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Bon voyage ! | album de Didier CORNILLE
Éd. Hélium, premier semestre 2010, 12€
Didier Cornille nous avait déjà régalés les yeux d’un petit livre rouge, Mini maxi: le livre des contraires, chez le même éditeur, Hélium. Le voilà qui récidive, avec ce petit livre bleu, plus réussi encore, qui décline chiffres, formes, motifs, contrastes et «cartes postales». Avec comme fil conducteur le voyage (les personnages sont des touristes, les objets des bagages…) et une dominante de bleu, rouge et jaune, plus une pointe de vert sapin, d’orange et de rose.
Ce drôle de petit livre presque carré aux coins ronds, revisite agréablement le classique livre des premières notions. Il est à la fois beau et plein d’humour. En quatrième de couverture, on apprend que Didier Cornille est professeur de design et créateur de lampes… On se dit qu’on aimerait bien en avoir une chez soi!
Ariane Tapinos (juillet 2010)
19/07/2010 | Lien permanent
Felicidad | roman de Jean MOLLA
Éd. Gallimard | coll. Pôle fiction | juin 2010 (EO 2005) | 320 pages – 6 €
Les éditions Gallimard viennent de rééditer le roman de Jean Molla, dans une nouvelle collection de poche, à petit prix. L’occasion de se jeter dessus pour celles & ceux qui ne le connaissent pas, et pour nous, de rééditer la critique parue à sa sortie il y a cinq ans et toujours d’actualité…
Felicidad nous plonge dans l’une de ces sociétés «parfaites» qu’affectionnent les romans d’anticipation. Parfaite, au sens où elle fournit, à première vue, des solutions à certains grands problèmes: les guerres, la faim, le travail, les inégalités sociales, la violence... Ces solutions consistent souvent à confiner les zones de troubles dans des recoins bien isolés et maîtrisés: dans le cerveau d’une seule personne (lire Le Passeur de Loïs Lowry) ou dans des «enclaves» «légalement hors la loi» et des «guerres délocalisées» comme c’est le cas dans Felicidad.
Dans cette Grande Europe du futur, régentée par un consumérisme sans limites et dirigée par un président à vie, le bonheur est devenu un droit et un devoir pour tous les Citoyens (enfin, ceux qui méritent ce titre...) Les tâches contraignantes ou avilissantes ont été confiées à des «parumains»: «des organismes issus du génie génétique imitant l’apparence, le mode de pensée et le comportement des humains». Société parfaite, donc monstrueuse, congénitalement gangrenée. À la suite du meurtre du ministre du Bonheur, les failles de cette organisation seront révélées, une à une, au lieutenant Alexis Dekcked: enquêteur d’exception, lancé sur les traces de trois parumains hors normes, ce solitaire est néanmoins amoureux d’une belle parumaine.
C’est peu dire que le livre est un hommage à Philip K. Dick et à Ridley Scott, tant l’ombre pluvieuse de Blade Runner [1] imprègne l’atmosphère du roman. Replicants/parumains, Nexus 6 et Delta 5, Dekcked/Deckard mêmes combats. Il ne s’agit pourtant pas d’un pastiche, mais d’une vraie filiation, qui donne une furieuse envie de relire et revoi les originaux, sans douter une seconde de la valeur de ce descendant. D’ailleurs les questions de la filiation et de la nature humaine sont bien au centre du roman, qui prend appui sur les avancées technologiques et médicales de ces vingt dernières années et les interrogations éthiques qu’elles soulèvent. Ici, comme du point de vue politique ou économique, Jean Molla développe en fait des potentialités contenues dans notre monde contemporain: concentration dans l’industrie et le commerce, segmentation accrue entre pauvres et aisés, pensée dominante ultra-médiatisée, formatage à tous les étages...
Felicidad est également un bel essai sur la propagande et la manipulation du langage. Chacun des trente-trois chapitres (chiffre messianique, tout comme les initiales de Julius Choelcher, le créateur des douze Delta 5 ?) est introduit par un petit extrait édifiant de littérature «félicidienne» : discours ministériels, articles de loi, essais, tous publiés aux éditions GMR - Grands Magasins Réunis. À voir imprimé que «l’état est le garant du Bonheur individuel. Il peut avoir recours à tous les moyens, y compris les plus définitifs, pour en faire bénéficier les citoyens» (art. 3 de la Constitution), on hésite entre le sourire - c’est grotesque - et le frisson: l’écrit confère une apparence de légitimité au plus ignoble sophisme... Ajoutons que quatre chapitres sont introduits par des «textes interdits à la publication» dont un extrait du Discours de la servitude volontaire de La Boétie et un de l’ Introduction à la lecture de Hegel de A. Kojève : dans une publication en collection ado, cela mérite d’être remarqué...
