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08/03/2010

Les Orphelines | pièce de théâtre de Marion AUBERT

Orphelines.jpgÉd. Actes Sud Papiers, coll. Heyoka Jeunesse | nov. 2009 - 10€

«MONSIEUR
(au public)
Il y a des pays, lorsqu’une petite fille vient au monde, les mamans sont tout étonnées. Il y a des pays, lorsqu’un petit garçon vient au monde, les papas courent dans la rue. Ils achètent du champagne rosé. Ils font cuire une dinde. Il y a des pays, lorsqu’un petit garçon vient au monde, on tue le veau gras. On pend partout des lampions. Des guirlandes. Les parents sont tellement heureux. Ils dansent. Ils font les fous. Ils remercient Dieu. Les mamans sont fières de leurs petits garçon. C’est une grâce d’avoir un garçon dans certains pays. Les garçons sont tellement précieux. Il y a des pays, lorsqu’une petite fille naît, c’est un malheur. La ville devient toute grise. Le cœur de la maman tombe. Le papa est très en colère contre la maman parce qu’elle ne sait faire que des filles. Vous imaginez, vous? C’est un peu comme si c’était un monstre, une petite fille, dans ces pays-là. Il y a des pays, lorsqu’une petite fille vient au monde, on la tue. On ne veut pas d’elle. Le village ne veut pas d’une petit fille pareille.
(À Violaine:)
“Moi, je suis là pour mener une enquête sur les petites filles disparues”, je dis comme ça.
»


«Il y a des pays, lorsqu’une petite fille vient au monde, on la tue»… Un grand écrivain, Monsieur, mène une enquête sur ces petites filles disparues, celles qui sont tuées à la naissance. Il est fait prisonnier dans un monde imaginaire, par des fillettes menées par Violaine. Auprès d’elles, il va apprendre la dure vie de ces enfants et des femmes qui sont leurs mères.
Avec trois personnages et quelques marionnettes, Marion Aubert nous entraîne dans un univers entre réalité et cauchemar, dans des limbes où vivent ces enfants non-nées ou tuées à la naissance. Avec ce procédé, elle réussit à parler de ce – de celles –  qui n’existe(nt) pas. En creux, elle dit la violence et la haine qui mènent à ces crimes répétés, renouvelés dans l’indifférence quasi-générale. Ne serait cet écrivain, ce Monsieur, qui s’est donné la tâche d’enquêter sur ce crime silencieux, personne ne parlerait de ces absentes. En rendant une voix à ces petites filles, incarnées par des marionnettes, elle trouve le moyen de s’adresser à de jeunes enfants et de leur dire des choses graves, des choses d’adultes qui les concernent pourtant. Elle leur parle d’amour et de haine, de désespoir et peut-être un peu d’espoir aussi.

L’écriture de Marion Aubert a un ton particulier, une musique fine et délicate où se mêlent humour et gravité dans une langue ciselée, précise, riche. C’est un régal d’intelligence et un bonheur de lecture. Il faut se plonger dans cet univers un peu baroque et décalé qui dit mieux le monde tel qu’il est que beaucoup de textes plus collés au réel. Il faut lire à voix haute (ou, encore mieux, aller au théâtre*) ce texte splendide qui parle aux enfants en empruntant leurs mots, avec cet mélange de naïveté et de lucidité qui les caractérise. Il faut écouter le Diablon et la Diablonne présenter l’histoire de Violaine et de ses petites amies et savourer leur dernier dialogue, en forme d’épilogue:

«La Diablonne
Est-ce que la pâte à petite fille est moins bonne?
Le Diablon
Moi, je me demande s’il y a un défaut dans le moule à petites filles.
La Diablonne
Moi, je me demande si le moule à petite fille c’est un moule à petit garçon cassé.
Le Diablon
Moi, je dis: “Non, non. Il y a deux moules différents
”»

Ariane Tapinos (février 2010)

* À Alès, les 7 & 8 avril 2010 et à Rouen les 20, 21 & 22 avril 2010, mise en scène Johanny Bert
Spectacle coproduit par La Grande Ourse - Scène Conventionnée Jeunes Publics (Villeneuve-Les-Maguelone)

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