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Rechercher : Gros câlin

Le Nouveau

le nouveau.gifAlbum Noël
Didier Lévy (texte) et Matthieu Roussel (ill.)
Éd. Sarbacane | 4e trimestre 2004 - 14,90 €

Robert est un jeune homme ambitieux, publicitaire de son état. Un jour, ou plutôt une nuit qu’il roule sur une petite route de montagne, sa voiture tombe en panne. Il s’enfonce dans la forêt (et dans la neige) à la recherche de quelqu’un pour l’aider et… il tombe nez à nez avec le Père Noël et ses lutins! Le vieux monsieur barbu lui annonce qu’il est le nouveau Père Noël. Robert n’en croit rien et se fâcherait même si le lutin Django ne lui réparait vite fait sa voiture. De retour dans la vie «normale», Robert s’aperçoit vite que Django le suit partout mais qu’il est le seul à pouvoir le voir. Cela n’arrêtera pas Robert dans son irrésistible ascension sociale et professionnelle. Il prend de l’embonpoint, fume des cigares de plus en plus gros et atteint enfin le dernier étage de la tour. Il est le «Grand Chef». Un soir, il croise sa fille de dix-huit ans qui quitte la maison (il avait trouvé le temps de faire un enfant à sa femme) et sa femme lui annonce qu’elle le quitte. Robert comprend soudain (il était temps, mais mieux vaut tard que jamais, paraît-il) qu’il est passé à côté de sa vie. Dès le lendemain, tout change: il ne va plus travailler, ne quitte plus son pyjama, demande pardon à sa fille et se laisse pousser la barbe. Il part avec sa femme se promener dans la montagne et croise… les lutins qui l’attendent avec un beau manteau rouge et un tout nouveau traîneau (du genre vaisseau spatial).

Voilà un album qui sort du lot des gentils livres de Noël! Tout est insolent et amusant dans ce drôle de livre. La figure du publicitaire symbole de la réussite sociale n’est pas nouvelle (on pense au personnage joué par Kirk Douglass dans L’Arrangement, magnifique film d’Elia Kazan, ou dans le registre plus humoristique au mari de Samantha dans la célèbre série Ma sorcière bien aimée) mais la solution que Robert apporte au constat de l’échec de sa vie personnelle ouvre des perspectives nouvelles! Les images (de synthèse?) aussi sont à la fois très référencées (très sixties, justement) et très originales. Cerise sur le gâteau, le titre en lettres d’or brille de mille feux. Délicieusement kitsch. Comme dans Angelman, leur précédent album chez le même éditeur, Didier Lévy et Matthieu Roussel réussissent un cocktail décoiffant. À mettre entre toutes les mains…

Ariane Tapinos

(première publication de l'article : 1er décembre 2004)

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01/12/2009 | Lien permanent

L'Île | album d'Armin GREDER

île-greder.gifTraduit de l'allemand par Gaëlle Toquin et Claude Dagail
Éd. La Compagnie créative | octobre 2005 | 15€

Un jour, un homme venu sur un radeau de fortune débarque sur l'île. Les habitants l'observent et s'interrogent sur le sort à lui réserver. Certains, les plus nombreux, veulent le renvoyer par où il est venu et le jeter à la mer. Le pêcheur s'interpose en leur expliquant que cela reviendrait à le condamner à une mort certaine. Les habitants de l'île décident finalement de le recueillir et le conduisent dans une étable dont ils ferment la porte à clef. Satisfaits, ils retournent à leurs occupations. Jusqu'au jour où l'étranger s'étant échappé arrive dans les rues du village et déclenche, par sa seule présence, une émeute. L'homme parvient pourtant à leur faire comprendre qu'il a faim et le pêcheur à convaincre les îliens qu'il faut le nourrir, faute de quoi il mourra tout aussi sûrement qu'abandonné à l'océan. Mais les habitants de l'île résistent et expliquent «nous ne pouvons tout de même pas nourrir toutes les bouches qui nous arrivent». Le pêcheur a alors une idée: il faut employer l'étranger pour qu'il gagne sa pitance, tout en le payant bien moins qu'un autochtone. Mais là encore la méfiance l'emporte et, doutant des capacités de l'inconnu, les habitants décident finalement de lui donner les restes destinés aux cochons et de l'enfermer de nouveau dans l'étable. Seulement maintenant ils savent que l'homme est dans leur village, ils pensent à lui sans cesse, sa présence invisible sert à effrayer les enfants pas sages, et c'est comme s'il était partout. La peur grandit peu à peu et les habitants de l'île décident que l'homme doit partir. Ils le jettent à la mer sur son embarcation de fortune. Ils brûlent le bateau du pêcheur qui les avait convaincus d'accueillir l'étranger et ils tuent tous les oiseaux témoins de leur méprisable forfait.

La parabole est un peu appuyée mais très efficace. On pense bien sûr à ces africains rejetés sur les plages des côtes européennes. On pense aussi à tous les discours haineux qui entretiennent la peur de l'autre et justifient le pire. Des discours qui portent haut ses derniers temps, comme dans les années les plus obscures de l'histoire récente.