Corinne Chiaradia
[1] Blade Runner, c’est le titre du film de Ridley Scott, tandis que le texte original de P.K. Dick se demande Les androïdes rêvent-ils à des moutons électriques? (1979).
Sur un thème (le clonage) et des interrogations voisines, lire le magnifique roman de Nancy Farmer, La Maison du scorpion (éd. L’École des loisirs)
(première publication de l'article : juillet 2005)
20/08/2010 | Lien permanent
Le Prunier | album de Michelle Nikly
L’empereur du Pays du soleil levant est gagné par la mélancolie: un prunier de son magnifique jardin est mort, rompant ainsi l’harmonie du parc. Inquiets, les dignitaires de la cour se mettent en quête d’un prunier pour remplacer celui qui a péri. Après de longues recherches à travers tout le pays, ils trouvent dans le petit jardin d’un peintre et de sa famille, un prunier semblable à celui de l’empereur. Très tristes mais résignés, les propriétaires du prunier le laissent partir pour le jardin de l’empereur. Le jeune garçon du peintre accroche à ses branches un petit rouleau de papier en guise d’adieu. L’empereur touché par l’affection du petit Musuko pour son arbre, le lui rend car il ne peut «souffrir en le voyant chaque jour, la pensée qu’un enfant a perdu son ami à cause de moi».
Un album plein de tendresse et de sagesse.
(première publication: juillet 2005)
13/03/2011 | Lien permanent
Les Amis | roman de Kazumi Yumoto
Traduit du japonais par Jean-Christian Bouvier
Éd. L’École des loisirs, coll. Neuf
[1992] mars 2004, 309 pages - 11,50€
Sélection pour le prix sorcières 2005 - Roman jeunes lecteurs
Les Amis est un roman surprenant sur la vie, la mort, l’amitié… Kiyama nous raconte l’expérience unique qu’il a partagée avec ses deux amis, Yamashita et Kawabe lorsqu’ils avaient environ dix ans. Le décès de la grand-mère de Yamashita est l’occasion pour les trois camarades de classe de s’interroger sur la mort: c’est quoi la mort? Ça ressemble à quoi un mort? Comment se déroule un enterrement, que devient-on quand on est mort?… Kawabe a repéré un vieil homme vivant dans une vieille maison «que le temps semble avoir oubliée» et dont sa mère dit «qu’il n’en a certainement plus pour très longtemps à vivre»… Il a l’idée saugrenue de surveiller le vieil homme et attendre qu’il meure… pour voir.
Tour de garde après tour de garde, les trois amis feront bientôt connaissance avec le vieillard, qui en profite pour leur faire faire de multiples travaux dans sa maison. Malheureusement pour leur expérience, ils lui redonneront le goût de vivre! Ils apprendront à connaître ce vieillard malicieux, découvriront son passé et l’accompagneront finalement pendant ses derniers jours.
Cette histoire est à la fois très touchante et drôle, elle aborde avec beaucoup de finesse les questions de la vie et de ses différentes étapes. Cette rencontre inoubliable pour les trois amis marquera le passage de l’enfance à l’adolescence. On est ému de voir grandir les jeunes garçons et nous grandissons un peu avec eux, autour de ce vieil homme.
(première publication: juillet 2005)
17/03/2011 | Lien permanent
Kairo | roman de Kiyoshi KUROSAWA
Traduit du japonais par Karine Chesneau
Éd. Picquier poche
[2002] 2004, 255 pp. - 7,50 €
Michi et Ryôshuke ont tout deux une vingtaine d’années et vivent à Tokyo. Ryôshuke est étudiant en économie. Michi, quant à elle, travaille dans une petite société de vente de plantes par correspondance. Ils ne se connaissent pas, mais l’un comme l’autre sont confrontés à des phénomènes étranges et inquiétants. «Quelque chose» est en train d’arriver dans le monde. Des gens disparaissent, réapparaissent et se suicident. Des écrans d’ordinateurs sont identiquement entourés de ruban adhésif rouge.
Des questions affleurent: où vont les morts quand ils sont morts? Que se passerait-il si, lassés d’être parqués pour et dans l’éternité, les morts décidaient de reprendre leur place dans le monde des vivants? À la place des vivants? Au cours de cette quête, Michi et Ryôshuke vont se rencontrer, mais n’est-ce pas déjà trop tard?
