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Ce type est un vautour | album de SARA et Bruno HEITZ
Éd. Casterman, coll. Les Albums Casterman | février 2009 | 13,95 €
Cet album nous a dérangées à la première lecture par la force des images et le réalisme du texte, parfois cru. Le sujet douloureux et délicat de la recherche affective d’une mère qui élève seule sa petite fille évolue peu à peu vers une situation violente.
Des relectures nous permettent d’apprécier le texte et les images qui nous plongent dans un quotidien tellement fréquent que l’on oublie d’y réfléchir; c’est le grand mérite de cet album.
Le choix du chien comme narrateur permet une vision distanciée mais objective de la situation. Il est à la fois témoin et acteur puisqu’il remplit son rôle de gardien et protège la famille. Il assiste au déchirement de la femme, «Elle», tiraillée entre son rôle de mère et son désir de femme pour «le type» à l’harmonica.
Le récit, organisé en différentes scènes, ponctuées tour à tour par deux phrases – «Ce type est un vautour», «Ce bar est un enfer» – qui participent à la montée en puissance de l’action, trouve un apaisement final.
Les gravures, très colorées, cernées de noir vibrent à l’unisson du texte et présentent le décor du point de vue du chien.
Nous avons apprécié la qualité éditoriale de cet album qui mérite d’être partagé.
Il nous semble plutôt destiné à de jeunes adolescents
Josuan (8 avril 2009)
07/05/2009 | Lien permanent
Petit Sapin bleu | album de Danièle SIEGLER et Mayana ITOÏZ
Éd. Les P’tits Bérets | octobre 2008 | 13 €
Le thème de la différence au pays des arbres.
«Tu n’es qu’une horrible tache bleue sur un somptueux fond vert.»
Petit Sapin Bleu est très malheureux dans la forêt des Grands Élégants Verts. Mais un jour, un peintre s’intéresse à lui…
Une histoire simple, joliment écrite et illustrée, qui porte un message d’espoir à la portée de jeunes enfants.
Josuan (8 avril 2009)
07/05/2009 | Lien permanent
Sur la tête de la chèvre & La Grâce au désert | deux romans d'Aranka SIEGAL
Traduction de l'anglais par Tessa Brisac
Sur la tête de la chèvre
Éd. Gallimard jeunesse, coll. Folio junior, [EO 1981] 2003, 336 pages - 7,50€
La Grâce au désert
Éd. Gallimard jeunesse, coll. Folio junior, [E0 1987] 2003, 332 pages [ÉPUISÉ en mai 09]
À partir de 12 ans
Ces deux romans autobiographiques d'Aranka Siegal sont déjà des classiques de la littérature jeunesse, plusieurs fois réédités depuis leur première parution en 1981 aux États-Unis et en 1987 en France.
L'auteure - née en Hongrie en 1929, déportée à Auschwitz à quatorze ans - a puisé dans sa mémoire pour faire revivre la communauté juive hongroise, sa propre famille et la petite fille qu'elle était alors. Cependant, par pudeur, parce qu'elle est devenue une «autre personne» ou parce que les souvenirs sont lointains et ce monde détruit, la narratrice de l'histoire ne se prénomme pas Aranka mais Piri. Et Piri Davidowitz a dix ans lorsque les troupes hongroises envahissent le village ukrainien de Komjaty où elle est en vacances chez Babi, sa grand-mère. Le lecteur sait dès la première page que la famille Davidowitz est celle de l'auteure, et que la plupart de ses membres (père, mère, enfants…) ne survivront pas à la fin du volume. Cependant Aranka Siegal ne «profite» jamais de cet avantage (connaître la fin de l'histoire) et excelle au contraire à transcrire les événements au travers du regard de la petite Piri, ne nous livrant que ce que l'enfant perçoit et ressent alors. Ce qui rend son récit extrêmement vivant, haletant presque, et tout simplement bouleversant.