Les dessins sont très beaux, très sombres. La manière qu'ils ont parfois de contredire le texte est saisissante, comme lorsque les habitants de l'île «recueillent» l'inconnu alors qu'on les voit le pousser de leurs fourches vers l'étable où ils l'enfermeront. Le contraste aussi entre l'homme maigre et nu et les îliens gros et ventripotents, engoncés dans leurs habits gris, est très parlant. À signaler également la mise en page: fonds blancs sur lesquels se découpent les dessins au crayon, ou plusieurs vignettes sur fonds de couleur qui occupent le centre de la page et racontent un moment de l'histoire. Par son contenu comme par sa forme, L'île est un album difficile et rare qui tranche dans la production de la fin de l'année 2005.

Ariane Tapinos
(première publication de l'article: 11 février 2006)

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06/12/2008 | Lien permanent

LE SAPIN DE NOËL DE LULU

noël,sapin,écologiealbum-cd 
de Daniel PICOULY & Frédéric PILLOT (illustrations)
Raconté par Daniel Picouly
Éd. Magnard jeunesse, novembre 2014 – 14,90€

Lulu Vroumette est réveillée en sursaut par un vilain bruit, un « Grreum-Zeu ! Grreum-Zeu ! » qui revient tous les ans. Mais cette année Lulu décide de mener l'enquête pour découvrir qui est à l'origine de tout ce grabuge... Et ce qu'elle voit ne lui plaît pas du tout ! Lulu est très en colère. C'est un grand bûcheron qui coupe les sapins avec une terrible scie. Et oui, dans quelques jours c'est Noël et il va rapporter tous ces sapins aux enfants qui n'en ont pas encore. Mais Lulu le supplie de laisser sain et sauf son dernier ami encore sur pied. Le bûcheron accepte. C'est alors qu'elle entend son sapin pleurer à gros sanglots... Il voulait être un sapin de Noël lui, il voulait être décoré, côtoyer des montagnes de cadeaux et voir les enfants s'émerveiller ! Lulu se sent stupide, il lui faut vite une solution.

Tous les animaux de la forêt s'y mettent et ils décident de décorer le dernier des sapins coûte que coûte et d'écrire au Père Noël pour qu'il vienne déposer quelques cadeaux sous ses branches. Mais il bien trop tard pour prévenir le Père Noël... Alors c'est Lulu qui va le remplacer, pour cette année ! Car « Qu'on se le dise, l'année prochaine, le Père noël viendra lui-même, pourvu qu'à temps on le prévienne, pourvu, pourvu (...) Foi de Lulu

On retrouve ici notre célèbre Lulu Vroumette dans un de ses nombreux combats pour défendre la nature. Ce récit soulève une question « épineuse » : nous détruisons une part importante des forêts chaque année pour Noël en coupant de nombreux sapins mais la majorité d'entre eux sont cultivés pour ceci précisément... Que faire ?

Une jolie histoire de noël qui se termine dans la joie. Même si l'homme au manteau rouge ne pointe pas le bout de son nez, la fête est réussie pour tous nos petits amis. La prose en rime de Daniel Picouly, toujours amusante et riche, accompagnée des belles illustrations de Fédéric Pillot, sont un plaisir pour les yeux et pour les oreilles. Ce livre est vendu avec un cd sur lequel Daniel Picouly nous lit l'histoire sur fond musical et entrecoupée d'un petit bruit de baguette magique pour savoir quand tourner la page.

Entre les « Grreum-Zeu ! » et les noms des animaux tous aussi farfelus les uns que les autres, un bon moment de lecture ou d'écoute, « Foi de Lulu ! ».

Chloé Boulanger (novembre 2015)

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29/11/2015 | Lien permanent

MÉCHANT KURT !

Méchant Kurt !.jpgroman Jeunes lecteurs
de Erlend LOE
Traduit du norvégien par Jean-Baptiste Coursaud
Éd. La Joie de Lire, janvier 2007, 121 pages - 8€

Kurt et sa petite famille viennent de rentrer de leur tour du monde et ont retrouvé leur train-train quotidien : travail, école, nettoyage hebdomadaire du Fenwick, consommation effrénée de soda et soirées barbantes devant la télé. Kurt commence à trouver qu’il ne s’amuse pas beaucoup dans la vie, il aimerait bien repartir en voyage. Mais voilà, il n’y a plus assez d’argent. Kurt se dit alors qu’il aimerait vraiment avoir plein plein d’argent. Anne-Lise, elle, aimerait en avoir juste un peu pour pouvoir repartir, elle pense qu’avoir plein plein d’argent est une chose dangereuse, que ça rend mauvais. Kurt n’est pas d’accord et comme c’est un type vraiment verni, il trouve la richesse dès le lendemain en sauvant de la noyade un matelot qui lui offre en remerciement un TRÈS GROS diamant.Une fois le diamant vendu, Kurt se retrouve à la tête d’une montagne de billets de cinq mètres de haut et décide de s’amuser pour le restant de ses jours. Il quitte son travail, peint son Fenwick en doré, achète un costume trois pièces, un téléphone portable, une perceuse,un trampoline et commence à devenir franchement désagréable avec qui n’est pas de son avis.Mais à quoi bon avoir plein plein d’argent si on a aucune influence. Kurt veut pouvoir prendre des décisions importantes et être interviewé dans le magasine « Votre argent ». Il décide alors de devenir Premier Ministre*. Il bombarde Bud – son petit dernier – chef de campagne et commence la chasse aux électeurs.La campagne s’annonce mouvementée d’autant que la dame qui est Premier Ministre se représente et qu’elle est hyper-sympa et hyper-populaire, et que Kurt n’est pas exactement un bon perdant..

