15/03/2009
Le Courage du papillon | roman de Norma FOX MAZER
Traduit de l’américain par Jean Esch | Éd. Albin Michel Jeunesse, coll. Wiz | janv. 2009 | 304 pp. – 13 €
[EO New York 2008, The Missing Girl]
Les cinq filles de la famille Herbert sont comme «une volée d’oiseaux» : voilà ce que pense l’homme en gris qui, tous les jours, les observe à l’arrêt de bus, en chemin pour l’école. Toutes ne sont pas belles (Beauty, l’aînée de presque 18 ans, il la surnomme la vieille ou la laide), ni spirituelles (Fancy, 12 ans, c’est « l’idiote ») mais leur innocence, leur insouciance le fascinent. Une vraie aubaine, pour lui qui n’a même plus le droit d’approcher d’une école… Et aucune d’elles ne voit en lui une menace, d’ailleurs elles ne le voient même pas, toutes à leurs préoccupations familiales, amoureuses, scolaires…
Beauty, Mim, Stevie (Faithful), Fancy et Autumn ont chacune leurs rêves secrets, leurs colères, leurs soucis… et partagent aussi un peu de ceux de leurs parents. La famille Herbert est plutôt démunie depuis que le père, Huddle*, est incapable de travailler à la suite d’une blessure et que Blossom, la mère, étouffe son angoisse dans le tabac et la nourriture. Mais c’est une famille aimante et remuante, vivante en un mot ! Alors, quand il est question de « prêter » Stevie à la tante Bernice qui vit seule dans le New Hampshire, c’est la panique, des pleurs généralisés, un branle-bas de combat au milieu duquel l’absence d’Autumn au brunch dominical passe presque inaperçue…
Sans dévoiler la fin, disons que l’auteur est relativement elliptique sur les agissements de l’homme, une fois son rapt effectué : gifles, séquestration, baisers et caresses douteuses, nous n’en saurons pas plus mais c’est amplement suffisant pour motiver la rage de fuir d’Autumn – et le qualificatif de « monstre » que Fancy accordera finalement au kidnappeur. Fancy à qui reviendra le dernier mot de l’histoire, en forme de conte à faire peur.
La tonalité brillante, l’innocence colorée de la couverture du livre pourraient laisser penser à un roman « léger », une énième histoire pour jeunes filles romantiques, mais ce n’est qu’apparences et, n’est-ce pas, il ne faut pas s’y fier. Cette histoire-là est tendue comme un thriller, faisant découler l’angoisse du quotidien. L’alternance des points de vue participe de cette tension. Alternativement, l’histoire est racontée par trois des filles. Beauty – son « plan » pour quitter Malory et ses 5000 habitants, ses rêves fleur bleue de grande fille laide et ses soucis d’aînée/seconde maman – les chapitre de Beauty sont écrits à la 3° personne « elle » ; Fancy – la petite qui ne grandit pas, se débat avec « la Pulsion », invente des chansons pour éloigner ce qu’elle ne comprend pas – Fancy dit « Je » ; Autumn – la cadette qui a autant de difficultés avec l’orthographe qu’avec la forte personnalité de ses sœurs, Autumn doute de tout… et elle dit « tu ». L’auteure imbrique ces récits anodins et celui de l’homme qui les observe et désire en faire « ses » filles, de sorte que, un peu comme dans De la tendresse de Cormier, on se dit que l’inévitable horreur nous attend toujours à la page suivante. Une manière très efficace de faire monter l’angoisse du lecteur (et son avidité à poursuivre), tout en laissant dans l’ombre nombre de détails et nombre de questions en suspens. Une manière également de nous rendre les victimes potentielles très familières, très attachantes. Brrr…
Corinne Chiaradia (février 2009)
* je ne suis pas angliciste, mais ce roman présente une étonnante collection de noms propres improbables…
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