Rechercher : Comme un poisson dans l'eau
C’est l’heure du bain, petit lion | album de Taro GOMI
Traduit du japonais par Paul Paludis
Éd. Autrement jeunesse | mai 2009 | 12,50€
Alors que petit lion est occupé à courir après le chat, une voix, sur la page de droite, retentit et claironne «C’est l’heure du bain, petit lion! Enlève tes habits maintenant!» Et une autre voix, sur la même page mais en lettres capitales, s’interroge «C’est étrange, n’est-ce pas, de demander à un lion d’enlever ses habits?» Mais voilà que petit lion se défait de sa crinière et de son pelage. Sous la tenue de lion, un personnage habillé se dévêtit à son tour: chemise, pantalon, chaussettes, culotte… Le voilà tout nu. Pourtant maman n’est pas satisfaite: «Quel vilain petit ours tu fais! Tu veux bien finir de te déshabiller, oui?» Là encore, la voix s’interroge: «C’est étrange, n’est-ce pas, de demander à un ours d’enlever ses habits? Et pourtant…» Pourtant, voilà que sous la tenue d’ours se dévoile un petit garçon, tout nu, «vraiment tout nu cette fois». Un petit garçon qui plonge dans le bain et se fabrique… un costume de savon!
Taro Gomi est un très grand artiste dont le style, reconnaissable entre tous, à la fois graphique et naïf, se prête à la perfection à cette histoire toute simple qui aborde le corps et ses travestissements. À lire aux plus petits.
Ariane Tapinos (juin 2009)
13/06/2009 | Lien permanent
Les Grenouilles Samouraïs de l'étang des Genji | album de Kazunari HINO et Takao SAITÔ (ill.)
D'après le Heiké monogatari
Traduction de Renée Garde
Éd. Picquier jeunesse | sept. 2009 | 15€
Au bord d’un étang, à l’ombre d’un cyprès plusieurs fois centenaire, Grand-père crapaud narre, au son du biwa, l’histoire, très ancienne, de la bataille des Genji et des Heiké. À cette époque vivaient, autour de l’étang, des grenouilles et des crapaud, en paix et en harmonie avec la nature. Un soir d’été une dame rainette est agressée et blessée par «un monstre aux yeux luisants». Ce monstre est en réalité un chat, comme le prouve le poil de moustache qu’il a perdu en commettant son forfait. Les grenouilles samouraïs s’organisent et, sous la direction du seigneur Yorimoto, du général Yoshinaka et de la guerrière Tomoé, se préparent au combat. Mais dix mille petites grenouilles ne pèsent pas lourd face à un grand méchant chat et il leur faudra toute la ruse du jeune sonneur Ushiwakamaru pour venir à bout de leur coriace adversaire.
Inspiré du Heiké Monogatari, célèbre épopée du XIVe siècle, ce grand album aux couleurs vives, retrace le combat qui opposa, à la fin de l’époque Heian (XIIe siècle), les clans Genji et Heiké pour la conquête du pouvoir politique au Japon. Transposé dans le monde animal, l’album s’inspire dans sa forme même de son modèle littéraire: vocabulaire précieux, texte en partie chanté (et typographie italique raffinée), illustrations (splendides et lumineuses) à la manière des estampes japonaises. Le tout forme un superbe album plein d’humour et très original. Il peut se lire pour le plaisir de l’histoire (honneur y est rendu à l’intelligence contre la force) et pour celui de la découverte d’une culture à travers ses codes esthétiques et littéraires.
Ariane Tapinos (octobre 2009)
27/11/2009 | Lien permanent
La Route des ossements | roman d'Anne FINE |
Traduit de l’anglais par Myriam Amfreuille et Sophie Aslanides | Éd. L’École des loisirs, coll. Médium, sept. 2008, 240 pp. - 10 €
Un pays qui a tout de l’URSS sauf le nom. Un dictateur qui a tout de Staline, sauf le nom. Il a éliminé tous ses rivaux et anciens amis. Il fait régner la terreur sur le pays et envoie en camps tous ceux qui critiquent le régime. Et il suffit de peu...