Ce second opus des aventures de Kurt est une caricature absolument jubilatoire des campagnes électorales : obnubilé par le pouvoir, complètement démago et même méchant notre Kurt ne fait rien comme tout le monde, et son inexpérience de la chose publique donne lieu à de savoureux moments (le débat télévisé est particulièrement drôle). À lire de toute urgence en cette période électorale, d’autant qu’on peut parier qu’aucun candidat de notre présidentielle n’aura de meilleur slogan :

« Y a pas meilleur que Kurt.
Kurt Kurt Kurt Kurt est le meilleur.
Le meilleur, le meilleur, le meilleur.
Bravo Kurt, Vive Kurt.
Bravo, bravo, bravo ».

Nathalie Ventax (première publication : février 2007)

* Version norvégienne de notre président.

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01/03/2017 | Lien permanent

Un poisson très doué | album de Chris WORMELL

Poisson.jpgTraduit de l’anglais par Claude Lager
Éd. Pastel | sept. 2010
12,50€

Il y a bien longtemps, l’océan était rempli de poissons de toutes sortes: des gros, des petits, des longs, des ronds, des gentils, des féroces, des à rayures, des tachetés, des multicolores… Parmi tous ces poissons un se distinguait par son intelligence. Il ressemblait au banal poisson gris qu’on trouve aujourd’hui sur l’étal du poissonnier mais il était «très doué». Il savait chanter, danser, jouer la comédie, jouer aux échecs… Son intelligence alimentait sa curiosité, alors il regardait la plage avec envie se demandant comment partir à la découverte du monde terrestre. À force d’y réfléchir, il eut une idée: il lui fallait des pieds! Comme il était surdoué, il n’eut aucun mal à se fabriquer deux paires de pieds qu’il enfila sur ses nageoires. Et un jour, devant ses congénères ahuris, il partit sur la terre ferme et fut ainsi la «toute première créature au monde» à s’y aventurer. Mais très vite, il s’ennuya, seul sur la terre et reparti dans son monde aquatique.

Seulement, voilà: l’idée de marcher avait germé dans les petites et grandes cervelles des créatures de l’océan et des millions d’années plus tard, d’autres poissons tentèrent l’expérienc. Mais «comme ils n’étaient pas suffisamment intelligents pour se fabriquer des pieds, ils rampèrent sur la plage en utilisant leurs nageoires» qui, encore des millions d’années plus tard, se transformèrent en pattes, puis en pieds… Et c’est ainsi que l’homme est apparu sur la terre!

Chris Wormell nous avait déjà régalé l’année dernière du génial Attention, bêtes féroces! * le voici de retour avec cette hilarante histoire de l’É volution pour les petits. Avec un trait très classique (et des couleurs chatoyantes), qui accentue le décalage humoristique, il distille, tel son poisson surdoué, de l’intelligence dans une histoire qu’on aura plaisir à lire et relire. Comme pour son précédent album, il maîtrise parfaitement la durée et la tenue du récit et réussit, avec une certaine économie de moyens, à nous raconter une histoire qui en dit plus qu’elle n’en a l’air. Cette juste proportion entre texte, image, histoire, sens… est ce qui fait de cet album, à peine paru, déjà «un classique», dans le sens le plus noble du terme.

Ariane Tapinos (novembre 2010)

* Attention, bêtes féroces, éd. L'école des loisirs, 2009, 12,50€.
Voir aussi Les Deux Grenouilles : fable drôle et profonde sur la prévention sécuritaire et l'art de se préparer à la guerre (éd. Kaléidoscope, 2003, malheureusement épuisé)


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26/11/2010 | Lien permanent

TROIS PORTUGAIS SOUS UN PARAPLUIE (SANS COMPTER LE MORT)

3 Portugais.jpgalbum
de Rodolfo WALSH & Inés CALVEIRO (illustrations)
Traduit de l'argentin par Judes Des Chênes 
Éd. Des 400 coups, novembre 2017, 24 pages – 13,50€

« Le premier Portugais était grand et élancé
Le deuxième Portugais était petit et gros
Le troisième Portugais était de taille moyenne
Le quatrième Portugais était mort »

Par une nuit d'orage, quatre Portugais attendent à une intersection sous un parapluie. Pour optimiser leur chance de repérer un taxi, le premier Portugais regarde vers le nord, le deuxième Portugais vers l'est, le troisième vers le sud et le quatrième vers l'ouest. PAN ! Le quatrième Portugais s'effondre sur le sol, une balle dans la nuque.

- Qui l'a tué ? demanda le commissaire Jimenez.
- Pas moi, dit le premier Portugais
- Ni moi, dit le deuxième Portugais
- Ni moi non plus, dit le troisième Portugais. Le mort, bien-sûr, resta sans voix...

Et pourtant, le commissaire Jimenez et son adjoint Daniel Hernandez en ont l'intime conviction : « L'un tua, l'un mourut , les autres ne virent rien ». Commence un long interrogatoire, à l'issue duquel :
« Le premier Portugais rentra chez lui.
Le deuxième Portugais en prison, dort.
Le troisième Portugais prit le parapluie.
Le quatrième Portugais était mort. »

Comment le commissaire Jimenez et son adjoint Hernandez ont-ils réussi à démasquer le coupable ? Un indice ? Les quatre Portugais portaient un sombrero.

