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Ô Corbeau ! | album de Marcus MALTE & Rémil SAILLARD (ill.)
Tous les soirs à la même heure, Jo le corbeau gémit sur son arbre (un saule pleureur comme il se doit). Jo le corbeau – bien qu’élégant dans son costume de plumes noires – désespère car il ne sait pas chanter. Et pour couronner le tout, il est amoureux! Amoureux de Paloma, la colombe qui chante comme une diva. Seul et malheureux (voire honteux et confus) notre corbeau s’enfuit à tire d’ailes jusqu’au Pôle Nord et c’est dans un immense igloo baptisé «la taverne de l’empereur» qu’il va rencontrer Tino, manchot borgne à la voix d’or… Ah, s’il pouvait avoir un empire à échanger contre la voix de Tino!
S’il ne possède pas d’empire, Jo le corbeau a néanmoins une chose suceptible d’intéresser un manchot coincé sur sa banquise, et un troc va s’opérer qui ne sera peut-être pas à l’avantage de notre corbeau.
On peut dire sans mentir que le ramage de ce Ô Corbeau se rapporte bien à son plumage: ce très bel album au grand format alterne avec bonheur texte rimé et versifié (hommage à Lafontaine?) et doubles pages d’illustrations. Cette deuxième collaboration de Marcus Malte et Rémi Saillard nous offre une fable bien cruelle pour le corbeau, mais bien agréable pour nous lecteurs!
Nathalie Ventax, mai 2010
05/06/2010 | Lien permanent
Ce type est un vautour | album de SARA et Bruno HEITZ
Éd. Casterman, coll. Les Albums Casterman | février 2009 | 13,95 €
Cet album nous a dérangées à la première lecture par la force des images et le réalisme du texte, parfois cru. Le sujet douloureux et délicat de la recherche affective d’une mère qui élève seule sa petite fille évolue peu à peu vers une situation violente.
Des relectures nous permettent d’apprécier le texte et les images qui nous plongent dans un quotidien tellement fréquent que l’on oublie d’y réfléchir; c’est le grand mérite de cet album.
Le choix du chien comme narrateur permet une vision distanciée mais objective de la situation. Il est à la fois témoin et acteur puisqu’il remplit son rôle de gardien et protège la famille. Il assiste au déchirement de la femme, «Elle», tiraillée entre son rôle de mère et son désir de femme pour «le type» à l’harmonica.
Le récit, organisé en différentes scènes, ponctuées tour à tour par deux phrases – «Ce type est un vautour», «Ce bar est un enfer» – qui participent à la montée en puissance de l’action, trouve un apaisement final.
Les gravures, très colorées, cernées de noir vibrent à l’unisson du texte et présentent le décor du point de vue du chien.
Nous avons apprécié la qualité éditoriale de cet album qui mérite d’être partagé.
Il nous semble plutôt destiné à de jeunes adolescents
Josuan (8 avril 2009)
07/05/2009 | Lien permanent
Orphée Dilo et autres contes des Balkans | Livre-CD contes en musique
Racontés par Muriel BLOCH | Illustrés par Gérard DUBOIS
Musique d’Eric SLABIAK
Éd. naïve | second semestre 2006 | 22 €
Sur les traces d’Orphée Dilo, le musicien fou des Carpates, ce très beau livre-disque nous entraîne sur les routes sinueuses des Balkans, cette «Macédoine» composée d’«un peu d’Orient, Juifs, orthodoxes,musulmans»… Terre de musique, de mélancolie et de joie, cette région du monde qui n’est ni tout à fait Europe, ni tout à fait Orient, fascine par son aptitude au bonheur mêlée à son sens du tragique. Les récits de fêtes alternent avec les histoires douloureuses. Comme dans les banquets tsiganes, la musique accompagne rires et larmes, dans ce voyage au cœur des légendes des «pays enveloppés de brouillard».
Les contes, racontés avec passion par Muriel Bloch, alternent avec les magnifiques musiques composées par Eric Slabiak, du groupe Les Yeux Noirs, et au milieu desquelles vient se nicher une chanson de Mélina Mercouri, sur une musique de Joe Dassin.