Ces deux volumes forment une «trilogie en creux» avec un troisième, jamais écrit. Ainsi Sur la tête de la chèvre décrit les années de guerre, l'antisémitisme, les humiliations, mais aussi la chaleur familiale et le combat quotidien pour éloigner l'étau qui se resserre sur les juifs hongrois. Il décrit en détails la vie dans le ghetto de Beregszasz, et le «parcage» des juifs dans une briquetterie peu avant leur déportation. Il s'arrête aux portes du train qui les mènera à Auschwitz. La Grâce au désert s'ouvre sur les dernières heures de captivité de Piri et de sa grande sœur Iboya et s'attache aux trois années d'incertitude et d'errances qui les conduiront en Suède et enfin aux États-Unis en 1948. Les camps et leur cortège d'horreur sont très peu évoqués de manière directe, mais pourtant présents dans les séquelles physiques et morales contre lesquelles se débat Piri. L'adolescente, bientôt jeune femme, en parle peu, mais «cela» vit en elle et peut la saisir à tout moment, quand une chanson, un objet, un mot ou seulement une lumière la projettent instantanément dans un autre lieu et un autre temps, bien loin de son exil suédois… L'auteure ne nous dit pas toujours ce que Piri «voit» alors, sa parole est toute en retenue. Au final, Aranka Siegal parvient à transcrire le mélange incroyable d'innocence, de naïveté, puis de lucidité, d'angoisse, de douleurs, d'irrationnel espoir et de désir de vie et d'amour qui la porta au long de ces années terribles.
Corinne Chiaradia
(première publication de l'article: 1er février 2005)
06/12/2008 | Lien permanent | Commentaires (2)
Escale à Château-Rouge | roman de Franck PAVLOFF
Illustrations de François Roudot
Éd. Milan, coll. Milan poche cadet « Tranche de vie » | mai 2002 | 40 pp. - 5,20€
C'est la jolie rencontre de Boris, garçon «doux et rêveur», avec une jeune Malgache un peu manipulatrice… Elle accroche à un ballon rouge une carte postale où elle a écrit «Tu as gagné un voyage à Madagascar». Lorsque Boris, un jour un peu gris, trouve le ballon, il téléphone vite au numéro indiqué, et Florine lui donne son adresse: Boris s'y précipite pour retirer son billet d'avion, ça lui semble évident. Hélas non: Florine vient bien de Madagascar, mais elle vit dans le 18e arrondissement de Paris chez son oncle restaurateur, elle ne tient pas une agence de voyage! Elle marche avec des béquilles, elle s'ennuie de ses parents qui vivent là-bas, alors elle veut bien lui raconter des histoires de chez elle pour le faire voyager… Boris s'en va furieux, mais il reviendra, car ça sent bon dans ce restaurant, il y a des couleurs magnifiques sur la robe de Florine et elle raconte très bien son île, avec ses beautés et ses difficultés: finalement, c'est bien mieux qu'un voyage touristique!
Mireille Penaud
(première publication de l'article : juin 2002)
06/12/2008 | Lien permanent
La Fille aux esprits | roman de Laura amy SCHLITZ
Traduit de l'anglais par Antoine Pinchot
Éd. Casterman | mars 2009 | 380 pages – 15€
À onze ans, Maud Flynn a perdu tout espoir d'être adoptée et de quitter le bien nommé orphelinat de Barbary où elle a été reléguée. Il faut dire que Maud n'est pas la gentille petite fille aux boucles blondes qui semble avoir la côte chez de potentiels parents: d'un caractère plutôt bien trempé, elle s'attire fréquemment les foudres de la directrice qui ne supporte pas son esprit rebelle et son manque de manières. Alors qu'elle purge – en chantant à tue-tête! – une énième punition, elle est remarquée par les vieilles sœurs Hawthorne qui, charmées par sa voix, l'arrachent à l'orphelinat.
