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Après moi, Hiroshima | roman de Franck Pavloff
[Zulma 2002] éd. Gallimard, coll. La Bibliothèque Textes & documents
2003, 222 pp. - 5,80 €
«Derrière lui, le monde s’enfuit, Allemagne, Québec, Mozambique. Le métro s’arrête-t-il toujours à Belleville? Son dos plie sous le poids de ceux qui ont tissé son histoire avant de disparaître, sa mère, Pazardjik, Maria, Eva. Un legs de mille ans d’âge. Comment s’affranchir de cette mémoire gigogne? Tamiki a fait le choix contraire. Il prend la mémoire à bras le corps pour lui faire rendre gorge. Qui a raison?» (p. 121). Après un premier chapitre décrivant de manière saisissante l’explosion de la bombe vécue par un adolescent japonais, ce roman touffu et labyrinthique est à la fois un polar nerveux, une quête du père et de la vérité, et une réflexion sans concession sur l’instrumentalisation de la mémoire et la ligne de démarcation entre la justice et la vengeance.
Le personnage central (Rudie Pazardjik, héro malgré lui d’une bataille qui le dépasse) découvre peu à peu la véritable personnalité de son père décédé en Allemagne de l’Est, quelques années avant la chute du mur de Berlin. Il se trouve embarqué à son corps défendant dans les activités de ce mystérieux père (Peter Pazardjik, physicien de renom) et ses relations avec Tadashi Tamiki, survivant d’Hiroshima et fondateur d’un réseau «d’Hibakusha» (mot qui désigne au Japon les rescapés des explosions atomiques). Ce réseau, initié sur des principes humanistes, a peu à peu dévié, développant un «bras armé» qui a tout de l’organisation terroriste. Ainsi Tamiki édicte des maximes, d’abord: «Retrouver les disparus, faire vivre leur mémoire, c’est notre devoir», puis il complète par «La survie des générations à venir dépend de notre volonté à honorer les victimes» et finalement cet «honneur» à rendre aux victimes (d’Hiroshima et de toutes les violences étatiques…) se traduit par un arrêt de mort sans procès pour leurs bourreaux, réels ou supposés…
Bien qu’il traite peu du Japon ou des conséquences directes de la bombe, ce roman a sa place dans cette bibliographie car il ouvre la réflexion vers des perspectives à la fois contemporaines et universelles: le droit, la justice, la mémoire. Un regret toutefois: bien que j’en comprenne la nécessité littéraire, je ne peux m’empêcher d’être dérangée par l’emploi du terme hibakusha pour désigner des terroristes...
Corinne Chiaradia
(première publication: juillet 2005)
20/03/2011 | Lien permanent
Chain mail | roman de Hiroshi ISHIZAKI
Traduit du japonais par Yukari Maeda et Patrick Honnoré
Éd. du Rocher, coll. Jeunesse | avril 2009 | 250 pp. - 13€
Tout commence quand Sawako, une adolescente mal dans sa peau, élève en 5e du très chic collège Kioï, reçoit un e-mail au sujet intrigant: «Sawako, tu viens jouer avec moi dans un univers fictif?» Du fond de son ennui et de son mal-être, cette proposition rassemble l’aventure et l’évasion propres à lui faire oublier un quotidien déprimant. Elle répond positivement à Yukari, l'instigatrice du jeu baptisé «Chain mail», qui lui propose d’endosser le rôle de l’un des personnages de cette fiction virtuelle, qu’il s’agira d’animer et de construire au fil d'échanges de mail. L’histoire – une jeune fille suivie et harcelée par un garçon demande de l’aide à un ami et à une femme policière – requiert quatre personnages, parmi lesquels Yukari s’est réservé celui du harceleur, Testurô Tsunoda. Sawako opte pour l’héroïne et lui donne son propre nom. Deux autres adolescentes, Mayumi et Maï rejoignent le jeu. La première sera l’inspectrice Murata, la seconde, Kôhei Kimura, l’ami de Sawako.
