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05/04/2009

Champion | album de Gilles RAPAPORT

champion.jpgÉd. Circonflexe | octobre 2005 | 13 €

Voici l'histoire de Young Perez, qui conquit à vingt ans le titre de champion du monde de boxe, catégorie poids mouche, à Paris en 1931. Venu de Tunis, alors protectorat français, pour poursuivre sa carrière de boxeur professionnel en France, il livra 133 combats, en gagna 92 et en perdit 26. Le 21 septembre 1943, il est arrêté comme juif et emprisonné à Drancy, d'où il part le 7 octobre 1943 dans le convoi n°60 en direction d'Auschwitz. Il est abattu le 22 janvier 1945, pendant la Marche de la mort.

Champion nous raconte un bref, mais pourtant interminable moment, au cœur de ces quinze mois de détention de Young Perez, celui d'un combat sur la grande place de Buna à Auschwitz le 31 octobre 1943. Un étrange et abominable combat contre un «géant nazi… un tueur de squelettes». Un combat pour l'unique plaisir pervers de ses geôliers. Un duel qui, comme la vie au camp, ne répond plus à aucune des règles qui régissent la vie entre les hommes. Une lutte à mort entre un détenu juif poids mouche et son bourreau nazi poids lourd. Un combat, enfin, où tous les coups sont permis et encouragés. Alors qu'il se bat pour sa vie, Young repense à son existence d'avant, au soleil de Tunis, à l'amour et à la peur de sa mère. À cette vie de gloire qui, croyait-il, le protégerait de la haine. Alors qu'il se bat pour sa dignité, Gilles Rapaport s'adresse à lui et aux spectateurs impuissants de cet ignoble corps à corps, au-delà des années, des souffrances et des morts: «Frappe, Young! Frappe! Frappe! Frappe pour Michel, gazé à 2 ans! Frappe pour Adèle, assassinée à 90 ans! Je t'en supplie, Young, frappe-le encore. Que tes poings vengent les morts! Que ces coups effacent leurs souffrances!» Cette supplique, plus que tout le reste, atteint le cœur du lecteur et heurte sa conscience. Elle lui rappelle la réalité humaine de la Shoah: les enfants et les vieillards assassinés, mais aussi la violence qui appelle la violence. Ces mots sont dérangeants dans un «livre pour enfants», mais pourtant comment faire autrement? Comment, et pourquoi surtout, leur cacher que parfois la souffrance appelle la vengeance, au moins son expression dans les mots, vaine consolation. Cette question est au cœur de cet extraordinaire album, qui en cela va plus loin encore que le très beau Grand-père du même auteur. Cette question, c'est celle de la frontière entre la violence «légitime» – celle du combat de boxe lorsqu'il obéit aux règles de l'art, à la loi des hommes – et la violence effarante, perverse et gratuite qui ne répond plus qu'au plaisir de ceux qui l'exercent. Violences qui sont toutes deux le fait d'êtres appartenant à la même espèce humaine.

Il y aurait tant à dire sur ce livre : ses couleurs de nuit sans fin éclaboussées de neige, les traits de pinceaux épais qui deviennent tâches quand les coups explosent, la scansion et la beauté du texte… qu'en rendre compte en quelques lignes est déjà une trahison. C'est donc, comme tous les autres dont Comptines vous propose la lecture, mais plus encore que tous les autres : un livre à lire absolument.

par Ariane Tapinos (11 février 2006)

PS : À lire également, du même auteur : Grand-père (éd. Circonflexe, juillet 2005, 13€) et sur le destin d'un autre boxeur déporté, le très beau et très dur roman de Jean-Jacques Grieff, Le Ring de la mort (éd. L'École des Loisirs, coll. Médium, mars 2003, 207 pages - 7,30€)

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