Nouvelles robes, nouveaux livres, nouvelle maison, Maud est sous le charme des trois vieilles dames qui lui entrouvent les portes d'un monde qu'elle soupçonnait à peine. Elle se prend d'une véritable adoration pour Jacynthe la plus brillante des trois sœurs, la plus imprévisible aussi, car bien sûr le paradis a son prix. Dès son adoption, Maud devient une enfant cachée, un secret jalousement gardé par les trois vieilles femmes qui semblent l'avoir tirée de Barbary pour des motifs bien moins nobles qu'il n'y paraît. Recluse dans sa chambre, Maud ne tarde pas à découvrir que les sœurs ne sont en fait que trois vieilles arnaqueuses qui comptent se servir d'elle pour leur prochaines escroqueries…
Point de sorcières dans ce roman dont le spiritisme est pourtant l'un des ingrédients essentiel et nécessaire: le destin de Maud, s'il est peuplé de fantômes, va surtout se jouer sur sa capacité à faire la part entre la réalité et les apparences. Si l'on est dans la droite lignée des histoires d'orphelins, l'histoire de Maud, malgré des péripéties parfois bien sombres, reste assez empreinte de réalisme, d'humour (voire d'ironie) pour ne pas trop verser dans le pathos. Des personnages attachants et hauts en couleurs, une intrigue plus psychologique que ne l'annonce la quatrième de couverture, une touche d'onirisme font de ce roman une lecture assez inattendue.
Nathalie Ventax (juin 2009)
30/06/2009 | Lien permanent
Le Voyage de grand-père | album d'Allen SAY
Éd. L'École des loisirs | septembre 1995 | 11,90 €
Dans ce très bel album, Allen Say nous conte l'histoire de sa famille entre Japon et États-Unis. Son grand-père parti du Japon pour découvrir le monde, installé en Californie, marié au Japon. Sa mère partie, à l'âge adulte, vivre avec ses parents au pays natal. La guerre qui empêcha son grand-père de retourner aux États-Unis. Lui, enfin, qui s'en alla voir la Californie de ses propres yeux. Ce Voyage de grand-père est celui de l'amour pour deux pays différents et parfois même ennemis. C'est un voyage fait d'allers et retours et d'hésitations, d'émerveillements et de regrets. Illustré par de pleines pages qui sont, chacune, comme un tableau - portrait ou paysage - cet album est un peu comme un album photo qu'Allen Say nous invite à feuilleter avec lui. C'est l'album de sa famille, de son histoire tissée entre deux pays, deux univers, deux cultures. Hommage à ce grand-père mort sans avoir pu retrouver sa Californie, Le Voyage de grand-père est aussi une déclaration d'amour à deux pays si chers au cœur de l'auteur qui avoue: «le plus drôle c'est que dès que je suis dans un pays, je m'ennuie de l'autre».
Ariane Tapinos
(première publication de l'article : 5 juillet 2005)
PS : Ce livre a reçu la Caldecott Medal aux États-Unis en 1994, et le Prix Chronos décerné par la Fondation Nationale de Gérontologie en 1996. Mais ce magnifique album est aujourd'hui (mai 2009) épuisé en France. On peut toujours espérer une réédition…
31/05/2009 | Lien permanent
Manolis de Vourla | roman d'Allain GLYKOS
Éd. Quiquandquoi | sept. 2005 | 144 pages - 19,50€
Livre accompagné d'un DVD documentaire
Vourla, bourgade grecque d'Asie Mineure, septembre 1922. Manolis a sept ans. En quelques jours sa paisible vie de petit paysan va être emportée dans la tourmente de l'Histoire. La France et l'Angleterre viennent d'abandonner leur ancienne alliée, la Grèce, et renoncent à la soutenir dans son incroyable tentative de reconquête d'une partie de la Turquie. La défaite grecque provoque la «Grande catastrophe d'Asie Mineure»: les Grecs sont chassés de ce territoire turc dans lequel ils vivent depuis toujours (les Turcs qui habitent le nord de la Grèce depuis presque aussi longtemps, sont eux aussi renvoyés dans leur «patrie»).
