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19/01/2010

Les Enfant sauvages | pièce de Timothée de FOMBELLE

Affiche 2.jpg«La rencontre avec Timothée de Fombelle est apparue comme une évidence puisqu’il s’agissait d’écrire une histoire sur le thème des enfants sauvages, mettant en confrontation le mythe et la réalité. Ce point de vue dramaturgique n’avait pas trouvé d’existence dans la littérature jeunesse contemporaine. La commande d’écriture devenait essentielle.
Mais plutôt qu’une simple commande d’un texte, l’idée même de compagnonnage annonçait une étroite complicité tout le long de la création suscitant des allers-retours entre l’auteur, la metteur en scène et l’équipe artistique. Cette dimension nouvelle a permis d’engager l’écriture dans un processus de travail partagé laissant du temps et de l’espace. Elle facilite la réalisation d’un projet singulier en parfaite adéquation avec les univers de chacun. La création Les Enfants sauvages s’invente entre mythe et réalité.
»
Betty Heurtebise, metteur en scène, compagnie La petite fabrique.

Les enfants sauvages
A voir Aux Colonnes les 17 et 18 février à 19h à Blanquefort.
et au TnBA du 4 au 7 mai à Bordeaux
En savoir plus [ici]

Et aussi : lecture par Timothée de Fombelle, de son texte, Le phare, à la médiathèque Assia Djebar, mardi 16 février à 20h30, Blanquefort.

… et enfin à Comptines, mercredi 17 février, rencontre avec Timothée de Fombelle et la compagnie La petite fabrique.


Entretien
avec Timothée de Fombelle

Quel a été ton rapport à la commande dans ce travail d'écriture?
Timothée de Fombelle: Le plaisir de la commande, c'est d'entrer dans le désir des autres. Un  thème, des talents différents, des envies différentes… On se retrouve à jeter des ponts, à rendre les contraintes les plus fécondes possible. Ici, la commande était dans un titre qui m'était donné. Le collectif avait finalement de l'avance sur moi, puisqu'ils y pensaient depuis un certain temps, mais j'arrivais avec peut-être une fraîcheur nécessaire. Mon but était surtout de laisser beaucoup d'espace autour de mes mots pour que chacun (mise en scène, image, son, scénographie, musique, jeu des acteurs) puisse y glisser une liberté au moins égale à la mienne. Le deuxième temps est celui de la discussion, du débat, de l'expérimentation autour de mon texte. On le met à l'épreuve, on le met en pièces. C'est passionnant. On réoriente mes mots comme on le ferait d'un comédien ou d'un projecteur. «Plus à gauche! Moins fort!» Il faut alors trouver l'équilibre entre l'écoute et une vigilance sur la fidélité à ce qui fait mon écriture. Mais le plus important repose sur la confiance.

– Quelle a été ton entrée concernant cet «acte civilisateur», incarné notamment par Cazard?
Bien sûr, il y a une grande richesse des écrits, des films ou des pièces sur le sujet. Ce sont autant d'entrées que j'aurais pu emprunter. Notre pièce Les Enfants sauvages est comme une «variation sur un thème». Elle ne se veut ni la synthèse, ni même notre réponse à cette question d'une «rééducation» des enfants qui ont grandi à l'état sauvage. Comme d'habitude quand je travaille sur un sujet qui a une réalité historique ou clinique, ma démarche a donc été de me documenter, puis de tout oublier. Très vite, je dois mettre en premier l'imaginaire. En fait, il suffit de mettre en présence l'enfant sauvage et l'homme civilisé, puis de regarder ce qu'il se passe.

– Comment as tu abordé la question du langage dans le dessin de ces deux enfants sauvages?
L'idée était que le langage des enfants sauvages serait forcément une création. Je voulais franchir le mur de leur silence. Il fallait se mettre dans la peau d'une sorte de traducteur. Traduire en mots ce que les personnages ne devraient pas pouvoir formuler. On en arrive à une espèce de sous-titrage poétique de leurs envies, de leurs peurs. Leur langage se distingue forcément des codes de la civilisation dans laquelle ils sont plongés. Ce que je remarque, c'est que ce travail du langage est finalement toujours présent dans l'écriture d'une pièce. La parole théâtrale est toujours une succession de traductions.
Propos recueillis par Ingrid Bertol.