Youri, contraint d’arrêter l’école à quatorze ans pour participer au «Grand pas en Avant» voulu par le «Père Trofim», «Notre Grand Capitaine» voit mourir sous ses yeux son ami de toujours, Aliocha, tombé d’une échelle, sous le poids de la charge de briques qu’il transporte pour avancer vers le «Glorieux Avenir». Youri ne peut retenir quelques paroles de tristesse et d’effarement devant cette incroyable injustice : la mort d'un enfant au travail… Pour ces paroles, il manque de se faire arrêter. Il s’enfuit, grâce à Karl, un adulte avec qui il travaille, mais est rattrapé peu de temps après et envoyé en camp - dans ce qui ressemble à la Sibérie - après un horrible et interminable voyage dans des wagons à bestiaux, au milieu de la nuit, de ses compagnons d’infortune, de la puanteur et du froid. Dans le camp, il survivra pour avoir compris comment fonctionne l’univers concentrationnaire. Il s’échappera grâce à deux détenus qui projettent de l’utiliser comme réservoir de viande...
Un roman terrible et glaçant qui plonge le lecteur dans les heures les plus noires de l’histoire russe. Et pourtant, Anne Fine choisit de ne jamais faire référence directement à l’URSS. Comme pour donner à son livre une portée universelle. Un message qui fait froid dans le dos puisque la fin semble dire que le pire est toujours à craindre.
Ariane Tapinos
08/01/2009 | Lien permanent
Chicago, je reviendrai | roman de Gisèle BIENNE
Éd. L'École des Loisirs, coll. Médium, 2008 | 156 pp. - 9,50 €
1964, Sylvie est choisie, dans le cadre d’un programme d’échange, pour passer un an aux États-Unis, à Chicago. Elle débarque dans une riche famille américaine où chacun est à sa place : la mère ultra occupée par son travail de professeure d’histoire de l’art à l’université, le père par son business, la fille aînée Paula (quinze ans) par le dating (les rendez-vous galants) et Charles, six ans, par ses jeux d’enfants. Seule Alberta, la domestique noire, manifeste de l’affection et de l’intérêt pour Sylvie. Les Griffin ne sont pas méchants et vivent dans un des rares quartiers de la ville où la ségrégation n’a pas cours, mais leur vie bien organisée laisse peu de place à l’improvisation. Pour eux, la présence de la lycéenne française est un peu comme une preuve supplémentaire de leur bon goût et de leur ouverture d’esprit. Un trophée social, un signe extérieur de richesse. Sylvie n’est pas dupe et est bien décidée à découvrir une autre Amérique. Celle de la culture noire, du jazz, de la lutte pour les droits civiques...
Premiers amours (celui laissé en France, ceux qui se nouent aux États-Unis), premiers engagements, première séparation d’avec la famille… Le roman de Gisèle Bienne est tout en finesse. Il sent l’histoire vécue et le souvenir présent. Il porte un témoignage sur une époque révolue et une autre manière d’être adolescente.
Ariane Tapinos (déc. 2007)
14/01/2009 | Lien permanent
Une petite sœur pour Tommy | album de Rotraut Susanne BERNER
Adaptation française Seuil jeunesse | éd. Seuil jeunesse | janv. 2009 | 7,50 €
Ce soir, une surprise attend Tommy à son retour de l’école… Ce soir, tout est différent… Mais qu’est-ce donc que cette surprise ? Un skate ? Non, c’est plus petit. Un bateau téléguidé, alors ? Non, «la surprise est plus douce et beaucoup plus mignonne». Ça, ça ressemble à un gâteau aux carottes ! Non et encore non, cette surprise ne se mange pas et elle s’appelle Clara ! Elle vient du ventre de maman, elle est encore toute fripée et toute fatiguée de son long voyage. Et quand Tommy demande «combien de temps elle va rester», il comprend qu’une petite sœur, c’est fait pour durer !
On est un peu surpris par cette petite sœur arrivée comme par magie, mais on retrouve avec un immense plaisir l’univers coloré, acidulé et faussement naïf de Rotraut Susanne Berner et son attachant Tommy. Ce petit lapin dans sa salopette à carreaux, qui joue au foot avec toute sa famille, à cache-cache avec sa grand-mère (dans sa splendide robe à fleurs) et fait les courses avec papa, est adorable et malicieux. Sa famille, comme sa maison ou l’univers dans lequel il évolue, sont pleins d’une douce fantaisie qui, même dans son expression la plus improbable (la poule noire à taches blanches qui se promène dans les pages et se mêle de tout), sont profondément humains et justes.
Et puis, Tommy est, lui aussi, bien moins naïf qu’il ne le laisse croire… Il sait que sa petite sœur vient du ventre de sa maman… Et on sait tous qu’une petite sœur, ou un petit frère, c’est du plaisir et du déplaisir aussi ; alors on comprend que Tommy aime à se faire croire qu’il ne l’attendait pas et exprime à son entourage qu’un bateau téléguidé, ce serait pas mal aussi, comme surprise !