Manolis est depuis quelques jours chez sa grand-mère, Sophia, lorsque la guerre frappe à sa porte. Sophia et lui doivent partir. Marcher des heures de long de routes jonchées de cadavres. Embarquer sur un navire militaire anglais, puis sur un vieux cargo grec. Ils arrivent enfin à Nauplie, la première capitale de la Grèce libre, où ils sont conduits avec tous les réfugiés dans une école de la ville.
D'abord adopté par une riche famille de Nafpliotes en manque de descendance masculine, Manolis apprend que sa mère, dont il est sans nouvelle depuis son départ forcé de Turquie, a trouvé refuge en Crète. Il a huit ans lorsqu'il entreprend seul ce long voyage jusqu'à Vori, en Crète, où il apprend la mort de son père mais retrouve sa mère, ses frères et ses sœurs. Il n'a que quinze ans lorsqu'il entame un plus long voyage encore jusqu'en France, à Bordeaux où il sait que vit l'un de ses oncles. Manolis veut étudier et vivre une autre vie que celle que lui promet cette terre aride de Crète. Coupé de la terre qui l'a vu naître, il cherche, toujours plus loin, un autre ailleurs qui soit enfin un nouveau chez lui. L'arrivée à Bordeaux est rude: il y fait froid, il y pleut souvent, les murs sont gris et les gens moins expansifs qu'autour de la Méditerranée, mais la France est encore une terre d'accueil et c'est ici, dans la région bordelaise que Manolis fera sa vie d'adulte.
Après le très beau Parle-moi de Manolis, paru en 1997 aux éditions de L'Escampette, Allain Glykos a une nouvelle fois trempé sa plume dans l'encre de son histoire familiale, pour revenir sur le voyage qui a conduit son père d'Asie Mineure jusqu'à Bordeaux. Alors que son premier récit de cet exil, d'une construction littéraire très différente, était destiné aux adultes, Manolis de Vourla, plus narratif, s'adresse aux adolescents. Peut-être à ceux à qui il a souvent raconté l'histoire de son père et avec qui il a débattu des réalités de l'immigration, du déracinement et de la double culture (comme le montre le film de Yolande Detez et Jean-Marie Bertineau, qui accompagne l'ouvrage sous la forme d'un DVD).
Allain Glykos trouve les mots justes pour raconter cette terrible histoire, dont on ne sait si l'issue est vraiment heureuse, comme si l'immigré devait toujours faire un compromis entre là d'où il vient, là où il vit et les rêves qu'il a abandonnés en chemin. On lit le roman de Manolis le cœur serré à la pensée de ce petit garçon bringuebalé par les événements, de cet adolescent courageux et volontaire et de cet homme tenu si longtemps éloigné de la terre de son enfance. Au-delà du récit, si mal connu en France, de ce déplacement tragique de populations entre la Grèce et la Turquie (mais à vrai dire, pour les Français, la Grèce se résume bien souvent à ses plages, ses ruines, ses maisons blanches et son histoire s'arrête à Périclès), le texte d'Allain Glykos nous parle de tous ces exils forcés, de toutes ces guerres et de leurs cortèges de réfugiés hagards et dépenaillés, qui trouvent tant d'échos dans l'histoire récente. En cela son récit est universel, comme est universel l'amour de ce fils pour son père.