Les illustrations de Gérard Dubois sont autant de peintures dont la patine fait penser à des fresques un peu usées par le temps et les sentiments. Comble du raffinement, la maquette fait la part belle aux motifs inspirés des carreaux de ciment ou des étoffes d’Orient et concourt à faire de cet album un objet magnifique.
par Ariane Tapinos (jeudi 14 décembre 2006)
05/12/2008 | Lien permanent
Tsunami | album leporello de Joydeb et Moyna CHITRAKAR
Éd. Rackham, coll. Sous le Signe noir | 1° trimestre 2009 | 30€
Texte français du professeur A de l'Ink Institute FRMK d'après la traduction anglaise du chant original bengali Mala Chakraborthy et Sirish Rao.
Dès l'ouverture, une surprise: ce n'est pas un album classique mais une longue fresque que l'on déroule, comme une vague. Puis, image choc - démon ou masque? - une figure grimaçante dont la bouche, grande ouverte, rejette un fleuve ininterrompu emportant tout sur son passage: hommes, animaux, maisons...
La composition picturale remarquable participe pleinement à la narration et nous rappelle la tradition orale et les récits médiévaux en images comme la tapisserie de Bayeux. La grande lisibilité graphique, la multitude de personnages, la force des couleurs des images sérigraphiées parlent directement aux lecteurs. Le texte, véritable ballade épique, narre avec simplicité et poésie le déchaînement des éléments meurtriers et la force de vie qui, comme toujours, surgit de la destruction.
Nous recommandons chaleureusement à tous, adultes et enfants, la lecture de cet ouvrage, véritable livre d'art qui inscrit dans la mémoire universelle l'émotion d'une catastrophe contemporaine sur un support traditionnel, celui des rouleaux patua du Bengale.
Josuan (juin 2009)
PS: Pour la réalisation du livre, la forme classique en rouleau de la peinture originale a été transposée dans un leporello (technique de pliage et de collage donnant un livre qui s'ouvre comme un accordéon). Pour assister à la mise en oeuvre de la sérigraphie et du leporello, et entendre les auteurs interpréter (chanter) Tsunami dans la tradition des conteurs bengali: une visite sur le site des éditions Rackham.
19/06/2009 | Lien permanent
La Vague | album de Suzy LEE
Éd. Kaléidoscope | mars 2009 | 13 €
Une vague de plaisir, de malice, un grand bol d’air, de jeu et de jets d’eau. Il y a tout ça dans cet album sans paroles, vivifiant et rêveur. Une petite fille, pieds nus, court vêtue, coupe au carré et museau frippon, est postée en bord de plage. Curieuse mais prudente au départ, la fillette finira par sauter dans l’eau, éclabousser à qui mieux-mieux les mouettes et se retrouver totalement trempée après l’assaut d’une vague qui laisse sur la plage des trésors de coquillages.
Croquée au fusain – traits noirs épais, petits dégradés de gris – d’une main rapide et précise, sa petite silhouette observe, défie, attend, provoque la mer et ses grands flots, figurés eux à la peinture acrylique bleue et blanche. Le voisinage puis le chevauchement des deux techniques est très réussi. Le bleu finit par envahir la page, il déteint, coule, colore la robe de l’enfant et tout l’horizon de notre imaginaire. On en sort un peu mouillés, avec sûrement quelques grains de sable collés aux pieds…
Corinne Chiaradia (avril 2009)
PS : L’histoire se lit par double-page, format à l’italienne, la plage, l’enfant et les mouettes à gauche, la mer à droite; le piment vient des passages et débordements des éléments d’un côté à l’autre… On regrette d’autant plus que la reliure «mange» parfois la partie centrale de l’illustration, dont l’impression par ailleurs rend très bien les différences de matière entre le fusain et la peinture. Vraiment dommage!
22/04/2009 | Lien permanent
Un jour en ville | album de Julien ROUX
Éd. Thierry Magnier | oct. 2009 | 12,50€
Un petit garçon qui habite à la montagne interroge sa maman: «Comment c’est la grande ville. Raconte moi!» Et sa maman de raconter… Les «maisons remplies de fenêtres», les grues, les voitures, les policiers, les gens dans le métro, le travail, la pauvreté, la culture, la fête… Du petit matin jusqu’à la nuit, la ville s’offre à l’enfant dans le récit de la mère. La ville se déploie, s’anime. Des hommes et des femmes l’habitent, y vivent, y travaillent, y dansent.
