Rechercher : Baptême de l'air
La Grande Question | album de Wolf ERLBRUCH
Éditions Être, Grande collection, 2003 – 14,50€
[aussi disponible en coll. Petit format, 2008 – 9,90€]
S'il y a bien une question qui mérite ce titre de «grande question», c'est celle-ci: pourquoi sommes-nous sur terre? Seuls les enfants et les philosophes osent encore cette question, mais chacun voit midi à sa porte et propose sa réponse au fil des pages de ce très joli livre. Pour le pilote d'avion, on est sur terre pour aller dans le ciel et «embrasser les nuages», tandis que pour le soldat, on est là pour obéir. L'aveugle est là pour faire confiance, le jardinier pour apprendre la patience. La mort enjoint l'enfant à aimer la vie. Le chien croit qu' «on est sur terre pour aboyer», même si «parfois, on hurle à la lune».
Bref, qu'on réponde par le pratique ou le poétique, chaque réponse est une incitation à tourner la page de cet album où se croisent espoir et mélancolie, humour et tendresse.
Ariane Tapinos
Première publication de l'article: décembre 2003.
13/02/2010 | Lien permanent
Noire lagune | roman de Charlotte BOUSQUET
Éd. Gulf Stream, coll. Courants noirs | janv. 2010 | 86 pp. - 13,50€
Venise, seconde partie du XVIe siècle. Quelques années après la terrible épidémie de 1775, qui dura deux ans et fit près de 50000 morts, la peste frappe à nouveau la Sérénissime. Plusieurs personnes sont retrouvées mortes dans les rues de la ville, leur cadavre portant les stigmates du fléau: pustules, bave noire à la commissure des lèvres… À quelques semaines du carnaval, les Vénitiens renouent avec la terreur engendrée par la mort noire. Mais cette peste-là est parcimonieuse et ne s’attaque qu’à quelques petites gens aux mœurs ou à la morale légères. Alors que la ville bruisse de peur et de colère, à la recherche d’un bouc émissaire, Flora, une jeune courtisane, surprend un homme masqué qui laisse derrière lui l’une des malheureuses victimes de cet étrange mal. Convaincue que cette peste est plus humaine que divine, Flora, aidée de Galeazzo, décide de découvrir la vérité.
Tout est sombre dans ce roman à la fois historique et policier qui entraîne le lecteur dans la cité des Doges à l’heure de sa splendeur. À l’image de la couverture et du titre, c’est dans une Venise de clair obscur, de ruelles sombres et tortueuses où s’insinue l’humidité des canaux, que nous conduit Charlotte Bousquet. Avec une évidente et communicative passion pour son sujet – ou plutôt son décor à la fois historique et géographique – l’auteure de Noire lagune nous plonge dans les noirceurs du complot, de la rancune, de l’envie et du crime. Face aux sombres dessins du criminel et de ceux qui lui prêtent une oreille attentive et bienveillante, Flora et sa tutrice, la courtisane et poétesse Veronica Franco, incarnent la lumière, le raffinement et l’intelligence. Très bien documenté – presque trop tant le récit fourmille d’expressions et locutions italiennes – Noire lagune nous fait entrevoir le statut des courtisanes, femmes libres, cultivées et versées dans les affaires de la Cité, qui au prix des désirs qu’elles suscitaient, pouvaient espérer être l’égales des hommes. Une manière de rappeler qu’en cherchant un peu – si peu – il est possible de rendre aux femmes la part qui fut la leur dans l’histoire et de raconter des histoires qui leur rendent cette justice.
Ariane Tapinos (février 2010)
08/02/2010 | Lien permanent
Le Débardeur rouge | album de SEJUNG Kim
Éd. Talents Hauts, coll. Des livres pour les filles ET pour les garçons | oct. 2009 - 11,50€
Marie est une jeune femme épanouie aux formes généreuses. Le jour de son anniversaire, ses amis lui offrent un joli petit débardeur rouge. Joli, mais vraiment petit, bien trop petit pour abriter la large poitrine de Marie. Qu’à cela ne tienne! Marie se lance dans une cure d’amaigrissement qui lui permettra, pense-t-elle, de porter le débardeur rouge et ce faisant, de faire plaisir à ses amis. Elle se met à la diète (que c’est mauvais), au jogging (que c’est fatigant), elle s’éloigne des tentations et finit par s’isoler et se priver de tout ce qui lui rend la vie belle: les amis, les promenades, les gourmandises… Un jour elle met le petit débardeur rouge dans une valise et quitte Paris pour la montagne. Là, au pied d’une immense colline, qui la fait paraître soudain si petite et menue, elle sort le maudit T-shirt de sa valise et le laisse s’envoler au vent…
Une histoire toute simple et joliment illustrée qui dit sans insister, tout le mal que fait le conformisme ambiant tendance anorexique. Une solution: chantons, en cœur avec Anne Sylvestre «Elle dit je suis Gulliverte, Et je me sens bien, vous me trouvez grande certes, Je n’en disconviens, Maintenant mes petits hommes, A vous de grandir, Comptez plus que je me gomme pour pas vous ternir»…
Ariane Tapinos (février 2010)
Gulliverte, Anne Sylvestre, 1986.