Sawako, Mayumi et Maï ont en commun ce mal-être propre à l’adolescence, exacerbé dans une société où la poursuite de la réussite scolaire prend des allures de quête du Graal. La vie de ces adolescentes est faite d’ennui profond et d’emploi du temps contraint par toutes les obligations scolaires, familiales, sociales… L’irruption de «Chain mail» dans leur quotidien hyper réglementé et sans surprise est une fenêtre ouverte sur la liberté et le sens auxquels elles aspirent. Très vite, le virtuel se mêle au réel. La frontière s’estompe et, comme ces collégiennes, le lecteur ne sait plus très bien où commence l’un et où s’arrête l’autre. La construction – quatre personnages qui ont chacun une voix dans la réalité (du roman…) et dans le jeu – et l’écriture, sèche et précise, donnent au récit de Hiroshi Ishizaki un caractère glacé inquiétant. Une étrangeté qui ressemble sans doute à celle perçue par ces jeunes filles qui se sentent flotter dans le vide de leurs existences et qui, tout en répondant aux injonctions des adultes, ne les comprennent plus. Derrière le jeu, comme derrière l’intrigue, se dévoile une réflexion critique sur une société exigeante à l’extrême avec sa jeunesse. Chain mail décrit avec finesse certains aspects du Japon contemporain où se mêlent réseaux réels – ici matérialisés par les lignes de train et de métro que parcourent les quatre adolescentes – et virtuels (le jeu, la présence permanente de la technologie) et apparaît comme un roman de la modernité. Une modernité qui fait parfois froid dans le dos.
Ariane Tapinos (juin 2009)
26/06/2009 | Lien permanent
La Fin du monde | roman de Fabrice COLIN
Éd. Mango, coll. Autres Mondes | janv. 2009 | 190 pp. – 9 €
Dans un futur proche, quatre jeunes des quatre centres «politiques» du monde (Europe, États-Unis, Chine et Moyen Orient), tentent de survivre à un embrasement nucléaire. En à peine deux cents pages et sept courts chapitres, on assiste, épouvanté, à la destruction de la plupart des grandes métropoles du monde : Los Angeles, San Francisco, Seatle, Pékin, Paris, Le Caire… Pour espérer sauver sa peau, il faut fuir toujours plus au Nord, pour échapper aux radiations toxiques qui se répandent comme une nuit sans fin sur le monde.
L’horreur se mêle à l’absurde. La violence s’épanouit entre les Nations, mais aussi en leur sein, là où des hommes sont depuis trop longtemps, laissés pour compte par leur propre société. La rage gronde et les plus pauvres s’engouffrent dans la brèche laissée par l’anéantissement des États et des moyens de communication. Chacun des personnages entreprend une course effrénée contre la mort, pour rejoindre une base américaine secrète au Groenland, où ils pourront s’abriter quand il ne restera plus rien.
Impossible de dévoiler ce qu’il adviendra de cette quête, mais au terme de ce premier volume, on ignore si deux d’entre eux sont encore vivants. Et le destin des deux autres est tout aussi mystérieux.
Fabrice Colin est un raconteur d’histoires hors pair, il prend son lecteur par la main et l’entraîne dans un tourbillon d’événements qui le tient en haleine et le plonge en même temps dans un bain de questionnements. Construit comme un film catastrophe, avec brève présentation parallèle des personnages avant le cataclysme qui les réunira (on l’imagine), son récit est, une fois de plus, nourri de références cinématographiques et romanesques.
Et s’il se défend, dans sa postface, de faire des livres «sur» tel ou tel sujet – et ici «sur» la guerre nucléaire – c’est bien pour nous faire réfléchir à ses dangers, qu’il a écrit ce terrifiant roman. Mais il est vrai qu’il n’abandonne pas ses personnages et son histoire à l’arrière-plan politique. Et c’est pour ça qu’on le lit avec autant de plaisir. Et qu’on réfléchit sans y prendre garde. N’empêche, sa «fin du monde» a quelque chose de prophétique qui provoque la peur, quand bien même il aurait voulu nous épargner, comme il l’écrit dans sa postface, qu’il conclut par les phrases suivantes : « Conçue comme l’outil de dissuasion ultime, l’arme nucléaire est le produit vicieux de l’intelligence humaine. Son efficacité repose sur un paradoxe redoutable : elle ne produit son effet que si on ne s’en sert pas. Dans le cas contraire, ce n’est pas la terre qui disparaît ; ce sont les hommes. Combien de temps avant qu’une erreur irréparable soit commise ? Combien de temps avant que ce livre ne soit plus de la science-fiction ? »
Ariane Tapinos (février 2009)
15/03/2009 | Lien permanent
La Colère de Banshee | album de Jean-François CHABAS (texte) & David SALA (ill.)