Un trait noir et quelques touches de rouge, Julien Roux donne à voir la Ville. Lieu du collectif et de la solitude, de l’activité diurne et nocturne, des plaisirs et des souffrances. Un jour en ville est un petit livre (trop petit, on aimerait voir ses magnifiques images en grand) au format à l’italienne qui rend hommage à toutes les villes dans ce qu’elles ont de profondément humain, avec leurs joies et leurs travers. Avec des images qui sont comme autant de symboles de la vie urbaine, Julien Roux dresse un magnifique et émouvant portrait de la ville. C’est une mère qui s’adresse à son enfant, mais c’est aussi un artiste qui s’adresse à son lecteur et offre sa vision d’un monde urbain en mouvement constant. Un jour en ville est le premier livre de Julien Roux, un artiste plasticien dont le travail se met ici à hauteur d’enfants, avec un court texte très simple qui permet de passer d’une image à l’autre mais sans en épuiser les sens.
Ariane Tapinos (octobre 2009)
07/10/2009 | Lien permanent
Les Chemins secrets de la liberté | roman de Barbara SMUCKER
Éd. Castor poche, coll. Voyage au temps de… | oct. 1998 (EO 1978), 256 pp. | 5,70 €
Julilly, jeune esclave noire de douze ans, travaille avec sa mère pour Jeb Hensen en Virginie. Le maître de la plantation est un homme bon avec ses esclaves, la jeune fille ne se plaint jamais de son mode de vie car Mamy Sally, sa mère, la protège de son mieux. La nouvelle de la vente de la plantation va pourtant changer considérablement leur vie, tous les esclaves vont être vendus à d’autres plantations. Dans des conditions humiliantes, Julilly et sa mère vont êtres séparées et la jeune fille va se retrouver embarquée dans une charrette avec d’autres enfants et trois hommes qu’elle connaît à peine.
Après plusieurs jours de voyage difficiles, Julilly arrive chez son nouveau maître, monsieur Riley, dans l’extrême sud du pays. Elle avait entendu beaucoup de gens parler de cette région, mais la pauvre enfant ne s’attendait pas à avoir une vie aussi dure. Un travail harassant, des conditions de logement déplorables et une constante peur de se faire fouetter par le contremaître Sims, lui font regretter la plantation de monsieur Hensen.
Sa rencontre avec Lisa, une jeune fille de son âge, et l’amitié qui va naître entre elles leur permettront de garder espoir en l’avenir. Leur vie va prendre un nouveau tournant le jour où un ornithologue canadien arrive à la plantation ; abolitionniste convaincu, l’homme va aider les deux enfants et deux hommes à s’échapper vers le Canada. Une véritable épopée va alors commencer mêlant rencontres, fuites, séparation et découvertes, avec un seul but en tête, leur liberté.
Malgré une fin mielleuse, ce texte est intéressant par son côté historique et permettra au jeune lecteur de prendre conscience de ce que pouvait être l’esclavage.
Claire DAGAN (janv. 2009)
19/01/2009 | Lien permanent
La Route des ossements | roman d'Anne FINE |
Traduit de l’anglais par Myriam Amfreuille et Sophie Aslanides | Éd. L’École des loisirs, coll. Médium, sept. 2008, 240 pp. - 10 €
Un pays qui a tout de l’URSS sauf le nom. Un dictateur qui a tout de Staline, sauf le nom. Il a éliminé tous ses rivaux et anciens amis. Il fait régner la terreur sur le pays et envoie en camps tous ceux qui critiquent le régime. Et il suffit de peu...
Youri, contraint d’arrêter l’école à quatorze ans pour participer au «Grand pas en Avant» voulu par le «Père Trofim», «Notre Grand Capitaine» voit mourir sous ses yeux son ami de toujours, Aliocha, tombé d’une échelle, sous le poids de la charge de briques qu’il transporte pour avancer vers le «Glorieux Avenir». Youri ne peut retenir quelques paroles de tristesse et d’effarement devant cette incroyable injustice : la mort d'un enfant au travail… Pour ces paroles, il manque de se faire arrêter. Il s’enfuit, grâce à Karl, un adulte avec qui il travaille, mais est rattrapé peu de temps après et envoyé en camp - dans ce qui ressemble à la Sibérie - après un horrible et interminable voyage dans des wagons à bestiaux, au milieu de la nuit, de ses compagnons d’infortune, de la puanteur et du froid. Dans le camp, il survivra pour avoir compris comment fonctionne l’univers concentrationnaire. Il s’échappera grâce à deux détenus qui projettent de l’utiliser comme réservoir de viande...