Ariane Tapinos
(première publication de l'article: 14 novembre 2005)
À lire pour les plus grands : Parle-moi de Manolis, éd. L'Escampette, 4e trim. 1997, 150 pages, 15€
31/05/2009 | Lien permanent
Un ravioli ne fait pas le printemps | roman de Dominique TELLIER
Éd. L'École des loisir, coll. Neuf | mai 2009 | 176 pages - 9€
Embarquement immédiat pour un incroyable voyage en Chine: un tunnel creusé sous son lit suffit à Kosmo pour passer de l'autre côté du miroir… Enfin, de la planète. Enfin, un peu des deux. Ce tunnel l'amènera aussi sûrement à tomber dans les bras d'une jeune et très jolie Chinoise (Liu) et à partir en quête du secret de l'immortalité, sur les conseils avisés d'un ravioli bavard…
Ce que Kosmo découvre (et le lecteur avec lui) n'est sûrement pas la Chine réelle, contemporaine. Quoique… Dans cette Chine rêvée, passé et présent se côtoient, se confondent ou s'additionnent, de sorte que l'on cesse très vite de mettre en doute ce que l'on lit. Confucius peut venir taper la causette sur un banc public, un ravioli peut apprécier les bains de thé parfumé, se réincarner en corbeau, puis en dragon, lequel peut survoler Xi'an et ses files de touristes faisant la queue devant l'armée enterrée de soldats en terre cuite du premier empereur de Chine. Au passage, on aura appris la recette des ravioli, du riz cantonnais et des tsampa (bouillie à base de farine d'orge grillé, très roborative).
Le livre de Dominique Tellier fait fi de la rationalité et du vraisemblable occidental: Kosmo accepte presque sans sourciller que les objets lui parlent, il apprend le chinois en quelques minutes, de même que la langue des signes (ça tombe bien: Liu est sourde-muette), il ne met jamais en doute aucune apparition, ne néglige aucun conseil, même venu du Yéti (qui est en fait un ermite-peintre calligraphe, et a recueilli notre héros dans la montagne après 263 jours de jeûne). L'histoire apparaît comme une succession de tableaux et de détails pittoresques ou incongrus, ou encore de clins d'œil au lecteur, semblables à des arrêts sur image: avant de se lancer dans une partie de foot avec des lamas au Tibet, Kosmo, qui ignore tout de ce sport, «vérifie s'il avait le numéro de Zinedine Zidane. Il ne l'avait pas», la partie peut commencer. Pourtant au-delà de l'accumulation et de l'apparente incohérence, l'auteur déroule mine de rien le fil conducteur de son histoire - le secret de l'immortalité, la vie la mort l'amour et la poursuite du cycle… - et dépose ici et là quelques galets, quelques pistes de réflexion, libre au lecteur de s'en saisir. Que l'on s'intéresse ou non à la mythologie chinoise, à la religion et la géo-politique de ce grand pays, ce livre qui tient du conte, du roman d'aventures et du récit initiatique, se déguste avec bonheur.
Corinne Chiaradia (juin 2009)
23/06/2009 | Lien permanent
La Saga Mendelson. Tome 1 : Les Exilés | roman de Fabrice COLIN
Éd. Seuil jeunesse | avril 2009 | 16,50 €
En faisant quitter Odessa à sa famille en octobre 1905, Isaac Mendelson a sauvé les siens d'un péril imminent. Cet homme, sombre mais aimant, horloger renommé, a choisi l'exil pour protéger sa femme Batsheva et leurs deux jeunes enfants, David et Leah, du pogrom qui conduira à la mort de centaines de juifs russes. Le voyage à destination de Vienne, où un ami leur a promis un destin plus serein, sera chaotique et douloureux. Il ne sera pourtant qu'une étape sur une route encore longue vers une vie meilleure. Quelques années plus tard, en pleine Première Guerre mondiale, les Mendelson quitteront le vieux continent pour les États-Unis, New York, puis Hollywood. Ce trajet mouvementé (c'est peu de le dire) sur près de la moitié du globe constitue le premier tome de La Saga Mendelson, une traversée du siècle à laquelle nous convie Fabrice Colin.
D'Odessa à Los Angeles, en passant par Budapest et Vienne: tout comme on ne peut résumer une émigration en une ligne reliant un point à l'autre sur une carte, l'ampleur romanesque des Exilés déborde largement de cet itinéraire. Construisant son roman comme une enquête sur une famille au destin extraordinaire, mêlant interviewes des protagonistes et de leurs amis, journaux intimes, vrais et faux documents d'époque, jonglant avec les temps et le passé reconstruit par la mémoire, l'auteur nous guide dans l'intimité de ces exilés, et nous dévoile la part si peu linéaire de leur voyage intérieur. Hésitations, contraintes, violence des sentiments, espoirs fous et désillusions cuisantes, chacun de ses héros se débat à sa façon et à son heure avec ces sentiments contradictoires dans ses bagages. Le trajet qui permet à chacun de trouver sa place dans son nouvel environnement ne se mesure plus ni en kilomètres, ni même en années. Pour certains (Batsheva, la mère) le deuil du passé semble même impossible.