(première publication: juillet 2005)
17/03/2011 | Lien permanent
REGARDE ! | imagier de Xavier DENEUX
Éd. Tourbillon | Février 2011
16,95 €
Un bel imagier qui sort de l’ordinaire.
Dans un coffret, un jeu de cartes très colorées, bien choisies, au dessin épuré, sollicitent le regard, la parole et invitent à jouer.
Nous apprécions les suggestions d’utilisation données par l’éditeur. Ce coffret accompagnera les enfants dans leur évolution. Les cartes solides résisteront aux petites mains.
Un bel achat, intéressant dès le plus jeune âge.
Josuan
28/09/2011 | Lien permanent
La Société des S | roman de Susan HUBBARD
Traduit de l'américain par Marion Danton
Éd. L'école des Loisirs, coll. Médium | avril 2011
414 pp. - 16,80 €
À treize ans, Ariella ne connait du monde que la maison victorienne de Saratoga Springs dans laquelle elle est née. Scolarisée à domicile, les seuls êtres humains qu'elle côtoit sont Mrs McGarritt la cuisinière, les assistants de son père (Dennis et l'inquiétante Mary Ellis Root) et bien sûr, son père, un homme cultivé, séduisant plein de secrets… À quelles mystérieuses recherches lui et ses assistants s'adonnent-ils dans le sous-sol de la maison? Pourquoi ne mange-t-il jamais avec elle? Quelle est cette mystérieuse maladie qui le contraint à ne presque jamais quitter sa demeure? Que s'est-il passé entre lui et sa mère, dont il refuse systématiquement de parler?
C'est à l'occasion d'une soirée chez Mrs McGarritt, une soirée dans une famille «normale» qu'Ariella va se rendre compte de l'énormité du mystère qui entoure son existence… en regardant son premier film de vampire!
Encore une histoire de vampires? Certes! Mais il est difficile de ne pas se laisser prendre par ce roman au style précieux et à l'intrigue bien ficelée. Susan Hubbard distille les indices et les particularités de son univers avec parcimonie, n'hésite pas à noyer son lecteur sous les références littéraires et philosophiques (après tout, l'immortalité favorise la culture) et joue savamment avec les codes du genre. Une réussite dont on attend le second tome avec impatience.
Nathalie Ventax (mai 2011)
27/05/2011 | Lien permanent
Les Willoughby | roman de Lois LOWRY
Traduit de l’américain par Francis Kerline
Éd. L’École des loisirs, coll. Neuf | mars 2010 | 208 pp. - 10,50€
Quatre enfants (Timothy l’aîné, onze ans, Barnaby et Barnaby les jumeaux A et B de dix ans et Jane la petite dernière âgée de six ans et demi) et un couple d’abominables parents forment la famille Willoughby. Une famille terriblement «vieux jeu», tout droit sortie d’un roman anglais du XIXe ou du début du XXe siècle. Les enfants sont charmants et débrouillards. Les parents sont ignobles, bêtes et méchants. Les enfants se rêvent orphelins comme dans les livres et les parents ourdissent de sombres combines pour se débarrasser à jamais de leur encombrante progéniture. Ils recrutent une nounou censée être odieuse (mais qui en réalité a des réserves de tendresse et sait faire cuire de délicieux gâteaux quand il faut résoudre un problème). Quand Willoughby père et mère partent pour de très longues vacances, ils en profitent pour mettre en vente leur maison et espèrent bien ne plus retrouver leurs enfants à leur retour. Les enfants quant à eux attendent fébrilement des nouvelles, dans l’espoir d’apprendre enfin la mort de leurs affreux géniteurs…
Et comme dans les bonnes vieilles histoires, il y a un bébé abandonné, un milliardaire dépressif mais généreux, d’incroyables hasards qui abolissent les distances…
Ce roman dont la couverture nous dit qu’il est «abominablement écrit et ignominieusement illustré» (la seconde affirmation n’est pas discutable!) par Lois Lowry est délirant et hilarant. Le plaisir avec lequel l’auteure renoue avec les romans édifiants écrits pour les enfants est communicatif. Lois Lowry multiplie les clins d’œil aux livres qu’elle aime (et dont elle donne une petite liste à la fin) et transforme la fréquentation des Willoughby en un joyeux voyage dans le temps et la littérature. Elle nous plonge avec bonheur dans des histoires où des enfants courageux et inventifs transforment leur sordide quotidien en une happy end improbable – tout comme l’étaient d’ailleurs le début et le milieu de l’histoire. Avec les Willoughby on (re)découvre qu’il existe des histoires tout à fait fantastiques avec des personnages qui n’ont aucun pouvoir particulier et extraordinaire. On sort de cette lecture le sourire au cœur.