Éd. Casterman, coll. Les albums Casterman | janv. 2010 - 14,95€
Qui est Banshee? Une toute petite fille, fine, frêle, blonde et toute d'or vêtue, dont les pieds «laissent de menues traces sur le sol de la lande, des empreintes qui pourraient être celles d'un lièvre ou d'un lutin». Pourquoi Banshee se précipite-t-elle hors de chez elle, pieds nus dans la forêt, courant jusqu'à la plage? Pour crier sa colère, une grosse, énorme, gigantesque colère, qui fait s'enflammer l'herbe sèche, soulève les rochers et déclenche la tempête. Le pouvoir de la colère de cette petite fille chamboule l'air, l'eau et les animaux à des kilomètres à la ronde. Jusqu'à ce qu'une magnifique jeune femme à la chevelure rousse rejoigne sa petite fille et lui tende calmement sa poupée perdue, apaisant du même coup les éléments…
Une courte note de l'auteur en fin d'ouvrage nous apprend que dans la mythologie irlandaise Banshee est le nom de la plus puissante des fées, une reine des magies aux pouvoirs incomparables. Ainsi tout l'album joue sur une double lecture, magique et très prosaïque, il montre un petit être tout à fait exceptionnel qui se débat dans un monde féerique et… pourrait être n'importe quel enfant révolté par la perte de son doudou. Dès lors la lecture prend des airs de catharsis et la phrase finale de la mère fera sourire tous les lecteurs («je trouve que tu exagères un peu. Tu n'as pas très bon caractère») L'habileté des auteurs est d'avoir habillé cette histoire de cri très primal d'une enveloppe sophistiquée aux illustrations précieuses: une dominante de bleus et d'ors, délicatesse et foisonnement des détails, des décors tout droit issus de l'Art Nouveau et des peintures de Gustave Klimt (enfin, tout droit… courbes, volutes et cercles sont omniprésents, les seules verticales étant celles de la forêt de bouleaux que Banshee s'empresse de traverser dès la deuxième page). Le texte de Jean-François Chabas égrène les références au conte (le palais de cristal, la robe d'or, les yeux étincelants, les pouvoirs surnaturels) mais petit à petit ces références magiques apparaissent comme autant de cailloux blancs nous guidant vers la conclusion; ce sont des images qui, alliées aux illustrations de David Sala, nous donnent au final l'impression d'avoir plongé le temps de l'album dans l'imaginaire et la conscience en ébullition d'un enfant… qui pourrait être le vôtre. Un beau voyage*
Corinne Chiaradia (février 2010)
* … dont on regrette juste qu'il soit imprimé en Chine, la condition peut-être pour qu'un si somptueux livre coûte moins de quinze euros?
15/02/2010 | Lien permanent
Le Cantique des carabines | roman de Xavier DEUTSCH
Éd. Mijade (Namur) | juin 2009 | 142 pages - 7€
Ponce vient d'avoir quatorze ans. À Moio, son village natal en terre sicilienne, c'est l'âge de la majorité. Ponce «le petit» est grand aujourd'hui et pour cette raison son frère aîné Léonidas, vingt-huit ans, lui offre de l'accompagner à Catane, la grande ville où il compte bien vendre sa récolte annuelle d'oignons. Voilà donc les deux garçons juchés sur une charrette remplie d'oignons et tirée par une jument, partis pour un périple de plusieurs jours sur des routes poussiéreuses et semées d'embûches (des brigands écument les campagnes siciliennes). Léonidas est un jeune homme secret, calme et silencieux - un «taiseux» - il économise ses mots au moins autant que son jeune frère écarquille les yeux dans ce qui ressemble pour lui à un voyage initiatique. Le lecteur ne mesure pas encore à quel point ce voyage va chambouler le jeune Ponce, emporté par la résolution ferme et sans faille de son frère qui, en quelques mots et quelques jours, lui ouvrira des horizons insoupçonnés.