Ariane Tapinos (mars 2009)
10/03/2009 | Lien permanent
La Fille de Noé | roman de Geraldine McCAUGHREAN
Traduit de l’anglais par Philippe Morgaut
Éd. Gallimard jeunesse, coll. Folio junior, septembre 2005, 258 pages – 6,60€
Imaginez l’Arche de Noé. Pas celle des charmants albums colorés de Lucy Cousin ou Olivier Latyk, pour ne citer qu’eux. Pas celle vers laquelle se pressent de jolis petits animaux ravis, accueillis à bras ouverts par un aimable vieil homme barbu.
Non, imaginez littéralement l’arche de Noé: un immense bateau dans lequel s’entassent, par couples, tous les animaux de la Création. Un zoo flottant puant des déjections de toutes ces espèces embarquées sur une même galère.
Imaginez encore des hommes, des femmes et des enfants qui tentent désespérément de grimper dans l’arche et sont repoussés, par Noé et ses fils, vers une mort certaine.
Imaginez enfin que depuis cet enfer pourrissant, ballotté par les flots quarante jours durant, une jeune fille nous relate ces jours et ces nuits de promiscuité, de faim et d’angoisse sous la protection d’un Dieu vengeur et terrifiant.
Imaginez tout cela et vous êtes dans l’incroyable roman de Geraldine McCaughrean. Un roman barbare, archaïque et éprouvant qui nous interroge sur la tolérance et le fanatisme. Un roman d’une cruauté sombre et lumineuse à la fois. Surtout lorsque le ciel s’éclaircit enfin et qu’il apparaît que les fils de Noé ne seront pas les seuls survivants…
Un roman dont on regrette que l’éditeur français, Gallimard, n’ait pas choisi de garder le titre original (ou plutôt une traduction littérale du titre anglais) : Not the end of the World…
(première publication de l'article: 3 octobre 2005)
17/01/2010 | Lien permanent
ITAWAPA
Roman
de Xavier-Laurent PETIT
Éd. L’École des loisirs, coll. Médium
Janvier 2013, 197 pages – 14,50 €
Prologue : 1974, de monstrueuses machines, conduites par des hommes, envahissent le territoire des indiens Kalawas. La confrontation brutale se termine en massacre. Hommes et arbres sont décimés.
2010, Talia est sans nouvelle de sa mère, ethnologue, partie en mission au cœur de la forêt amazonienne. Avec son grand-père, caractériel et alcoolique, et un officier de police romantique et doué pour la photographie, elle part à la recherche de sa mère. Destination Itawapa, un lieu tellement isolé dans la forêt amazonienne qu’il n’apparaît sur aucune carte. Là où vit l’Ultimo, le dernier représentant d’une tribu indienne, menacé par des projets de forages pétroliers auxquels la mère de Talia est partie s’opposer.
C’est aux côtés de cet équipage bancal que Xavier-Laurent Petit nous fait pénétrer la forêt primaire. Oppressante, grouillante, constamment arrosée de pluies diluviennes, la forêt ne se laisse pas approcher facilement. Elle recèle des richesses convoitées et des secrets douloureux. Ce voyage sur les traces de l’un des derniers habitants de la forêt amazonienne est un hymne à la nature, à sa puissance envoûtante. C’est un texte superbe qui nous transporte autant qu’il nous sollicite. Car cet hymne est également un appel au respect des cultures indiennes et de l’environnement qui les abrite.Un respect qui passe par la reconnaissance des crimes commis, mais aussi des liens qui relient la forêt aux hommes qui la côtoient, et les hommes du dedans à ceux du dehors.
Ariane Tapinos (février 2013)
10/05/2013 | Lien permanent
LE CHOIX DE MOI
Roman
d'Hervé MESTRON
Éd. Oskar, coll. courMÉ-trage
janvier 2012, 42 pp. – 5 €
Dominique a des souvenirs épars de son enfance. Des souvenirs d’hôpital – pour une leucémie, lui a-t'on dit – , une institutrice qui s’inquiétait de ce qu’il accordait tout au féminin, un chat dont il avait coupé la queue…
Des souvenirs et un mal-être qui le submergent alors que sa mère est hospitalisée et que seul, chez eux, il entreprend de fouiller dans ses affaires. Il trouve un cahier sur lequel elle a écrit que son enfant, Dominique, est né dans l’indétermination sexuelle. Ni garçon, ni fille. Elle raconte qu’elle a été sommée de choisir et de laisser agir les médecins. Aujourd’hui Dominique sait, contre son sexe assigné, qu’il est une fille. Et c’est ainsi, réconciliée avec elle-même, qu’elle se présente à sa mère et la libère de son mensonge.
