08/03/2009
Les machos expliqués à mon frère - Interview de Clémentine Autain
On n'a pas tous les jours l'occasion de se féliciter de la parution d'un livre féministe, et encore moins d'un livre qui explique le féminisme aux plus jeunes. Alors quand le livre de Clémentine Autain est arrivé à la librairie, en ce début d'année scolaire, il a trouvé une place de choix à Comptines et il a été évident, tout de suite, qu'il serait l'objet de cette chronique. Personnalité atypique du monde politique français (femme, féministe, jeune... Enfin, je ne sais pas jusqu'à quand on est "jeune", mais en France et en politique, c'est sans doute au moins jusqu'à la cinquantaine), Clémentine Autain a toujours déployé son engagement féministe entre l'action politique et le travail de réflexion. Son livre, Les machos expliqués à mon frère est au cœur de ces deux méthodes : une réflexion sur le féminisme, son histoire et son actualité, et une action en direction des plus jeunes, parce qu'il n'y a pas de pente naturelle vers l'égalité, mais un combat quotidien qui passe aussi par l'éducation.
Ariane Tapinos : - Pourquoi ce titre ? Est-ce que le livre ne devrait pas plutôt s'appeler "le sexisme expliqué à ...", voire "le féminisme" ... ? J'imagine que c'est un choix de l'éditeur ? Est-ce que c'est parce que "sexisme" et "féminisme" sont un peu des gros mots dans le langage courant médiatique ? Je me rappelle d'interminables réunions au MFPF pour savoir ce qu'il fallait faire de l'emploi du mot "féminisme"... Et il y a toutes ces femmes qui disent "je ne suis pas féministe, mais...". Je sais par ailleurs que Geneviève Fraisse a eu le plus grand mal à garder son titre Le mélange des sexes, pour son ouvrage chez Gallimard Jeunesse, parce que "sexe"...
Clémentine Autain : - En effet, j'avais proposé "le féminisme expliqué à..." Le titre final fut induit par l'éditrice. Pas parce que "féminisme" ou "sexisme" sont des gros mots mais parce qu'ils ne sont pas très populaires - et donc peu vendeurs. Les livres sur les femmes ne font généralement pas recettes, les éditeurs le savent... "Les machos" présentait l'avantage de s'adresser à tout le monde, plus largement. C'était aussi sans doute plus drôle et peut-être moins moralisateur. Mais les questions d'Alban, mon frère, ont globalement trait aux sexisme et à l'histoire de l'émancipation des femmes. Et tout au long du livre, je revendique haut et fort le terme de féminisme.
- Dans l'échange avec Alban, vous vous étonnez (faussement, j'imagine !?), de sa méconnaissance de l'Histoire des femmes (ou plutôt de la part des femmes dans l'Histoire). Est-ce que cette transmission-là n'est pas l'un des enjeux les plus importants, et les plus malmenés, du féminisme contemporain ? Je dis "malmené" , parce qu'il me semble que les femmes (et les féministes) participent souvent de cette réécriture de l'Histoire qui les nie et les ridiculise. Au lieu de faire l'éloge de l'humour qui a caractérisé les actions du féminisme dans les années 70, on ne retient que les sous-tifs brûlés... Comment faire cet effort de transmission auprès des jeunes générations ?
- L'enjeu de la transmission est fondamental. C'est compliqué parce que ça touche à l'intime, à l'identité, à la sexualité, au quotidien. Mais c'est l'une des raisons de ce livre. L'Histoire des femmes est récente en France. Elle manque de reconnaissance et de moyens. Les manuels scolaires racontent l'histoire des grands Hommes. Quant au féminisme, il est plus qu'absent : invisible. J'étais très étonnée qu'Alban n'ait jamais entendu parler d'Olympe de Gouges. Il ne connaissait comme féministe que Simone de Beauvoir. C'est inquiétant...
- Pour en venir au cœur de votre livre : Vous y dressez une sorte d'état de la condition des femmes dans le monde et en France. Pouvez-vous revenir un peu sur cet aspect des choses... Et sur "l'ethnicisation" rampante d'un certain féminisme français, qui tend à populariser l'idée que la discrimination ne concerne plus que les banlieues et les populations d'origine maghrébines.