14/02/2010 | Lien permanent
Chain mail | roman de Hiroshi ISHIZAKI
Traduit du japonais par Yukari Maeda et Patrick Honnoré
Éd. du Rocher, coll. Jeunesse | avril 2009 | 250 pp. - 13€
Tout commence quand Sawako, une adolescente mal dans sa peau, élève en 5e du très chic collège Kioï, reçoit un e-mail au sujet intrigant: «Sawako, tu viens jouer avec moi dans un univers fictif?» Du fond de son ennui et de son mal-être, cette proposition rassemble l’aventure et l’évasion propres à lui faire oublier un quotidien déprimant. Elle répond positivement à Yukari, l'instigatrice du jeu baptisé «Chain mail», qui lui propose d’endosser le rôle de l’un des personnages de cette fiction virtuelle, qu’il s’agira d’animer et de construire au fil d'échanges de mail. L’histoire – une jeune fille suivie et harcelée par un garçon demande de l’aide à un ami et à une femme policière – requiert quatre personnages, parmi lesquels Yukari s’est réservé celui du harceleur, Testurô Tsunoda. Sawako opte pour l’héroïne et lui donne son propre nom. Deux autres adolescentes, Mayumi et Maï rejoignent le jeu. La première sera l’inspectrice Murata, la seconde, Kôhei Kimura, l’ami de Sawako.
Sawako, Mayumi et Maï ont en commun ce mal-être propre à l’adolescence, exacerbé dans une société où la poursuite de la réussite scolaire prend des allures de quête du Graal. La vie de ces adolescentes est faite d’ennui profond et d’emploi du temps contraint par toutes les obligations scolaires, familiales, sociales… L’irruption de «Chain mail» dans leur quotidien hyper réglementé et sans surprise est une fenêtre ouverte sur la liberté et le sens auxquels elles aspirent. Très vite, le virtuel se mêle au réel. La frontière s’estompe et, comme ces collégiennes, le lecteur ne sait plus très bien où commence l’un et où s’arrête l’autre. La construction – quatre personnages qui ont chacun une voix dans la réalité (du roman…) et dans le jeu – et l’écriture, sèche et précise, donnent au récit de Hiroshi Ishizaki un caractère glacé inquiétant. Une étrangeté qui ressemble sans doute à celle perçue par ces jeunes filles qui se sentent flotter dans le vide de leurs existences et qui, tout en répondant aux injonctions des adultes, ne les comprennent plus. Derrière le jeu, comme derrière l’intrigue, se dévoile une réflexion critique sur une société exigeante à l’extrême avec sa jeunesse. Chain mail décrit avec finesse certains aspects du Japon contemporain où se mêlent réseaux réels – ici matérialisés par les lignes de train et de métro que parcourent les quatre adolescentes – et virtuels (le jeu, la présence permanente de la technologie) et apparaît comme un roman de la modernité. Une modernité qui fait parfois froid dans le dos.
Ariane Tapinos (juin 2009)
26/06/2009 | Lien permanent
Sam story | roman de Laura JAFFÉ
Éd. du Rouergue, coll. DoAdo | février 2005 | 168 pages - 9€
«Mais non je n'invente pas. Enfin, juste un peu. Essaie d'imaginer» Ainsi s'ouvre le roman de Laura Jaffé, qui va retracer la vie de Sam avec ce qu'il faut de réalisme bien tempéré d'imagination. Sam vient de mourir. À Paris, sa fille et sa petite-fille de quinze ans vident son appartement. La dame de l'agence se fait attendre… Dans le froid (le chauffage est déjà coupé), au milieu de ces quelques mètres carrés qui furent son intimité, les deux femmes tâtonnent pour dénouer les fils d'une filiation hésitante… Le livre est la trace de ce dialogue, mais nous n'entendons que les mots de la mère, les réponses de l'adolescente sont seulement suggérées. On la devine incrédule devant la quête nostalgique de sa mère.
Le roman, d'inspiration autobiographique, est donc le récit mi-réel mi-rêvé de la vie de Sam, fils d'immigrés juifs ashkénazes, depuis son arrivée tout bébé à Ellis Island («l'île des larmes») en 1920, puis sa vie aux États-Unis, à Paris, à Toulouse, un parcours d'éternel voyageur, d'intellectuel anticonformiste, et de «père… inadéquat» (de l'aveu même de la narratrice). Le texte n'est pas dénué d'humour («J'abuse tu trouves? Tu crois que je te fais le coup de Yddish Cosette chez l'Oncle Sam?»), le dialogue est vivant, on se prend au jeu d'imaginer les réponses de la fille. Cette mère qui s'en défend finit par nous toucher dans sa recherche du père. Sa quête est à la fois extraordinaire (par les origines de Sam, son parcours, son refus du trivial) et terriblement commune: quel enfant peut affirmer vraiment connaître ses parents?