Une véritable énigme digne des meilleurs classiques de la littérature policière où l'on mène l'enquête en même temps que le commissaire Jimenez et son adjoint Hernandez. suivant pas à pas les déductions des deux policiers.

Un album original et hilarant signé Rodolfo Jorge Walsh, un Argentin considéré dans son pays comme le fondateur du journalisme d'investigation, illustré avec brio par Inès Calveiro qui s'amuse elle aussi des codes du roman policier, mêlant le rouge du parapluie et du sang à ses dessins tout en découpages très graphiques gris et noirs et la typographie imite, comme un pied de nez, l'écriture des vieilles machines à écrire (et du coup des vieux procès verbaux !). Une lecture jubilatoire ! D'ailleurs la Foire de Bologne ne s'y est pas trompée, en décernant à cet album, la mention spéciale dans la catégorie « new horizons » en 2016.

Claire Lebreuvaud (mai 2018).

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21/05/2018 | Lien permanent

QUANS LA TOILE S'ENFLAMME…

femmes (droits des),fille,puberté,égalitéIl y a tout juste quatre ans, un dirigeant de la droite défrayait la chronique et embrasait les réseaux sociaux pour avoir vilipendé un album jeunesse, Tous à poil !

L’époque était aux cortèges bleus et roses des manifestants anti-mariage pour tous et aux polémiques anti prétendue « théorie du genre ». Ces tenants d’un monde bien rangé, conforme à l’idée qu’ils se font des rôles des femmes et des hommes, on eut la peau des Abcd de l’égalité sans que cela ne déclenche d’émeutes sur le net ni dans la rue. Heureusement, leur offensive contre le mariage pour tous aura été vaine et il est désormais inscrit dans la loi

Quatre ans plus tard, ces mêmes réseaux sociaux bruissent d’une révélation loin d’être inédite : les femmes sont souvent, si souvent, victimes d’abus de pouvoir de la part des hommes. Abusées, harcelées, violentées, violées… Ce qui est inédit en revanche, c’est qu’elles ont décidé de révéler l’ampleur du problème et de dire haut et fort qu’elles n’acceptent plus cet état de fait. Que cette violence si longtemps tue, parce qu’elle est enfin massivement dite, ne passera plus par elles.

Et toutes et tous de regarder de près ce qui avait échappé à beaucoup. Tous ces endroits où se nichent l’inégalité et la violence. Aujourd’hui, les réseaux sociaux se font la caisse de résonance de ce formidable élan, de cette incroyable et merveilleuse aspiration à l’égalité et à la fin de l’impunité des harceleurs et autres sales types.

Dans cet emballement salvateur, quelques dérives, quelques dérapages mais tant d’espoir et de liberté exprimés que ce n’est pas ce qui me dérange aujourd’hui.

 

Non, ce qui me met en colère c’est comment une mode en chasse une autre. Ceux qui hier - et peut-être même encore aujourd’hui - s’accommodaient du sexisme ordinaire, se dressent désormais en parangons du féminisme. Ces féministes de la dernière heure prompt à dénoncer (sans plus de réflexion que les énervés d’il y a quatre ans) ce qui, il y a peu encore ne les dérangeait pas tant que ça. Tellement rapides, même, qu’en une semaine ils ont déjà retourné leur veste et dénoncent désormais les risques des réseaux sociaux !

De quoi parle t-on ? D’un documentaire jeunesse publié par les éditions Milan, pas toujours très fin mais franchement anodin, issu d’une série de bande dessinée qui met en scène quatre pré-ados dans leur vie quotidienne. Dans On a chopé la puberté, quatre copines expliquent comment elles vivent ce moment particulier du passage à l’âge adulte et donnent des conseils à leurs lectrices (ou leurs lecteurs pour les garçons qui se passionneraient pour les règles !)

Avec son côté prude (les organes sexuels, on en parle mais on ne les montre pas, quant à la sexualité, elle semble n’avoir rien à voir avec la puberté !), ses images conventionnelles et certaines assertions, comme ce passage sur les bouts de sein qui ne devraient pas se montrer, ce documentaire peut prêter à la critique mais dans l’ensemble, il n’a rien de scandaleux. Les autrices écrivent aussi, à propos de la puberté : « La seule certitude c’est qu’on va toutes y passer. Tu veux savoir comment traverser cette période sans paniquer ? En évitant de te comparer aux autres ! ».

Une lecture complète de ce documentaire montre que ses autrices, au travers de leurs quatre personnages bien différents, ont voulu proposer une variété de points de vue, des manières différentes (et sûrement pas exhaustives) de vivre la puberté. Les images tronquées qui ont enflammé la toile ne rendent pas justice à l’ouvrage. Et le procédé qui consiste à isoler un élément d’une double page, est franchement malhonnête. Ces images ainsi reproduites à l’envie ne peuvent que heurter quiconque est soucieux de l’égalité des sexes et du respect du aux femmes (comme aux hommes, parce qu’après tout, ils ont bien le droit, « gros lourds » ou pas, de ne pas aimer les gros seins !).

Tout ça pourrait prêter à rire si les pétitionnaires, ne réclamaient pas que « ce livre soit retiré du marché et que les éditions Milan présentent des excuses ». Ça vous rappelle quelque chose ?

