15/04/2009
La Vie en rouge | roman d’Anne THIOLLIER
Éd. Gallimard jeunesse, coll. Scripto | mars 2009 | 288 pp. – 10,50 €
Sun Gangming a six ans lorsqu’il pose pour la première fois le pied en Chine, terre de naissance de son père. Jusque-là il vivait en Indonésie, où depuis plusieurs générations était implantée la famille de sa mère, des commerçants chinois plutôt prospères. Mais nous sommes à l’aube des années 60, et les parents de Gangming ont décidé de tenter un «retour» dans le pays de leurs origines qui semble en plein épanouissement. Intellectuels (tous deux sont professeurs), ils se doutent que cette émigration risque d’être définitive, mais ne peuvent imaginer que l’élan révolutionnaire qui les attire, et auquel ils vont tenter au mieux de se conformer, va en quelques années rabaisser tous les «instruits» au rang d’ennemis du peuple. La désillusion commence dès l’arrivée sur le sol chinois, où on leur apprend qu’ils ne peuvent s’installer dans la ville de leur choix (à Hangzhou, près de la mer à l’est de la Chine, où vit le grand-père paternel de Gangming), mais que la révolution a besoin d’eux dans une école de la petite ville de Kunming, à des milliers de kilomètres d’Hangzhou, dans le Yunnan, province montagneuse au rude climat.
L’histoire de cette émigration «choisie» mais vécue à marche forcée nous est contée du point de vue de deux enfants: le petit Gangming, l’enfant des «Chinois d’outre-mer» et Taisen, d’un an son aînée, qui a toujours vécu à Kunming, sous le regard sévère de son père, professeur et responsable de la propagande et de l’éducation politique de l’école secondaire.
Ces regards croisés sont l’une des richesses de l’excellent roman d'Anne Thiollier, dont on sent à chaque page que l’auteure connaît intimement son sujet (elle a vécu vingt ans en Chine et s’est appuyée sur les souvenirs d’un ami très proche qui connut ces années-là dans le Yunnan). Les deux enfants ont forcément des appréciations différentes des conditions de vie de la «Nouvelle Chine» et des contraintes qu’elle leur impose, mais rien de caricatural là-dedans et l’auteure se garde bien de prêter à ses jeunes héros des sentiments ou des analyses politiques anachroniques. La critique, l’ébauche de révolte ou de résistance à la monstruosité du système qui lamine tout désir, toute vélléité individualiste, ne sont pas formulés, on les pressent juste en arrière-plan, du côté des adultes. Ce monde, si éloigné du nôtre (et probablement très éloigné de la Chine contemporaine), Anne Thiollier nous le fait découvrir par petites touches, rendant compte aussi bien des hésitations, des flottements que des enthousiasmes des enfants. Ainsi Gangming qui, une fois encaissé le choc de la précarité matérielle et de la promiscuité, trouve assez vite des avantages à sa nouvelle vie: moins d’école, moins d’études, plus de liberté d’aller et venir (du moins dans les premières années) et des camarades plus présents du fait de la vie en collectivité. Petit à petit, l’enfant perçoit bien ce qu’il peut y avoir de monstrueux ou de révoltant dans certains mots d’ordre et surtout dans la manière dont sont traités ceux qui ont dit ou fait un geste «inadéquat» avec La Pensée Mao, mais il rejette ces tourments hors de son champ de vision (il n’a qu’une douzaine d’années au moment de la révolution culturelle). Taisen, quant à elle, n’a jamais connu d’autre mode de vie mais évolue tout doucement vers une appréciation beaucoup plus critique, alors même qu’elle parvient a réaliser son rêve en devenant danseuse (évitant les voies obligées de l’exil à la campagne ou de l’usine).
Ainsi, La Vie en rouge, sans faire l’impasse sur les souffrances endurées, n’a rien du réquisitoire anti-communiste, il éclaire une histoire, des faits aujourd’hui très rarement abordés en littérature jeunesse, tout en étant très accessible. Il est complexe et lucide, et se lit avec avidité, presque comme un roman d’aventure, de «pionniers».
Corinne Chiaradia (avril 2009)
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Commentaires
Bonjour,
le nom de l'auteur est Anne Thiollier et non Florence Thiollier tel que mentionné dans l'article.
Merci de bien vouloir corriger.
Cordialement,
Écrit par : félicien scott | 04/05/2009
Mea culpa! Toutes mes excuses à Anne Thiollier pour cette bourde. En dépit de cette erreur - corrigée maintenant - mon enthousiasme pour son roman n'est pas feint.
Merci à Félicien Scott pour sa vigilance.
Écrit par : C.C. | 05/05/2009
Mon fils, Félicien, m'a tenu au courant de la rectification de mon prénom. Du coup, je suis allée sur votre blog, et j'ai lu votre critique de mon livre. Elle me touche beaucoup parce que peu de critique montrent une telle attention au texte! Vous avez tout compris! Et dans le monde impitoyable de l'édition d'aujourd'hui, des commentaires comme le vôtre me sont un baume au coeur!
Bien cordialement.
Anne Thiollier
Écrit par : Anne Thiollier | 26/09/2009
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