Le premier chamboulement – et non des moindres – intervient autour de la page 40 quand l'étrange attelage atteint… l'aire de repos d'une station-service. On croyait évoluer dans un roman «paysan» plus ou moins historique et nous voilà projetés dans une contemporanéité très déstabilisante!
On pourrait penser que ce basculement relève de la pirouette, du ressort narratif pour épater le lecteur, mais Xavier Deutsch sait donner à ses personnages une vraie épaisseur et quand intervient cette irruption de la modernité le caractère et la personnalité de Léonidas sont là pour nous la faire accepter. J'ignore s'il existe aujourd'hui en Sicile des villages où la charrette est un moyen de locomotion comme un autre, où un jeune agriculteur peut refuser un paiement en euros pour lui préférer les napoléons (ou les souverains d'or si l'acheteur est britannique) et où l'on vend une enfant à un bordel quand on ne peut plus la nourrir… Au bout du compte l'étonnant dans ce Cantique est que la fausse simplicité de l'écriture de l'auteur s'accorde si bien au caractère du héros – il n'économise ses mots que pour mieux les choisir – qu'elle parvient à nous faire admettre les incongruités du récit et accepter l'individualisme forcené du personnage. Léonidas cherche à atteindre un objectif, un seul, et il choisit d'ignorer tous les événements collatéraux; partant il se moque de la marche du monde bien plus que de son premier oignon durement cultivé. Il est comme une illustration de l'expression populaire «c'est pas mes oignons» mais, se débattant lui-même avec une situation et des origines marginales et méprisées, le lecteur aura garde de le juger ni de lui appliquer les grilles habituelles du politiquement correct. Quelles que soient les invraisemblances réelles ou supposées contenues dans l'histoire, elle prend pour héros un personnage atypique et amène son lecteur sur des chemins bien peu explorés par le roman ado. Une belle surprise.
Corinne Chiaradia (janv. 2010)
11/02/2010 | Lien permanent
TROP PARFAITE !
Roman
de Gigliola ALVISI
Traduit de l'italien par Françoise Liffran
Éd. La Joie de Lire, coll. Hibouk
Janvier 2013, 304 pages - 13,90 €
Un père pilote de chasse qui travaille à l'OTAN (élu à l'unanimité « Papa le plus sexy de la classe » depuis que ses copines l'ont vu en maillot de bain !) et une mère ex-mannequin, toujours impeccable, super organisée, qui travaille dans une agence avec les plus grands stylistes : les parents de Lucrezia, 13 ans, sont un couple parfait.
Tout cet idéal pèse d'ailleurs un peu lourd : Lucrézia aimerait parfois être un peu moins parfaite et un peu plus comme ses amies. Aussi, quand le couple-parfait lui annonce l'arrivée d'un petit frère ou d'une petite sœur, Lucrézia, quelque peu sceptique, se demande comment « Maman-parfaite » va supporter l'irruption d'un nouveau-né dans son petit monde parfait et elle se prend à rêver d'un bébé qui serait un petit monstre, une véritable peste... histoire de secouer un peu toute cette perfection. Elle sera servie bien au-delà de ses attentes.
Les rêveries machiavéliques de l'adolescente s'écroulent lorsque sa mère doit être hospitalisée pour poursuivre sa grossesse ; la petite peste bouleverse beaucoup trop tôt le planning des grandes vacances et l'organisation familliale et la grande question est posée : qui va s'occuper de Lucrézia pendant que sa mère est à l'hôpital ? Son père a rendez-vous à Bruxelles, la grand-mère maternelle ne pense qu'à sa cure thermale, la tante refuse toute annulation de ses vacances sur une île VIP avec Phiphi son amoureux... Ce sera donc la tante Mariella, la sœur de son père que Lucrézia n'a jamais vue, qui s'occupera d'elle. Adieu Milan, bonjour les Pouilles ! La tante Mariella est mariée à l'oncle Tonino, qui ressemble à Hagrid, elle a quatre fils, quatre cousins plutôt hostiles qui voient en Lucrezia est l'image vivante d'une poupée Barbie, exception faite du plus petit qui passe son temps à brailler et à lui tirer les cheveux. Autant dire que les vacances ne s'annoncent pas de tout repos.