Parce que oui, vous avez bien lu : il ne s’agit pas de débattre, amender, commenter et pourquoi pas contredire, un livre, mais d’obtenir sa disparition. A ce compte là, il va falloir faire un grand ménage dans nos librairies ! Parce que des livres bêtes (bien plus encore que celui-ci), dogmatiques, moches (mais qui suis-je pour m’ériger en arbitre des élégances ?) et surtout parfaitement inutiles, nous en recevons tous les jours ! Et ce qui fait l’intérêt de notre métier de libraire, c’est d’en conseiller d’autres !

Alors oui, je récuse à ces 148 237 pétitionnaires (combien de lecteurs du livre incriminé parmi eux ?) le droit de m’imposer ce que je souhaite conseiller ou pas dans ma librairie.

Ariane Tapinos

Tous à poil !, Claire Franek & Marc Daniau, Éditions Du Rouergue, 2011

On a chopé la puberté, Séverine Clochard,‎ Mélissa Conté,‎ Anne Guillard, éditions Milan 2018

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13/03/2018 | Lien permanent

RENCONTRE avec Karim Ressouni-Demigneux

karim_Ressouni_Demigneux.jpg

Cité_1.gifSamedi 17 novembre 2012
à 15h30 

Rencontre  dédicace
avec Karim Ressouni-Demigneux
,
auteur notamment de La Cité, série d’anticipation dont le troisième volet paraît ce mois-ci,
aux éditions Rue du monde.

En partenariat avec le Conseil général de Dordogne, la BDP 24 et Ecla Aquitaine.

Du 1er octobre 2012 au 31 janvier 2013, Karim Ressouni-Demigneux est invité en résidence d'écriture sur le territoire de trois communes de Dordogne : Vergt, Coursac et Grignols. Epaulé par les bibliothécaires et les membres du Collectif des Associations du canton de Vergt, l'auteur va partager son temps entre son travail d’écriture personnelle et des rencontres ou des ateliers d’écriture.

Il a accepté, pour notre plus grand plaisir, de faire une petite escale à Comptines pour rencontrer ses lecteurs-trices bordelais-es.

Plus d'info sur la résidence de Karim Ressouni-Demigneux en Dordogne cliquer ICI.

 

Karim Ressouni-Demigneux

Né en 1965 d'un père marocain et d'une mère bourguignonne, Karim Ressouni-Demigneux s'est d'abord passioné pour l'histoire de l'art (il est titulaire d'un doctorat) et il a participé à de nombreux ouvrages collectifs dans ce domaine, en particulier autour de l’art religieux du Moyen-Âge et de la Renaissance. Depuis une dizaine d'années, il écrit également pour des romans et des albums pour la jeunesse, tous publiés aux éditions Rue du monde.

« Il se fond souvent dans la peau des plus jeunes pour raconter ses histoires, et il le fait avec un humour débordant et une tendresse sans bornes. Abordant des sujets plus ou moins graves, son écriture reste toujours limpide et pudique. Dans son dernier roman, La Cité, série qui tient le lecteur en haleine depuis 2 tomes, il nous entraîne dans l’univers quotidien d’un petit groupe d’adolescents, univers réel et virtuel dans lesquels, ils doivent se faire une place. Un véritable coup de cœur de lecture ! » Extrait du programme de la résidence

 

Petite Biblio

Cité_3.gifLa Cité
T3 : Le Pacte des Uniques
Éd. Rue du monde, nov. 2012
320 pages - 17,80 €
Roman Ados

Cité_2.gifLa Cité
T2 : La Bataille des Confins
Éd. Rue du monde, mai 2012
240 pages - 16,50 €
Roman Ados

Cité_1.gifLa Cité
T1 : La Lumière blanche

Éd. Rue du monde, 2011
240 pages - 16,50 €
Roman Ados

Petit Pablo.gifPetit Pablo deviendra Picasso
Illustrations de Zaü
Éd. Rue du monde, coll. Petit deviendra grand, 2011
44 pages - 9,70 €
Album

j'ai oublié mes parents.gifJ’ai oublié mes parents
Illustrations de Julia Chausson
Éd. Rue du monde, 2009
16,50 €
Album

je ne pense qu'à ça.gifJe ne pense qu’à ça
Illustrations de Monique Czarnecki
Éd. Rue du monde, coll. Roman du monde, 2009
112 pages - 10,80 €
Roman jeunes lecteurs

Ogre.gifL’Ogre
Illustrations de Thierry Dedieu
Éd. Rue du monde, 2007
16,50 €
Album

je suis un gros menteur.gifJe suis un gros menteur
Illustrations de Daniel Maja
Éd. Rue du monde, coll. Roman du monde, 2005
112 pages - 10,80 €
Roman jeunes lecteurs

ce matin mon grand pere.gifCe matin, mon grand-père est mort
Illustrations de Daniel Maja
Éd. Rue du monde, coll. Roman du monde, 2003
110 pages - 10,80 €
Roman jeunes lecteurs

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15/11/2012 | Lien permanent

Les machos expliqués à mon frère - Interview de Clémentine Autain

Autain.C©Ph. Matsas-Opale3_1.jpgOn n'a pas tous les jours l'occasion de se féliciter de la parution d'un livre féministe, et encore moins d'un livre qui explique le féminisme aux plus jeunes. Alors quand le livre de Clémentine Autain est arrivé à la librairie, en ce début d'année scolaire, il a trouvé une place de choix à Comptines et il a été évident, tout de suite, qu'il serait l'objet de cette chronique.  Personnalité atypique du monde politique français (femme, féministe, jeune... Enfin, je ne sais pas jusqu'à quand on est "jeune", mais en France et en politique, c'est sans doute au moins jusqu'à la cinquantaine), Clémentine Autain a toujours déployé son engagement féministe entre l'action politique et le travail de réflexion. Son livre, Les machos expliqués à mon frère est au cœur de ces deux méthodes : une réflexion sur le féminisme, son histoire et son actualité, et une action en direction des plus jeunes, parce qu'il n'y a pas de pente naturelle vers l'égalité, mais un combat quotidien qui passe aussi par l'éducation.