Ce bref roman d’Hervé Mestron, complété par une postface de René Feldmann, professeur de médecine, donne un éclairage inédit dans la littérature de jeunesse sur l’intersexualité. Ces quelques jours de Dominique contiennent des années d’errance et d’une impossible quête identitaire. Une souffrance partagée par sa mère à qui on a imposé un choix impossible et un mensonge dévastateur. Certes, les cas d’intersexuation sont très rares (500 cas connus en France) mais comme le dit le sociologue bordelais Arnaud Alessandrin : « La question trans dans son ensemble est minoritaire mais significative d’un enjeu universel : la libre disposition de son corps ».
Ariane Tapinos (janvier 2013)
À lire, du même auteur : Touche pas à ma mère
12/05/2013 | Lien permanent
RÊVES EN NOIR
Roman policier
de Jo WITEK
Éd. Actes Sud Junior, coll. Romans Ados Thriller
Janv. 2013, 268 pp. – 14,50 €
Jill a seize ans. C’est une adolescente brillante et volontaire. Aveugle depuis sa petite enfance, déterminée à être comme toutes les filles de son âge, elle n’a que mépris et colère pour ceux qui la jugent à l’aune de son handicap. À la suite d’un accident, elle se met à rêver en images. Elle voit dans ses nuits ce qu'il lui est impossible de distinguer le jour. Puis elle découvre que ces images sont bien réelles : ce sont celles d’événements à venir… Évoluant depuis des années dans un paysage sombre et indistinct, Jill ne peut que partir à la poursuite de ses rêves prémonitoires. Elle plonge alors dans une dangereuse histoire de trafic d’objets volés, sur les traces d’un affreux malfrat mais aussi d’un jeune homme dont la beauté des traits lui a été révélée dans ses rêves.
D’emblée, Jo Witek nous immerge dans le monde de la nuit et nous donne à lire l’immensité des difficultés auxquelles les non-voyants et mal-voyants doivent faire face. S’habiller harmonieusement, effectuer un trajet inconnu, faire des courses… Supporter toutes ces réflexions qui vont de la bêtise au mépris et dans lesquelles il faut savoir pourtant reconnaître, rarement, un peu de compassion. Et puis Jill est une adolescente comme les autres : en révolte contre le monde des adultes, un monde qui est également celui des voyants.
Au-delà de l’intrigue policière, bien menée mais moins envoûtante que dans son roman précédent, Peur Express, Jo Witek nous entraîne dans une passionnante découverte de l’univers des aveugles qui apparaît comme une autre lecture de celui qui nous est accessible, à nous, voyants, mais qui donne à réfléchir sur notre capacité à envisager d’autres manières d’être au monde.
Ariane Tapinos (janvier 2013)
20/05/2013 | Lien permanent
BONNE NUIT, CHARLIE !
Bonne nuit, Charlie !
Album d'Amy HEST & Helen OXENBURY (ill.)
Texte français d’Alice Delarbre
Éd. Flammarion, coll. Père Castor
Janvier 2013 – 12 €
Tom a un adorable chiot, Charlie et, avec lui, de toutes nouvelles responsabilités pour « tous les jours pendant toute la vie ». Il s’engage à le promener et à le nourrir. Il promet également de respecter la règle établie par maman et papa, selon laquelle Charlie dormira dans la cuisine. Tom installe le chiot sur un coussin, lui fournit un ours en peluche et même un réveil qui « battra comme un second cœur dans la nuit ».
Ainsi que ses parents l’ont fait pour lui, Tom reste aux côtés de Charlie jusqu’à ce qu’il s’endorme, puis se relève au moindre signe d’inconfort ou de solitude du chiot. À force de propos rassurants, de câlins et de promenades dans la maison endormie, Charlie finit par s’endormir, à côté de Tom, bien blotti dans son lit…
Comme tous les albums d’Helen Oxenbury, celui-ci déborde de tendresse. Les attitudes du petit garçon et de son chiot sont pleines de grâce et en même temps de ces rondeurs un peu pataudes de l’enfance. Tom n’a peut être pas respecté la règle mais il a mis toute son affection et sa tendresse dans la grande responsabilité de s’occuper d’un plus petit que lui.
Ariane Tapinos (janvier 2013)
12/02/2013 | Lien permanent