Publié précédemment dans la collection «La brune» des éditions du Rouergue, Sam Story est réédité en doAdo et c'est une belle initiative. Doucement, presque paradoxalement, le récit se fait plus universel à mesure que l'histoire est plus précise. «Connaître ses origines, d'où viennent ses grands-parents, ses arrières grands-parents, est-ce vraiment important?»: si l'on doute de la réponse à apporter à cette question inscrite en 4e de couverture, on dispose au moins, en refermant le livre, de quelques pistes sensibles, à suivre pour se construire.
Corinne Chiaradia
(première publication de l'article : 1er mars 2005)
31/05/2009 | Lien permanent
Shalom salam maintenant | roman de Rachel CORENBLIT
Éd. du Rouergue, coll. DoAdo monde | avril 2007 |178 pages - 9€
En France, aujourd'hui: deux jeunes filles se rencontrent dans un hôpital où elles assistent chacune aux derniers instants d'un proche. Pour arriver à cette rencontre si facile - deux adolescentes fuyant les adultes et la mort dans les couloirs d'un hôpital toulousain - et pourtant totalement improbable, il faut remonter le temps et quatre histoires: celles de David, Léah, Oumaïma et Yashin.
Quatre histoires qui passent par le maquis du Vercors, Jérusalem à la veille de la partition de la Palestine et la Cisjordanie. Quatre personnages, quatre histoires qui retracent l'histoire de la naissance de l'État d'Israël et du départ des palestiniens chassés de leurs terres. Naissance d'un immense espoir pour les juifs, ceux de Palestine, ceux poussés hors d'Europe par la folie nazie; naissance d'une haine nourrie de la pauvreté et de la dureté de l'exil, pour les réfugiés palestiniens, réfugiés sur leur propre terre, réfugiés parqués dans des camps aux frontières d'un État qui n'est plus le leur. De ces quatre histoires entremêlées naîtront Camille, la Française, un peu juive, un peu goy et Chaïma, la palestinienne française de coeur et d'espoir. De cette rencontre naît l'émotion et l'espoir d'une paix, enfin. Shalom salam maintenant…
Une écriture heurtée, parfois brutale et dans un langage cru, des récits entrecroisés dans l'espace et le temps. Une vraie maîtrise littéraire qui ne nuit pas à l'émotion du récit, bien au contraire.
Ariane Tapinos
(première publication de l'article: 13 juin 2007)
31/05/2009 | Lien permanent
Vérité, vérité chérie | roman de Valérie ZENATTI
Illustrations d'Audrey POUSSIER
Éd. L' École des loisirs, coll. Mouche | mars 2009 | 80 pp. - 8€
À l'école des loups de la Forêt du Bois d'Ennui, Camille est la meilleure. Meilleure en tout: en course, en hurlements et même en jeux dans la cour de récré. Une surdouée, quoi. Pourtant, quand son professeur de chasse donne comme sujet de rédaction: «Je fais le portrait de mon grand-père»… C'est la panique! La petite louve si bonne élève ne connaît pas son aïeul, même pas son nom! Alors, surmontant sa peur, Camille décide de fouiller, dans les tiroirs de ses parents, dans l'histoire de sa famille, dans les secrets enfouis…
Sa quête la mènera sur les traces d'un vieux grand méchant loup - Auguste Black - assassin d'une certaine Mère-Grand, dont la petite fille (Constance) ne s'habille plus en rouge, mais occupe aujourd'hui une maisonnette à deux pas de la cabane du meurtrier repenti… et très heureux de rencontrer sa petite fille! Et voilà, par les chemins de traverse du conte détourné, Valérie Zenatti écrit une jolie fable sur la peine, le pardon et la possibilité de grandir comme «une petite louve extraordinaire» quand on a droit à la vérité. Laquelle vérité nous donne la liberté d'aimer (ou pas), de pardonner (ou pas) et de s'aimer. Liberté, liberté chérie… L'humour, les clins d'œil (le Petit Chaperon rouge fait de très bonnes crêpes) et la patte de velours de l'illustratrice rendent le texte très agréable à lire.