- Je tiens énormément à l'idée que le sexisme se développe dans tous les milieux sociaux. Et ce, pour deux raisons. D'abord, dans mon propre espace politique, certains continuent de penser que tous les combats sont solubles dans l'anticapitalisme. Autrement dit, quand la lutte des classes aura porté ses fruits, tout le reste viendra. L'intellectuel slovène Salvoj Zizek, très en vogue chez les jeunes intellos de la gauche radicale, estime que le féminisme détourne des combats importants et qu'il est même dangereux car l'égalité hommes/femmes peut être récupérée par le capitalisme. Dire que le féminisme transcende les problématiques de classes est dès lors assez fondamental ! Cela ne signifie pas qu'il n'y a pas d'articulation à rechercher entre les combats émancipateurs (féminisme et marxisme) mais que le féminisme n'est pas soluble dans la lutte des classes. Dit autrement, si les inégalités sociales disparaissaient, le patriarcat pourrait continuer à vivre. Ensuite, la dernière période a vu l'émergence d'un nouvel ennemi principal : le garçon arabo-musulman, devenu responsable du sexisme en France. Comme s'il n'y en avait plus ailleurs qu'en banlieue. Comme si les cadres blancs bien de chez nous ne comptaient plus de machistes. Des mouvements, comme Ni Putes Ni Soumises, ont contribué à ériger cette figure, avec le soutien et la bienveillance de nombreux médias, intellectuels ou politiques, qui ont trouvé là une manière de dédouanner d'autres espaces de discriminations sexistes. Il y a évidemment un complexe de supériorité culturel qui se cache dans le stéréotype du jeune garçon arabo-musulman des quartiers. Ceci dit, de nombreux sociologues ont montré combien le sentiment d'humiliation et de relégation de ces jeunes garçons pouvaient conduire à des comportements virils, qui permettent une réassurance narcissique.
- Vous abordez la question des violences faites aux femmes. Cette question, outre qu'elle fonde, en partie, votre engagement féministe, est sans doute l'une des plus importante qui soit, et ce dès l'adolescence (pour ne pas parler d'avant...). Comment percevez-vous les violences sexistes à cet âge et aujourd'hui ? Augmentation ? Banalisation ?
- Je ne crois pas à la banalisation des violences sexistes. Y a-t-il chez les adolescents une recrudescence ? Je préfère laisser le diagnostic aux spécialistes. Mais, depuis les années 1970, la prise en compte du viol, de la prostitution, des violences conjugales, du harcèlement, etc. est de plus en forte, on ne saurait le nier. Cela doit porter ses fruits. La hausse des plaintes est sans doute un indicateur que les langues peuvent se délier. Mais nous sommes très très loin du compte. Le tabou reste extrêmement fort, la honte continue de peser sur les femmes. Par ailleurs, les moyens et la volonté politique manquent cruellement pour informer, sensibiliser, prévenir ces violences. Au fond, ces violences commencent à peine à sortir de la sphère privée...
Pour poursuivre la discussion, il faut vous précipiter sur Les machos expliqués à mon frère, une lecture pleine d'humour et d'intelligence, qui s'adresse autant aux adolescents qu'à leurs parents. Et, un bonheur n'arrivant pas toujours seul, on ne peut manquer de signaler, ici, la parution, aux éditions Actes Sud Junior, dans l'excellente collection Ceux qui ont dit non, d'un livre sur le combat de Simone Veil contre les avortements clandestins (Simone Veil, "Non aux avortements clandestins", de Maria Poblete, à paraître en mars 2009). Une manière à peine détournée de parler de son combat POUR le droit à l'interruption volontaire de grossesse. Finalement, outre Il n'y a pas si longtemps, publié aux éditions Sarbacane, et Le droit de choisir : l'IVG en France et dans le monde, aux éditions Syros Jeunesse, on n'a pas vu ce sujet souvent abordé en littérature jeunesse sous l'angle de la conquête d'une liberté.
Propos recueillis par Ariane Tapinos
Les machos expliqués à mon frère aux éditions du Seuil, dans la collection Explique-moi, octobre 2008, 112 pages, 7€
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