Frappe pour Michel, gazé à 2 ans! Frappe pour Adèle, assassinée à 90 ans! Je t'en supplie, Young, frappe-le encore. Que tes poings vengent les morts! Que ces coups effacent leurs souffrances!» Cette supplique, plus que tout le reste, atteint le cœur du lecteur et heurte sa conscience. Elle lui rappelle la réalité humaine de la Shoah: les enfants et les vieillards assassinés, mais aussi la violence qui appelle la violence. Ces mots sont dérangeants dans un «livre pour enfants», mais pourtant comment faire autrement? Comment, et pourquoi surtout, leur cacher que parfois la souffrance appelle la vengeance, au moins son expression dans les mots, vaine consolation. Cette question est au cœur de cet extraordinaire album, qui en cela va plus loin encore que le très beau Grand-père du même auteur. Cette question, c'est celle de la frontière entre la violence «légitime» – celle du combat de boxe lorsqu'il obéit aux règles de l'art, à la loi des hommes – et la violence effarante, perverse et gratuite qui ne répond plus qu'au plaisir de ceux qui l'exercent. Violences qui sont toutes deux le fait d'êtres appartenant à la même espèce humaine.

Il y aurait tant à dire sur ce livre : ses couleurs de nuit sans fin éclaboussées de neige, les traits de pinceaux épais qui deviennent tâches quand les coups explosent, la scansion et la beauté du texte… qu'en rendre compte en quelques lignes est déjà une trahison. C'est donc, comme tous les autres dont Comptines vous propose la lecture, mais plus encore que tous les autres : un livre à lire absolument.

par Ariane Tapinos (11 février 2006)

PS : À lire également, du même auteur : Grand-père (éd. Circonflexe, juillet 2005, 13€) et sur le destin d'un autre boxeur déporté, le très beau et très dur roman de Jean-Jacques Grieff, Le Ring de la mort (éd. L'École des Loisirs, coll. Médium, mars 2003, 207 pages - 7,30€)

25/02/2009

Le Maître du rêve | roman de Barry JOSBERG

9782081202696.jpgTraduit de l’australien par Luc Rigoureau | Éd. Flammarion, coll. Tribal | oct. 2008, 308 pp. | 12 €
Michael est gros. Vraiment trop gros. Pour cette raison, il est le souffre-douleur des élèves de tous les établissements scolaires où il passe. Et des écoles, il en a connu plein, depuis la mort de sa mère. Son père, incapable d’affronter la «différence» de son fils, son mal-être surtout, est toujours enclin à fuir (dans l’alcool aussi), à la recherche d’un improbable monde meilleur.

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06/12/2008

L'Île | album d'Armin GREDER

île-greder.gifTraduit de l'allemand par Gaëlle Toquin et Claude Dagail
Éd. La Compagnie créative | octobre 2005 | 15€

Un jour, un homme venu sur un radeau de fortune débarque sur l'île. Les habitants l'observent et s'interrogent sur le sort à lui réserver. Certains, les plus nombreux, veulent le renvoyer par où il est venu et le jeter à la mer. Le pêcheur s'interpose en leur expliquant que cela reviendrait à le condamner à une mort certaine. Les habitants de l'île décident finalement de le recueillir et le conduisent dans une étable dont ils ferment la porte à clef. Satisfaits, ils retournent à leurs occupations. Jusqu'au jour où l'étranger s'étant échappé arrive dans les rues du village et déclenche, par sa seule présence, une émeute. L'homme parvient pourtant à leur faire comprendre qu'il a faim et le pêcheur à convaincre les îliens qu'il faut le nourrir, faute de quoi il mourra tout aussi sûrement qu'abandonné à l'océan. Mais les habitants de l'île résistent et expliquent «nous ne pouvons tout de même pas nourrir toutes les bouches qui nous arrivent». Le pêcheur a alors une idée: il faut employer l'étranger pour qu'il gagne sa pitance, tout en le payant bien moins qu'un autochtone. Mais là encore la méfiance l'emporte et, doutant des capacités de l'inconnu, les habitants décident finalement de lui donner les restes destinés aux cochons et de l'enfermer de nouveau dans l'étable. Seulement maintenant ils savent que l'homme est dans leur village, ils pensent à lui sans cesse, sa présence invisible sert à effrayer les enfants pas sages, et c'est comme s'il était partout. La peur grandit peu à peu et les habitants de l'île décident que l'homme doit partir. Ils le jettent à la mer sur son embarcation de fortune. Ils brûlent le bateau du pêcheur qui les avait convaincus d'accueillir l'étranger et ils tuent tous les oiseaux témoins de leur méprisable forfait.

La parabole est un peu appuyée mais très efficace. On pense bien sûr à ces africains rejetés sur les plages des côtes européennes. On pense aussi à tous les discours haineux qui entretiennent la peur de l'autre et justifient le pire. Des discours qui portent haut ses derniers temps, comme dans les années les plus obscures de l'histoire récente.

Les dessins sont très beaux, très sombres. La manière qu'ils ont parfois de contredire le texte est saisissante, comme lorsque les habitants de l'île «recueillent» l'inconnu alors qu'on les voit le pousser de leurs fourches vers l'étable où ils l'enfermeront. Le contraste aussi entre l'homme maigre et nu et les îliens gros et ventripotents, engoncés dans leurs habits gris, est très parlant. À signaler également la mise en page: fonds blancs sur lesquels se découpent les dessins au crayon, ou plusieurs vignettes sur fonds de couleur qui occupent le centre de la page et racontent un moment de l'histoire. Par son contenu comme par sa forme, L'île est un album difficile et rare qui tranche dans la production de la fin de l'année 2005.

Ariane Tapinos
(première publication de l'article: 11 février 2006)