Du partage de la salle de bain au patois local, en passant par la découverte de lourds secrets de famille, Lucrezia a beaucoup de choses à apprendre pour apprécier cette partie pas-si-parfaite de la famille... Heureusement, elle ne manque pas de ressources et se révèle être une héroïne pleine de surprises qui aura fort à faire pour devenir une grande sœur parfaite !
Portrait d'une famille meurtrie par les non-dits et les apparences, le roman de Gigliola Alvisi est servi par un style vivant, trés agréable à lire, d'où l'humour n'est pas absent et ce malgré la gravité des thèmes abordés. Un choc tragi-comique des cultures, teinté de bonne humeur, dont le lecteur ressort avec beaucoup de questions… et avec le sourire !
Nathalie Ventax (mai 2013)
17/06/2013 | Lien permanent
LE PRÉSIDENT & LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE
Le président
documentaire
de Stéphanie LEDU & Pascal BALTZER (illustrations)
Éd. Milan, coll. mes p’tits docs, premier trimestre 2017 - 7,40€
Le président de la république
documentaire
de Pascal HÉDELIN & Vincent SOREL (illustrations)
Éd. Milan, coll. mes p’tites questions, premier trimestre 2017 - 8,90€
Deux documentaires pour deux niveaux d’âge afin d’expliquer aux enfants de 3 à 8 ans (et rien n’interdit aux plus grands d’y apprendre des choses qu’ils ignorent encore) qui est ce fameux président ou présidente de la République qui encombre les écrans de télé depuis des mois.
Le premier brosse un portrait rapide du mode d’élection et des fonctions du chef de l’Eta, résidences comprises puisque nous découvrons le Palais de l’Elysée vu d’en haut et que l’ouvrage se termine sur la plage du fort de Brégançon avec la famille présidentielle en maillots de bain. Il y est également question du gouvernement et du rôle de l’opposition définie ici comme « ceux qui critiquent » le président et manifestent dans les rues.
Comme toujours dans cette collection, les illustrations donnent une image assez diversifiée des français (couleurs de peau, âge, handicap…) et très paritaire : l’opposante au président Paul Dubois est une femme, Anne Martin, et le gouvernement comprend 9 femmes pour 8 hommes. Côté image… il faut signaler la couverture sur laquelle le président Dubois fait incroyablement penser à l’un des candidats (celui dont les déplacements déclenchent des concerts de casseroles) de l’élection prochaine.
Le second rentre bien plus dans les détails et s’attaque à des questions difficiles comme « Qu’est-ce qu’une République ? », « Pourquoi on parle de droite et de gauche en politique » mais aussi plus inattendues : « Est-ce qu’il (le président) est riche ? », « Est-ce que le président prend le métro ? », « Est-ce que si le président triche, il va en prison ? ».
Une double page répond à la question «Est-ce qu’il y a des femmes présidentes de la République ? », en faisant le portrait - rapide - de Vigdis Finnbogadott (Islande) et qui a été, en 1980, la première femme au Dilma Rousseff (Brésil).