Une potion (sucrée) à prendre très vite et à recommander autour de soi, pour rendre la vie drôle et pleine d’espoirs.
Ariane Tapinos (février 2010)
23/02/2010 | Lien permanent | Commentaires (2)
Zloty | album de Tomi UNGERER
Traduit de l'anglais par Florence Seyvos
Éd. L'École des loisirs | sept. 2009 | 13,50€
Un album construit sur les thèmes de la tolérance et de la solidarité. Comme d'habitude, les illustrations très colorées foisonnent de détails et proposent différents clins d'œil au regard de lecteurs avertis.
De nombreuses références aux contes traditionnels (Le Petit Chaperon rouge en tête) et à l'histoire du communisme émaillent texte et images.
Dans les illustrations on retrouve l'univers habituel d'Ungerer avec sa composition complexe allant jusqu'au chaos minutieusement organisé et ses personnages caricaturaux mais drôles.
La force et la richesse des images peuvent faire oublier la fadeur du texte qui ne nous semble pas à la hauteur des précédents albums. Les inconditionnels d'Ungerer y trouveront cependant leur plaisir.
Josuan (déc. 2009)
12/01/2010 | Lien permanent
En cage | roman de Kalisha BUCKHANON
Traduit de l’américain par Élodie Leplat
Éd. Rouergue, coll. doAdo monde | mars 2009 | 252 pp. - 13,50€
Natasha et Antonio s’aiment. Mais Antonio est en prison, accusé du meurtre de son père. Alors Natasha et Antonio s’écrivent. Elle depuis leur quartier de Harlem, lui depuis une prison, sur une île au sud du Bronx. Ils s’écrivent et au fil de leurs lettres se découvrent au lecteur. La vie du ghetto. Les rêves qui se cognent à la réalité. La violence du père d’Antonio, les études de Natsaha, ses ambitions, la promiscuité de la prison. Le procès qui approche et la vérité qui se fait jour peu à peu et qu’on ne connaîtra vraiment qu’à la fin du livre, quand les chemins des deux adolescents qui ont grandi se seront séparés, parce que leurs aspirations, bien plus que les murs de la prison, les éloignent. Natasha veut sortir du ghetto, faire des études, être indépendante, connaître le monde qui existe au-delà des limites de Harlem. Antonio veut fonder une famille, construire ce qu’il n’a pas eu, rattraper le temps perdu.
Durant dix ans, de janvier 1990 à mai 2000, Natasha et Antonio s’écrivent et c’est comme d’assister à la fin de deux adolescences qui prennent, peu à peu, parfois même insidieusement, des chemins différents. Ils entrent dans l’âge adulte et s’arrangent différemment du poids de leur histoire et de là d’où ils viennent: un quartier pauvre de New York peuplé quasi-exclusivement de Noirs et où se mêlent l’extrême violence des plus désespérés et la chaleur des sentiments humains.
Leurs lettres, entrelacées au début dans un même élan d’amour et de rage, se font peu à peu plus distantes et prennent des routes parallèles, un peu comme s'ils s’écrivaient sans se lire. Leur langage évolue, avec les études pour Natasha, avec l’immersion dans un monde d’adultes pour Antonio. Leurs rêves se heurtent à une double réalité: celle des adultes et celle de la société. Pour autant, le roman de Kalisha Buckhanon n’est pas désespéré: chacun fait de sa vie une chose qui est juste autre chose que ce qu’il imaginait au début du récit. À cet égard, le titre américain, Upstate (en haut, au Nord de l’État, ici: le haut de la ville de New York, mais peut-être aussi l’ailleurs?) est bien moins enfermant dans le tragique que celui retenu en français, En cage. Or s’il y est question d’enfermement, il y est aussi et surtout question de comment ouvrir les portes du ghetto et de la prison.
Le roman de Kalisha Buckhanon est poignant, autant dans sa manière d'aborder les sentiments que de la dureté de la vie. Elle fait parler chacun des deux protagonistes avec une voix différente, un regard différent aussi. À la toute fin du livre, elle remercie ceux qui l’ont soutenue dans son travail d’écriture, parmi eux, sa professeure, Sapphire écrivaine et poétesse noire américaine. Et on pense effectivement au roman de Sapphire, Push, en lisant En Cage. Notamment pour ce travail sur le langage qui évolue avec l’entrée dans le savoir du personnage qui écrit. Mais là où Sapphire frappe sans retenir ses coups, Kalisha Buckhanon ménage un peu plus son lecteur…
Ariane Tapinos (mai 2009)
03/07/2009 | Lien permanent