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11/02/2010

Le Cantique des carabines | roman de Xavier DEUTSCH

cantique carabines.gifÉd. Mijade (Namur) | juin 2009 | 142 pages - 7€

Ponce vient d'avoir quatorze ans. À Moio, son village natal en terre sicilienne, c'est l'âge de la majorité. Ponce «le petit» est grand aujourd'hui et pour cette raison son frère aîné Léonidas, vingt-huit ans, lui offre de l'accompagner à Catane, la grande ville où il compte bien vendre sa récolte annuelle d'oignons. Voilà donc les deux garçons juchés sur une charrette remplie d'oignons et tirée par une jument, partis pour un périple de plusieurs jours sur des routes poussiéreuses et semées d'embûches (des brigands écument les campagnes siciliennes). Léonidas est un jeune homme secret, calme et silencieux - un «taiseux» - il économise ses mots au moins autant que son jeune frère écarquille les yeux dans ce qui ressemble pour lui à un voyage initiatique. Le lecteur ne mesure pas encore à quel point ce voyage va chambouler le jeune Ponce, emporté par la résolution ferme et sans faille de son frère qui, en quelques mots et quelques jours, lui ouvrira des horizons insoupçonnés.

Le premier chamboulement – et non des moindres – intervient autour de la page 40 quand l'étrange attelage atteint… l'aire de repos d'une station-service. On croyait évoluer dans un roman «paysan» plus ou moins historique et nous voilà projetés dans une contemporanéité très déstabilisante!


On pourrait penser que ce basculement relève de la pirouette, du ressort narratif pour épater le lecteur, mais Xavier Deutsch sait donner à ses personnages une vraie épaisseur et quand intervient cette irruption de la modernité le caractère et la personnalité de Léonidas sont là pour nous la faire accepter. J'ignore s'il existe aujourd'hui en Sicile des villages où la charrette est un moyen de locomotion comme un autre, où un jeune agriculteur peut refuser un paiement en euros pour lui préférer les napoléons (ou les souverains d'or si l'acheteur est britannique) et où l'on vend une enfant à un bordel quand on ne peut plus la nourrir… Au bout du compte l'étonnant dans ce Cantique est que la fausse simplicité de l'écriture de l'auteur s'accorde si bien au caractère du héros – il n'économise ses mots que pour mieux les choisir – qu'elle parvient à nous faire admettre les incongruités du récit et accepter l'individualisme forcené du personnage. Léonidas cherche à atteindre un objectif, un seul, et il choisit d'ignorer tous les événements collatéraux; partant il se moque de la marche du monde bien plus que de son premier oignon durement cultivé. Il est comme une illustration de l'expression populaire «c'est pas mes oignons» mais, se débattant lui-même avec une situation et des origines marginales et méprisées, le lecteur aura garde de le juger ni de lui appliquer les grilles habituelles du politiquement correct. Quelles que soient les invraisemblances réelles ou supposées contenues dans l'histoire, elle prend pour héros un personnage atypique et amène son lecteur sur des chemins bien peu explorés par le roman ado. Une belle surprise.

Corinne Chiaradia (janv. 2010)

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