Corinne Chiaradia (juin 2009)
22/06/2009 | Lien permanent | Commentaires (1)
La Porte album | album de Michel VAN ZEVEREN
Éd. Pastel | janvier 2008 | 9,50 €
Une petite fille, ou plutôt une petite cochonne, se prépare à prendre un bain. Elle sort une serviette de toilette propre, se déshabille et, avant de plonger dans l'eau, s'admire dans un miroir. Mais la porte s'ouvre: c'est maman qui vient changer bébé et… prendre un bain avec lui. Puis les deux frères vont aux toilettes (situées dans la salle de bain) à tour de rôle. Le père vient ensuite se laver les dents, maman sort du bain. Le chat entre… et enfin seule, la petite cochonne peut se plonger dans un bain bien mérité!
Dans ce va-et-vient en salle de bain, un seul mot est prononcé: LA PORTE! Et c'est la petite cochonne excédée qui l'envoie en capitales à son encombrante famille. Pas un mot, pas de texte donc, mais les regards éloquents d'une petite fille qui aspire à un peu d'intimité. C'est plein d'humour et en même temps très juste. Cette pudeur des enfants, dont les adultes font parfois si peu de cas, est croquée avec un amusement communicatif. Et quand enfin elle peut se glisser dans la baignoire, après avoir fermé la porte, la petite cochonne s'entortille dans une serviette et tire le rideau, histoire de se prémunir contre toute intrusion familiale.
par Ariane Tapinos (20 mars 2008)
05/12/2008 | Lien permanent
Un homme | album de Gilles RAPAPORT
Éd. Circonflexe | avril 2007 | 13 €
Un esclave s'adresse à son maître. Une victime interpelle son bourreau. Un homme s'adresse à l'humanité toute entière.
Puissance des mots. Dureté du regard. Des yeux blancs nichés au cœur d'un visage noir ébène. Et Gilles Rapaport de raconter ce que des hommes ont fait subir à leurs semblables. Ce que les Blancs - et leurs complices - ont fait subir aux Noirs réduits en esclavage. Et la stupeur vient du contraste entre la barbarie à l'œuvre et l'esclave qui s'adresse à son tortionnaire et, au-delà de lui, nous regarde. Et de bout en bout, de la cale du bateau à la liberté proclamée le 4 mars 1848, il se dresse et dit: Je suis un être humain, je partage avec toi cette tragique qualité. Tu me ressembles.
Est-il besoin de dire encore à quel point Gilles Rapaport est un très grand artiste? Texte et image se complètent, mais chacun pourrait presque exister sans l'autre, tant l'un et l'autre sont aboutis. Comme on peut couper le son ou fermer les yeux devant certains grands films. Gilles Rapaport prend à bras le corps les blessures de l'Histoire. Il poursuit, au fil de ses albums, tels Grand-Père et Champion, son questionnement sur la nature de l'homme. Au cœur des débats sur les responsabilités dans la traite nègrière et les mémoires de l'esclavage, ce très bel album interroge notre mauvaise conscience. Il s'adresse aux adultes autant qu'aux enfants; il est passeur des uns aux autres.
par Ariane Tapinos (16 juillet 2007)
PS : À lire, aux éditions Circonflexe : Grand-père et Champion
05/12/2008 | Lien permanent
Tsunami | album leporello de Joydeb et Moyna CHITRAKAR
Éd. Rackham, coll. Sous le Signe noir | 1° trimestre 2009 | 30€
Texte français du professeur A de l'Ink Institute FRMK d'après la traduction anglaise du chant original bengali Mala Chakraborthy et Sirish Rao.
Dès l'ouverture, une surprise: ce n'est pas un album classique mais une longue fresque que l'on déroule, comme une vague. Puis, image choc - démon ou masque? - une figure grimaçante dont la bouche, grande ouverte, rejette un fleuve ininterrompu emportant tout sur son passage: hommes, animaux, maisons...
La composition picturale remarquable participe pleinement à la narration et nous rappelle la tradition orale et les récits médiévaux en images comme la tapisserie de Bayeux. La grande lisibilité graphique, la multitude de personnages, la force des couleurs des images sérigraphiées parlent directement aux lecteurs. Le texte, véritable ballade épique, narre avec simplicité et poésie le déchaînement des éléments meurtriers et la force de vie qui, comme toujours, surgit de la destruction.
Nous recommandons chaleureusement à tous, adultes et enfants, la lecture de cet ouvrage, véritable livre d'art qui inscrit dans la mémoire universelle l'émotion d'une catastrophe contemporaine sur un support traditionnel, celui des rouleaux patua du Bengale.
Josuan (juin 2009)
PS: Pour la réalisation du livre, la forme classique en rouleau de la peinture originale a été transposée dans un leporello (technique de pliage et de collage donnant un livre qui s'ouvre comme un accordéon). Pour assister à la mise en oeuvre de la sérigraphie et du leporello, et entendre les auteurs interpréter (chanter) Tsunami dans la tradition des conteurs bengali: une visite sur le site des éditions Rackham.
19/06/2009 | Lien permanent