Ariane Tapinos : - Pourquoi ce titre ? Est-ce que le livre ne devrait pas plutôt s'appeler "le sexisme expliqué à ...", voire "le féminisme" ... ? J'imagine que c'est un choix de l'éditeur ? Est-ce que c'est parce que "sexisme" et "féminisme" sont un peu des gros mots dans le langage courant médiatique ? Je me rappelle d'interminables réunions au MFPF pour savoir ce qu'il fallait faire de l'emploi du mot "féminisme"... Et il y a toutes ces femmes qui disent "je ne suis pas féministe, mais...". Je sais par ailleurs que Geneviève Fraisse a eu le plus grand mal à garder son titre Le mélange des sexes, pour son ouvrage chez Gallimard Jeunesse, parce que "sexe"...

Clémentine Autain : - En effet, j'avais proposé "le féminisme expliqué à..." Le titre final fut induit par l'éditrice. Pas parce que "féminisme" ou "sexisme" sont des gros mots mais parce qu'ils ne sont pas très populaires - et donc peu vendeurs. Les livres sur les femmes ne font généralement pas recettes, les éditeurs le savent... "Les machos" présentait l'avantage de s'adresser à tout le monde, plus largement. C'était aussi sans doute plus drôle et peut-être moins moralisateur. Mais les questions d'Alban, mon frère, ont globalement trait aux sexisme et à l'histoire de l'émancipation des femmes. Et tout au long du livre, je revendique haut et fort le terme de féminisme.

couv machos_1.jpg- Dans l'échange avec Alban, vous vous étonnez (faussement, j'imagine !?), de sa méconnaissance de l'Histoire des femmes (ou plutôt de la part des femmes dans l'Histoire). Est-ce que cette transmission-là n'est pas l'un des enjeux les plus importants, et les plus malmenés, du féminisme contemporain ? Je dis "malmené" , parce qu'il me semble que les femmes (et les féministes) participent souvent de cette réécriture de l'Histoire qui les nie et les ridiculise. Au lieu de faire l'éloge de l'humour qui a caractérisé les actions du féminisme dans les années 70, on ne retient que les sous-tifs brûlés... Comment faire cet effort de transmission auprès des jeunes générations ? 

- L'enjeu de la transmission est fondamental. C'est compliqué parce que ça touche à l'intime, à l'identité, à la sexualité, au quotidien. Mais c'est l'une des raisons de ce livre. L'Histoire des femmes est récente en France. Elle manque de reconnaissance et de moyens. Les manuels scolaires racontent l'histoire des grands Hommes. Quant au féminisme, il est plus qu'absent : invisible. J'étais très étonnée  qu'Alban n'ait jamais entendu parler d'Olympe de Gouges. Il ne connaissait comme féministe que Simone de Beauvoir. C'est inquiétant...

- Parfois, et parce qu'on a notre réputation à Comptines (!), un client entre (enfin, plus souvent une cliente) et nous dit "je cherche des livres non sexistes"... Comme s'ils l'étaient tous (sexistes) et qu'il fallait donc débusquer les quelques-uns acceptables ! Faut-il en retour traquer les clichés sexistes ?
- La chasse aux jouets et livres les plus sexistes est une bonne méthode si elle ne confine pas à des règles trop strictes potentiellement contre-productives. L'explication dès le plus jeune âge des enjeux liés à l'identité sexuée et sexuelle et le décryptage des objets et histoires sexistes valent sans doute mieux que l'interdiction et la moralisation à tout bout de champ. Mais si nous ne prenons pas garde à construire des univers de jeux et de livres mixtes, les catégories imposées vont vite s'inviter partout. Et je ne dis pas que c'est simple !

- Pour en venir au cœur de votre livre :  Vous y dressez une sorte d'état de la condition des femmes dans le monde et en France.  Pouvez-vous revenir un peu sur cet aspect des choses... Et sur "l'ethnicisation" rampante d'un certain féminisme français, qui tend à populariser l'idée que la discrimination ne concerne plus que les banlieues et les populations d'origine maghrébines. 

