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04/05/2009

La Voix du couteau | roman de Patrick NESS

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Le Chaos en marche - Livre premier
Traduit de l’anglais par Bruno Krebs | éd. Gallimard jeunesse | avril 2008 | 442 pp. - 15

Dans un monde refermé sur lui-même, un jeune garçon à la veille de devenir un homme, fuit la barbarie des siens et croise la vérité sur son chemin.
Todd Hewitt a treize ans et, selon la loi de Prentissville, dans un mois, il deviendra un homme. Il ignore tout de ce qui fera de lui un adulte, mais il sait en revanche qu’il est le dernier des enfants de Prentissville, cette petite communauté d’où les femmes ont disparu, tuées, lui a t-on dit, par le Bruit, ce virus qui fait que chacun entend les pensées de l’autre. On lui a dit, aussi, que ce sont les Spackles qui ont répandu le virus du bruit et qui sont responsables de la guerre et de la mort des femmes. Enfin, on lui a également appris qu’il n’existe rien en dehors de Prentissville, rien au-delà des marais, que les hommes, et lui l'ultime enfant, sont les derniers de la race humaine à vivre au Nouveau Monde.
La découverte d’une jeune fille, dont les pensées restent impénétrables, va bouleverser toutes les certitudes de Todd et le jeter dans l’inconnu.


À la fin de ce premier volume – trois sont annoncés – on sait à peine plus de choses sur ce monde étrange et sur Todd et Viola. On a crapahuté dans les bois, les rivières et les champs, survécu à de sanglants duels, vu apparaître puis disparaître des personnages attachants et effrayants.
Au-delà des thèmes – intolérance, fanatisme, misogynie, violence… – et de leur échos dans l’Histoire – Pèlerins du Nouveau Monde, massacre des Indiens d’Amériques, puritanisme… – et dans l’actualité, ce qui fait l’intérêt de ce roman c’est son écriture. Le début, surtout, est particulièrement réussi. L’écriture y est heurtée, hachée, oppressante comme ce monde dans lequel toute pensée est bruit, où tout dialogue se fait monologue intérieur, où l’ignorance et l’inculture ont dégradé le langage. Tout au long du roman, Todd court à perdre haleine et dès les premières pages, le lecteur est plongé dans une langue qui ne lui laisse pas reprendre son souffle. Une langue touffue et violentée, fruit de la disparition des livres et de l’omniprésence des autres dans la pensée du héros. Les autres ce sont les hommes de Prentissville, mais aussi les animaux qui les entourent. Le chien de Todd, Manchee, qui aboie des mots simples, des mots sans phrase, sans verbe. Les écureuil: «toupie, toupie», les vaches, ou les moutons, qui ne sont capables que de répéter inlassablement leur nom. Au fil de leur course, de leur fuite, Todd et Viola passent du bruit des hommes à celui de la nature, du silence de Viola aux pensées de Todd, et cet aller et retour entre eux et les autres, comme l’évolution du langage de Todd au contact du monde extérieur, modifient l’écriture et créent des respirations dans la lecture. Puis on est de nouveau happé dans ce foisonnement de sons et de mots, comme un nageur qui plonge la tête sous l’eau et la ressort pour avaler l’air qui lui permettra de poursuivre sa route.
De la même manière, aux scènes de grande violence – et elles sont nombreuses (peut-être trop ?) et parfois insoutenables, pour ce qu’elles décrivent mais surtout pour la manière, très cinématographique, dont elles sont racontées – succèdent des scènes de relatif, et bref, apaisement, qui permettent de poursuivre la lecture et la course folle de Todd et Viola.
On sort de cette lecture épuisé, vidé et un peu effaré d’être arrivé au bout. Frustré, aussi, de devoir attendre la suite. Et plus encore que la suite de l’histoire, on se demande comment Patrick Ness va pouvoir maintenir cette tension dans la forme, maintenant que le Bruit a cessé…

Ariane Tapinos (avril 2009)

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