Un roman terrible et glaçant qui plonge le lecteur dans les heures les plus noires de l’histoire russe. Et pourtant, Anne Fine choisit de ne jamais faire référence directement à l’URSS. Comme pour donner à son livre une portée universelle. Un message qui fait froid dans le dos puisque la fin semble dire que le pire est toujours à craindre.
Ariane Tapinos
08/01/2009 | Lien permanent
Monsieur | Marie-Ange GUILLAUME (texte) & Henri GALERON (ill.) | Éd. Panama, oct. 2008 – 15 €
Monsieur est un chat. Un banal chat de gouttière noir et blanc. Mais Monsieur est aussi un maître en son domaine, enfin, dans celui de son maître, modeste humain dont nous n’apercevrons que les pieds. Et c’est son « maître » justement qui nous parle de Monsieur et, avec honnêteté, nous dit d’emblée : « J’habite chez mon chat. Monsieur me sous-loue un oreiller mais tout le reste lui appartient : les plantes vertes, la poubelle, les piles de pulls dans l’armoire, les radiateurs, le canapé, les parties dodues des copains assis sur le canapé, le frigo, la gamelle du chien, l’ordinateur - et la souris, bien sûr. »
On l’aura compris : Monsieur a pris le pouvoir et n’en fait qu’à sa guise. Il occupe toute la place dans le livre comme dans la vie du narrateur. Il est immense et majestueux, fier et facétieux. Henri Galeron lui donne vie de manière extraordinaire. Ce chat-là est plus vrai que nature. Il nous regarde droit dans les yeux et se moque de notre condition d’humain. Il habite le livre – ses grandes pages entièrement cartonnées – et son gigantisme donne la mesure de son pouvoir sur ceux qui l’entourent : humains, chiens...
Les chats sont nombreux dans les livres et l’animal se prête avec grâce et un rien de coquetterie à l’illustration, mais rarement il aura été aussi bien servi, tant par la splendeur réaliste des images d’Henri Galeron que par le raffinement et l’humour du texte de Marie-Ange Guillaume. Tout ceux – et on sait qu’ils sont nombreux – qui cohabitent avec un chat s’y retrouveront. Les grands apprécieront la malice des auteurs, les petits rigoleront à gorge déployée de ce grand chat roulé en boule sur le lit de ses « maîtres » dont on ne voit plus que la plante des pieds...
17/12/2008 | Lien permanent
Mama Sambona | album de Hermann SCHUKZ et Tobias KREJTSCHI (ill.)
Traduit de l’allemand par Violette Kubler | Éd. Etre, oct. 08 | 14,90 €
Sur une île au centre du lac Victoria, appelé lac Ukerewe par les Africains, vivait Mama Sambona, la souveraine de l’île. Très âgée, elle se retrouva un jour en tête de la liste, dressée par la Mort, de ceux qui doivent rejoindre le pays de leurs ancêtres. En ce temps-là et dans cette contrée reculée, les choses étaient parfaitement réglées et la Mort n’avait droit qu’à trois visites pour aller chercher un vivant.
Si pour une raison ou une autre, ces trois visites ne suffisaient pas, alors la Mort devrait patienter bien longtemps avant de pouvoir revenir. Mama Sambona était certes très âgée, mais elle n’était pas prête pour le grand voyage, elle était même bien décidée à profiter encore longtemps de la vie, de sa petite nièce Gretel, des plaisirs du tabac, des saveurs du thé et des sons de la musique. Si bien qu’à ce jour, elle prend encore le thé sur sa véranda…
Dans cet album délicieusement insolent la Mort – un homme habillé d’un costume noir avec cravate et chapeau assortis – ne fait pas le poids face à l’appétit de vivre de la vieille reine. Non seulement elle se laisse prendre aux ruses de la reine, mais en plus elle prend goût à la vie et sa face lugubre s’éclaire d’un sourire quand elle entreprend quelques pas de danse. Finalement, apprend t-on, la Mort a de l’humour et aujourd’hui, elle prend sans doute le thé en compagnie de Mama Sambona…
Il faut lire et relire ce texte plein de malice et d’insolente vitalité, en pensant à toutes les Mama Sambona que l’on connaît, ces vieilles personnes bien vivantes et drôles qui semblent se jouer de la mort.
Ariane Tapinos (février 2009)
20/02/2009 | Lien permanent