- Je tiens énormément à l'idée que le sexisme se développe dans tous les milieux sociaux. Et ce, pour deux raisons.  D'abord, dans mon propre espace politique, certains continuent de penser que tous les combats sont solubles dans l'anticapitalisme. Autrement dit, quand la lutte des classes aura porté ses fruits, tout le reste viendra. L'intellectuel slovène Salvoj Zizek, très en vogue chez les jeunes intellos de la gauche radicale, estime que le féminisme détourne des combats importants et qu'il est même dangereux car l'égalité hommes/femmes peut être récupérée par le capitalisme. Dire que le féminisme transcende les problématiques de classes est dès lors assez fondamental ! Cela ne signifie pas qu'il n'y a pas d'articulation à rechercher entre les combats émancipateurs (féminisme et marxisme) mais que le féminisme n'est pas soluble dans la lutte des classes. Dit autrement, si les inégalités sociales disparaissaient, le patriarcat pourrait continuer à vivre.  Ensuite, la dernière période a vu l'émergence d'un nouvel ennemi principal : le garçon arabo-musulman, devenu responsable du sexisme en France. Comme s'il n'y en avait plus ailleurs qu'en banlieue. Comme si les cadres blancs bien de chez nous ne comptaient plus de machistes. Des mouvements, comme Ni Putes Ni Soumises, ont contribué à ériger cette figure, avec le soutien et la bienveillance de nombreux médias, intellectuels ou politiques, qui ont trouvé là une manière de dédouanner d'autres espaces de discriminations sexistes. Il y a évidemment un complexe de supériorité culturel qui se cache dans le stéréotype du jeune garçon arabo-musulman des quartiers. Ceci dit, de nombreux sociologues ont montré combien le sentiment d'humiliation et de relégation de ces jeunes garçons pouvaient conduire à des comportements virils, qui permettent une réassurance narcissique.

- Vous abordez la question des violences faites aux femmes. Cette question, outre qu'elle fonde, en partie, votre engagement féministe, est sans doute l'une des plus importante qui soit, et ce dès l'adolescence (pour ne pas parler d'avant...). Comment percevez-vous les violences sexistes à cet âge et aujourd'hui ? Augmentation ? Banalisation ?

- Je ne crois pas à la banalisation des violences sexistes. Y a-t-il chez les adolescents une recrudescence ? Je préfère laisser le diagnostic aux spécialistes. Mais, depuis les années 1970, la prise en compte du viol, de la prostitution, des violences conjugales, du harcèlement, etc. est de plus en forte, on ne saurait le nier. Cela doit porter ses fruits. La hausse des plaintes est sans doute un indicateur que les langues peuvent se délier. Mais nous sommes très très loin du compte. Le tabou reste extrêmement fort, la honte continue de peser sur les femmes. Par ailleurs, les moyens et la volonté politique manquent cruellement pour informer, sensibiliser, prévenir ces violences. Au fond, ces violences commencent à peine à sortir de la sphère privée...


Pour poursuivre la discussion, il faut vous précipiter sur Les machos expliqués à mon frère, une lecture pleine d'humour et d'intelligence, qui s'adresse autant aux adolescents qu'à leurs parents. Et, un bonheur n'arrivant pas toujours seul, on ne peut manquer de signaler, ici, la parution, aux éditions Actes Sud Junior, dans l'excellente collection Ceux qui ont dit non, d'un livre sur le combat de Simone Veil contre les avortements clandestins (Simone Veil,  "Non aux avortements clandestins", de Maria Poblete, à paraître en mars 2009). Une manière à peine détournée de parler de son combat POUR le droit à l'interruption volontaire de grossesse. Finalement, outre Il n'y a pas si longtemps, publié aux éditions Sarbacane, et Le droit de choisir : l'IVG en France et dans le monde, aux éditions Syros Jeunesse, on n'a pas vu ce sujet souvent abordé en littérature jeunesse sous l'angle de la conquête d'une liberté.


Propos recueillis par Ariane Tapinos


Les machos expliqués à mon frère aux éditions du Seuil, dans la collection Explique-moi, octobre 2008, 112 pages, 7€
Photo : Clémentine Autain ©Ph. Matsas



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08/03/2009 | Lien permanent

Le Grand Livre pour sauver la planète | documentaire de Brigitte BEGUE et Anne-Marie THOMAZEAU

Grand livre sauver planète.gifIllustrations de PEF
Direction éditoriale Alain Serres
Avec la participation de Yann Arthus-Bertrand, Allain Bougrain-Dubourg, Jean-Louis Étienne, Jean-Marie Pelt et Aminata Traoré
éd. Rue du Monde | juin 2009 | 128 pp. - 22,50€

Tout savoir sur l'écologie, le retour du retour. Le Grand Livre pour sauver la planète n'est le premier ni de sa collection (chaque question de société a son Grand Livre chez Rue du Monde), ni du concept «bouquin encyclopédique et de sensibilisation des 8-13 ans aux questions d'écologie». Le résultat est encore une fois impressionnant, riche non seulement en illustrations (les gags de Pef et des photos en noir et blanc dont on sent que certaines acceptent mal de quitter leurs couleurs originelles), mais aussi en informations, dans le texte principal et dans ses à-côté (les «bonnes nouvelles», «alertes», autres notes marginales et grands témoins dont l'entretien clôt chaque séquence de deux chapitres). Le livre, pour foisonnant qu'il soit, respire agréablement, sa langue et sa mise en page sont claires.

La progression est assez classique, qui met d'abord en avant de grands dossier environnementaux (eau, forêt, air et pollutions, climat, déchets). Chacun est abordé depuis son versant scientifique, avec force chiffres, avant de devenir un thème de société. Toujours la même hésitation au sujet de l'écologie, discipline scientifique devenue pensée politique. Une approche sociale (l'indispensable solidarité avec nos 6 milliards de colocataires de la planète Terre) vient compléter l'ouvrage, qui s'achève sur des réponses (les éco-gestes, l'engagement associatif) à la malheureuse question: «mais qu'est-ce qu'on peut faire? ». Air connu donc, et ici Rue du Monde ne rompt pas avec les bonnes habitudes.