Même si nous espérons ardemment que la France ne rejoigne pas en mai prochain les pays qui ont confié la fonction suprême à une femme, il n’est pas interdit d’espérer qu’un jour, les français suivent l’exemple des islandais, des libériens et des brésiliens…
Ariane Tapinos (avril 2017)
10/04/2017 | Lien permanent
MAUDITE SOIT LA GUERRE
album
de Didier DAENINCKX & PEF (illustrations)
Mise en couleurs de Geneviève FERRIER
Éd. Rue du monde, juin 2014 – 16,50€
Nous sommes en 1917, Fulbert, un jeune garçon de onze ans, subit comme ses camarades de classe les leçons de patriotisme de son maître d’école. Chaque matin, Monsieur Bonnaud écrit sur le tableau noir, la phrase patriotique du jour et pour le moral des troupes, aujourd’hui, il demande aux fils d’écrire aux pères partis sur le front. Devoir cruel pour ceux dont le père, mort au combat, n’a plus que faire d’une lettre d’encouragement. Fulbert lui décide que si il doit écrire une lettre alors c’est lui qui la portera à son père. Profitant de la nuit, il sort de chez lui et prend la direction de la gare… Au terme d’un long et périlleux voyage, il atteint le front, dans les environs du Chemin des Dames. Là, il retrouve son père qu’il reconnaît à peine dans la dure vie dans les tranchées l’a transformé.
Après la guerre, Fulbert servira de modèle à la statut du monument aux morts de son village, seul de son espèce à faire figurer un enfant vivant face à l’épitaphe « Maudite soit la guerre ».
Il faut tout le talent de Didier Daeninckx pour faire de cette histoire inspirée du monument aux morts du village de Gentioux, dans la Creuse, un album qui touche au cœur les enfants d’aujourd’hui. Alors que les derniers poilus sont morts, que les années ont passée et les générations avec elles, transmettre l’histoire de la guerre de 14-18, celle qui ne fut pas la « der des der » mais plutôt la première en bien des choses : première guerre mondiale avec 72 pays impliqués, première guerre aérienne, première guerre dans laquelle sont utilisés des gaz toxiques, est un véritable défi. Un défi brillamment relevé par l’écrivain qui, au fil de l’incroyable épopée de Fulbert dans un pays en guerre, évoque la fureur nationaliste, les ravages de la guerre, les troupes coloniales, l’usage des gaz, la place des animaux, l’aspiration pacifiste face aux absurdités de la guerre…
Le texte est magnifique et bouleversant. Accompagné des images soignées de Pef superbement mises en couleurs par Geneviève Ferrier, cet album réussit à rendre à cette guerre dont le souvenir s’efface, une brulante proximité.
Ariane Tapinos (novembre 2014)
Toutes nos critiques sur le même sujet : Première guerre mondiale
Et de Didier Daeninckx : La prisonnière du Djebel
11/11/2014 | Lien permanent
NOUS LES MENTEURS
roman
de E. LOCKHART
Traduit de l'américain par Nathalie Peronny, éd. Gallimard Jeunesse, mai 2015, 275 pages, -14,50 €
« Bienvenue dans la splendide famille Sinclair. Chez nous, il n'y a pas de criminels. Pas de drogués. Pas de ratés. Les Sinclair sont sportifs, beaux, sveltes. Nous sommes une vieille fortune. Nos sourires sont étincelants, nos mentons carrés, nos services de fond de court agressifs.(...) Nous sommes les Sinclair. Chez nous personne n'est dépendant. Personne n'a tort. »
À bientôt dix-huit ans, Cadence est l'aînée des sept petits-enfants de la très respectable famille Sinclair. Depuis toujours, elle passe tous ses étés sur la petite île de Beechwood - l'île privée de la famille - sur laquelle Harris Sinclair son grand-père a fait construire trois maisons, une pour chacune de ses filles.
Cadence y retrouve ses cousins Johnny et Mirren, et Gat, le neveu du nouveau conjoint de la mère de Johnny qui depuis leurs huit ans a rejoint les Sinclair dans leur retraite estivale. Surnommés « les Menteurs » par le reste de la famille, les cinq enfants grandissent ensemble de parties de pêche en pique-niques, soudés et protégés par la vie idyllique et recluse qu'ils mènent sur l'île. Jusqu'à « l' été quinze », celui qui va bouleverser la vie de Cadence.
L'été de ses quinze ans, Cadence est la dernière du petit groupe à arriver sur l'île. Son père vient de quitter la famille, et elle vit désormais seule avec sa mère qui est déterminée à annihiler toute trace de l'existence de son ex-mari. C'est aussi le premier été que les Sinclair passent sans Tipper, leur grand-mère, qui est morte d'une crise cardiaque huit mois plus tôt. C'est surtout l'été où Cadence prend conscience qu'elle est désespérément amoureuse de Gat .
