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20/03/2011

Hiroshima, deux cerisiers et un poisson-lune | album documentaire d'Alain Serres (textes) & Zaü (ill.)

japon,hiroshima,mémoire,survieÉd. rue du monde, coll. Histoire d’Histoire
avril 2005 - 12,20 €

Le principe de la collection est simple: un enfant (petit-enfant, neveu…) demande à un parent de lui raconter sa vie et ce récit, personnel, intime, fournit un éclairage sensible sur un événement de la «grande» histoire (qui est résumé en quelques vignettes documentaires, réparties au cours de l’album). Sur ce principe, Alain Serres a imaginé l’histoire de Yoko et de sa tante, Tsukiyo, toutes deux habitantes d’Hiroshima.
Yoko est une jeune fille d’aujourd’hui, curieuse, éprise de vérité, tandis que la vieille Tsukiyo, rescapée du bombardement atomique, semble vivre dans un univers parallèle, dont cerisiers, grues et poissons-lunes gardent l’entrée. Le texte d’Alain Serres peut paraître déroutant, parce qu’il se construit autour du silence et des fables inventées par la vieille femme pour échapper à la laideur du monde. Détournant, inversant presque, le principe de la collection: ici ce n’est pas le témoin qui livre «sa» version de l’histoire, mais l’enfant, très bien informée par l’école, les commémorations… qui assène les «vérités» historiques, cherchant à réveiller la parole de l’aïeule. Mais Tsukiyo se referme comme une huître («nos belles huîtres d’Hiroshima») et refuse obstinément de raconter les morts, le sang, les larmes et l’origine de la «prune sèche» qui ronge sa main, soixante ans après…


Sans avoir recours à aucune image d’horreur (dans le texte ni dans l’illustration), cet album tout en pudeur parvient à dépasser ensemble les tabous du silence et les diktats du «devoir de mémoire». C’est suffisamment rare (et pas seulement en littérature jeunesse) pour mériter d’être souligné. Concernant Hiroshima, cela traduit aussi une vérité historique et humaine, il suffit pour s’en persuader de lire cet extrait d’une lettre qu’un médecin d’Hiroshima envoya à Kenzaburo Ôé dans les années 60: «… Jusqu’à leur dernier souffle, les gens de Hiroshima n’ont qu’une envie: se taire. Ils veulent s’approprier leur vie, et leur mort. Il y a en eux le refus d’exhiber leur misère pour les besoins du mouvement antinucléaire ou de luttes politiques de ce genre, le refus d’être considérés en tout, parce qu’ils sont des hibakusha, comme des mendiants» (Notes de Hiroshima, p. 20). Folle ou pas, la vieille tante de Yoko est incapable de «commémorer» le 6 août avec sa nièce, tout au plus peut-elle la guider dans le Parc de la Paix, à la recherche des fleurs de lotus, des camélias blancs et du chant du rossignol…

Corinne Chiaradia
(première publication: juillet 2005)

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