L'une d'elles consiste à dépolitiser les questions écologiques, pour permettre aux plus jeunes (dont le devoir sera de «faire passer le message» aux générations perdues, comme le souhaite Allain Bougrain-Dubourg) d'intégrer la vulgate écologique du moment. D'emblée l'écologie politique est désavouée, avec la mention de «slogans inscrits sur des tracts ou des banderoles, comme c'est le cas depuis plus de trente ans». Les théoriciens de l'écologie, de Serge Moscovici à René Dumont, en passant par Jacques Ellul et André Gorz, apprécieraient de voir leur œuvre réduite à des «slogans». Plus loin, crédit est fait aux associations et partis qui se sont emparés de la question écologique d'avoir sensibilisé les auteurs des politiques publiques en la matière. Ouf.

Mais cette incohérence n'est ni la première ni la dernière, et le livre fourmille de propos modalisés («les consommateurs que nous sommes sont toujours un peu responsables»), de réserves («la France se contente de conseiller aux agriculteurs et aux jardiniers d'être prudents en manipulant [les pesticides]») immédiatement suivies de cris de victoires («les coccinelles et les fleurs sauvages vont se réjouir!») ou surmontées par un optimisme de bon aloi («c'est déjà ça!» pour le Grenelle, «c'est mieux que rien» pour l'évaluation a minima des substances chimiques présentes sur les marchés européens – ou projet REACH). C'est le royaume des mais, néanmoins et malgré tout, avec une hésitation constante à propos de la tête sur laquelle faire porter le chapeau.

Manque de «discipline», de «responsabilité», «d'efforts» de la part des individu-e-s? Ou emprise des entreprises sur la vie publique? Si certaines responsabilités sont nommément citées (l'exploitant de forêts boréales et fabricant de Kleenex Kimberly-Clark), d'autres restent tues (ah! ce drame de l'exploitation des bois tropicaux africains dont il serait indélicat d'accuser le papetier français Bolloré, patron de presse et ami du président de la République). Et toujours l'on tourne autour du pot: les hommes d'affaires, les industriels, l'organisation du commerce, les grands groupes… ne seraient-ils pas des substituts au gros mot capitalisme? Aminata Traoré crache le morceau et avoue la faute au «système économique libéral». Enfin! On avait fini par imaginer que les problèmes de sous-alimentation au Sud n'étaient qu'un problème de production agricole…
On apprécie quelques partis pas si facile à prendre, comme les arguments en faveur du nucléaire qui n'arrivent pas à balancer ceux qui s'y opposent, ou la relativisation de l'impact climatique de la Chine, quand un-e Chinois-e émet encore deux fois moins de gaz à effet de serre qu'un-e Français-e. Il aurait été plus facile de se contenter de la condamnation des 4x4, des OGM et de l'inaction de gouvernements abstraits.

Mais d'autres prises de position auront de quoi faire hurler les écolos: «la bio ne peut répondre aux besoins alimentaires de toute la planète», le TGV est plus écologique que le train, la décroissance est un mouvement réactionnaire qui ne propose que du moins. Car si ce Grand Livre semble dépolitisé, il est néanmoins porteur des valeurs productivistes qui irriguent toujours notre pensée. Progressiste: «depuis six millions d'années les hommes ne cessent ainsi d'améliorer les conditions de vie»… On demande à voir, entre détérioration de l'environnement et régression sociale, si le mouvement de l'Humanité a toujours été celui d'un progrès égal. Et si, fruit de ce progrès, le grille-pain est vraiment aussi indispensable à une vie confortable que le lave-linge! Techniciste: tour à tour le dessalement de l'eau de mer, les avions solaires et les vaccins pour neutraliser la flore intestinale des vaches et les empêcher d'émettre du méthane sont présentés comme des solutions qui permettront (dans un futur imprécis) de résoudre nos petits soucis écologiques tout en ne changeant rien (à notre sur-consommation de viande, par exemple). Pourtant l'aventure racontée ici du pot catalytique, dont les bienfaits se sont trouvés noyés dans l'usage accru de la bagnole, aurait pu aider à remettre en question le recours si pratique à la solution technique.

L'ouvrage ne se déprend pas non plus d'une confusion entre l'être humain et son milieu, dans une anthropomorphisation de la nature, qui dit merci à la dame (les rivières sont contentes, les coccinelles ravies) tandis que la planète qu'il s'agit de sauver signifie aussi bien, dans une métonymie qui commence à devenir fatigante, «milieu de vie de l'être humain», «conditions de la vie humaine dans ce milieu», parfois même «Humanité». D'où le rappel de Jean-Louis Étienne: «c'est l'homme qu'il faut sauver, pas la planète!».
Les auteures de Rue du Monde, sous la direction d'Alain Serres, ne sortent pas des sentiers battus de l'écologie à l'usage des jeunes générations et nous livrent un nouveau bouquin ambitieux, bien fichu et, malgré ses grandes qualités, limité. Leurs hésitations et leurs incohérences ne leur sont toutefois pas propres, et viennent plutôt d'une pensée qui domine toujours en matière d'écologie et qu'il faudra un jour cesser de transmettre aux plus jeunes…

Aude Vidal (juillet 2009)

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30/08/2009 | Lien permanent

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