Le coup de maître de Fabrice Colin est de parvenir à installer cette intimité en liant étroitement aux éléments de sa fiction une multitude de notations, de références sur les événements historiques et les personnalités politiques et artistiques du début du XXe siècle. Pari osé pour un livre «jeunesse», un domaine où l’on a plus souvent l’habitude de la linéarité temporelle et d’un point de vue narratif unique. D’autant qu’ici cette audace stylistique s’exerce dans une aire très vaste – de la Russie à Hollywood, en passant par les Carpates et l’Autriche-Hongrie – et sur près d’un siècle… Loin de nous égarer, l’auteur instaure petit à petit une familiarité entre le lecteur et ses personnages qui confère au livre un souffle digne d’un roman d’aventure. On a hâte de lire la suite!
Corinne Chiaradia (avril 2009)
PS: À ne pas manquer dans le prochain numéro de la revue Citrouille, qui paraitra en juin, un dossier sur le thème de «L'Exil» avec - entre autres - un entretien avec Fabrice Colin.
04/05/2009 | Lien permanent
L'Océan noir | album de William WILSON
Éd. Gallimard jeunesse, coll. Giboulées | avril 2009 | 15,90 €
Ni fiction, ni documentaire, ni album, ni roman, L’Océan noir est un livre hybride, métis comme son auteur franco-togolais, l’artiste William Wilson.
Autour de 18 «tentures appliquées»*, réalisées dans un atelier d’Abomey au Bénin, William Wilson mêle son histoire personnelle à celle qui lie depuis des siècles les Noirs aux Blancs. De l’arrivée des Blancs sur le continent africain aux guerres d’indépendances, des esclaves aux immigrés d’aujourd’hui, des anonymes aux personnages célèbres, L’Océan noir retrace l’histoire d’un métissage souvent violent mais porteur d’espoir, d’un «faisceau entrecroisé de relations (qui) a donné naissance à des merveilles et à des catastrophes» et qui «décrit ce que nous sommes et deviendra ce que nous en ferons».
Chacune des tentures est le point de départ d’un récit où se croisent l’intime, l’historique, le documentaire érudit et le témoignage. Chaque texte déploie, dans une langue parfaite, un moment de cette double rencontre entre l’auteur et sa propre histoire, entre les Noirs et les Blancs. L’ensemble forme un ouvrage passionnant et unique qui puise sa cohérence, au-delà de sa forme multiple (et même en miroir de cette forme) et de son sujet immense, dans la démarche quasi analytique de son auteur. «L’Océan noir est ma contribution aux mémoire éclatées du monde noir» écrit William Wilson. C’est aussi un livre qui rend compte du caractère fractionné (comme les tentures faites de plusieurs morceaux de tissus d’origines différentes) de l’histoire individuelle : «une étoffe mal taillée, malmenée et rapiécée de partout (…) à l’image du destin de chacun d’entre nous dans sa tentative de devenir un être humain, digne de ce nom».
C’est peu dire que L’Océan noir est un livre qui, bien qu’édité par Gallimard Jeunesse, s’adresse aux adultes comme aux adolescents. Il éblouira les uns comme les autres et tous y trouveront matière à réflexion, loin des clichés et des simplifications, dans une approche profonde et généreuse de cette histoire séculaire des Africains.
Ariane Tapinos (avril 2009)
* Ces tentures, ou toiles, sont fabriquées à partir de tissus appliqués (cousus) sur un autre.
01/05/2009 | Lien permanent