À la fin du mois de juillet, Cadence est découverte seule sur la plage, prostrée, blessée et sans aucun souvenir de ce qu'il lui est arrivé.
Le mystérieux accident la laisse amnésique, souffrant de maux de tête qui la paralysent et contre lesquels on lui prescrit trop de médicaments. Son état général est si préoccupant que sa mère lui interdit de retourner l'été suivant sur Beechwood. Mais ce qui préoccupe le plus Cadence, c'est le silence de ces « menteurs » et les quelques bribes de souvenirs qui ne lui laissent que peu d'indices pour reconstituer le puzzle de cet été fatidique qui a si brutalement interrompu le rythme quasi immuable des traditions de la famille Sinclair.
Avec sa perfection de façade et son silence qui « est un vernis protecteur contre la douleur » la famille Sinclair fascine et forme avec les libres et lumineux « menteurs » un ensemble discordant qui ne peut qu'entraîner un désastre d'ailleurs annoncé. Au-delà du suspense engendré par l'enquête de Cadence pour retrouver ses souvenirs, le roman d 'E. Lockhart reste avant tout un portrait de famille en clair-obscur dont l'atmosphère et des personnages demeurent inoubliables.
Nathalie Ventax (juillet 2015)
26/07/2015 | Lien permanent
VIENS, ÉMILE, ON RENTRE À LA MAISON !
album
de Hans TRAXLER
Traduit de l’allemand par Génia Catala
Éd. La joie de lire, mars 2018 - 15,90€
Marthe est une vieille femme qui vit seule dans les montagnes, à plusieurs heures de marche du premier village. Elle n’a pour unique compagnon que son porcelet qui répond au joli nom de Émile. Marthe est pauvre, très pauvre et elle sait que quand viendra l’hiver, elle n’aura plus rien à manger. Alors, quand les « jours se font plus courts » Marthe prend une décision difficile… A Émile, comme à ceux qu’elle croise sur son chemin, elle dit qu’elle part rendre visite à sa cousine mais Émile se doute bien que ni les petits veaux, ni les porcelets, entassés dans le camion qui croise leur route ne partent en excursion. A l’approche de la ville, le doute n’est plus permis et l’odeur du sang confirme à Émile que le but de la promenade n’est pas celui annoncé par Marthe.
Pourtant, arrivée devant l’abattoir, Marthe renonce et rebrousse chemin.
Finalement, par intérêt et non par générosité, les habitants du village (ils sont inquiets de ce que pourrait leur coûter la prise en charge de Marthe si celle-ci perdait la tête), lui apportent de quoi remplir son garde manger pour plusieurs années…
Comme l’avait révélé, il y a quelques années, un article hilarant du Gorafi*, notre alimentation est pleine d’animaux morts ! Et cette révélation s’invite dans la littérature jeunesse alors que l’actualité s’empare du sujet des abattoirs et de notre rapport aux animaux d’élevage. Or les enfants d’aujourd’hui, plus encore que les générations précédentes, ont perdu l’idée même du lien entre l’alimentation carnée et les animaux bien vivants sur leurs pattes. Le salon de l’agriculture fait recette parce qu’ils peuvent y voir des animaux de ferme « en vrai » mais combien savent que le joli petit cochon primé fera bientôt un bon saucisson ?
L’album de Hans Traxler n’est pas un manifeste pour le végetarisme, c’est avant tout une histoire habillement racontée et illustrée avec talent et humour. Mais une histoire qui peut faire réfléchir et ouvrir la porte à bien des questions.
En un mot, si vous voulez être tranquille pour déguster le rôti du dimanche, éviter cette lecture !
Ariane Tapinos (mars 2018)
A lire sur notre blog, sur le même sujet, le très beau texte de Jennifer Dalrymple : La promesse de Mirto (éditions Oskar, coll. Trimestre, 2016)
* Alimentaire : d’autres plats concernés par la présence d’animaux morts dans leur composition, Le Gorafi, 12 février 2013.
24/03/2018 | Lien permanent