L’écriture collective - Le travail à la table
Dans la construction d'une création théâtrale, il y a une étape et que l'on nomme «le travail à la table» et qui correspond à un travail de réflexion dramaturgique, dans lequel en général est envisagé le rapport du texte au jeu d'acteur.
Pour Les Enfants sauvages, les lectures «à la table» ont permis de réaliser une écriture collective autour du texte.
Il s'agit d'adapter, en lien avec l'auteur, l'écriture au fur et à mesure des rencontres avec l'ensemble de l'équipe, pour aboutir à une histoire qui s'appuie sur tous les éléments de la mise en scène (projection vidéo, scénographie, jeu des acteurs…).
Dans cette écriture progressive les mots sont repris, malaxés; le texte devient une matière qui se déploie au fil des discussions, des lectures et des mises en espace.
Les personnages ont ainsi suivi une évolution certaine qui leur permet, par leur complexité et ambivalences, de ne pas être réduits à leur archétype.
Entre réaliste et onirisme, cette histoire est celle d'un mystère, qui se dévoile ici par le lien entre un frère et une sœur; ce lien est brisé par un personnage, celui de l'instituteur Cazard qui incarne la figure « civilisatrice ».

Les Enfants sauvages, extraits.
Deux enfants vivaient dans la forêt blanche. Ils avaient grandi là, frère et sœur. Ils ne connaissaient pas le reste du monde et le monde ne les connaissait pas. Deux enfants sauvages vivaient seuls dans la forêt blanche. Ils parlaient un langage que seuls ils comprenaient…

La sœur
Chant incantatoire après la capture de son frère
ELLE: […] Attends-moi. Ils auront peur. Ils verront les arbres plier sur eux. Ils seront enfermés dans dix saisons de neige. Le vent, les ouragans d’insectes. Ils verront ce monde se jeter sur eux. Ils se cacheront. Je suis là. Ils seront dans la boue de leurs larmes. Ici leur cri de peur fera bouger les arbres. Il n’y aura plus de carrés de lumières. Ils se seront couverts de nuit, de feuilles mortes, de branches. Je veux être leur piège. Je viendrai avec la pluie. Je viendrai avec les bêtes, les oiseaux, la neige. Je me jetterai sur eux avec les tempêtes. Attends-moi. Enlève tes larmes pour que je te reconnaisse quand je viendrai.

Solitude
ELLE: Tu m'oublies. Je t'ai vu debout, à côté de lui faire des traces blanches sur le mur noir avec tes doigts. Moi aussi je veux être là, faire des traces blanches avec mes doigts. Ici rien ne change. Je reste la même. Mais toi… Toi, tu as changé. Je ne te reconnais pas toujours. Tu tiens les choses de leur monde dans tes mains. Tu fais bouger les lumières. J'ai envie de de cela. Faire comme toi…

CAZARD: […] La chasse! Je propose la chasse. Pour que cette errance s’arrête, pour que cesse la violence de la clandestinité, pour que cette enfant puisse rejoindre les vôtres sur les bancs de l’école, il faut la trouver et la capturer. Il faut repêcher cette petite créature pour la rendre à l’enfance et à la civilisation. Demain, avant le coucher du soleil, nous serons quarante à l’attendre dans les bouleaux de la lisière. Je compte sur vous.

Plus tard…
CAZARD: L’hiver est venu. Il fait un froid de loup. J'en avais oublié le petit sauvage dans son coin. Les gens s’enferment pour boire du thé et raconter des histoires entre eux. On ne me parle plus. On parle de moi. Je perds tout espoir. L’enfant demeure plus sauvage et plus menaçant qu’un sanglier blessé. J'ai commis des erreurs.

Le frère
LUI: Je veux partir de là. Viens me chercher. Ils m’ont attrapé. Où es-tu? Viens. Viens. Je t'avais prévenue. je veux tenir tes mains. Je veux tenir tes mains. Quand je me cache les yeux, je suis un peu tranquille, j’ai moins peur. Celui-là, je ne sais pas ce qu’il veut de moi. Je voudrais que tu sois avec moi. Quelque chose me fait mal dans moi. Quelque chose me fait si mal. Tu ne viendras plus?


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