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17/12/2008

Henri Meunier #1

meunierportrait.jpgParce que nous aimons tout simplement son travail, ses textes poétiques, amoureux, engagés ou terriblement drôles, ses illustrations rétro, ses traits caricaturaux, ses collages ou ses peintures grasses (sa palette est large tant dans l’écrit que dans l’image)... Une occasion de redécouvrir l’ensemble de son travail et de partager une rencontre dans son atelier.

Henri Meunier : entretien (jeudi 2 juin 2005)

...où l’on découvre un auteur "plus doué pour se perdre dans le brouillard que pour aller droit vers l’objectif", un adepte des "balades sensibles" ; un auteur qui croit moins en la naïveté des enfants qu’en la profondeur de leurs sentiments... et nous confirme, radieux, la naissance imminente du Petit Poucet.


Repères
Je suis d’abord venu à l’écriture, même si c’est un peu paradoxal puisque mes études en arts plastiques m’auraient plutôt poussé à faire du dessin. L’illustration, ce n’est pas quelque chose que je maîtrise naturellement, c’est quelque chose que je suis en train d’apprendre. Quand la passion du livre pour enfants m’est venue, j’ai commencé par ce qui était le plus naturel pour moi, l’écriture. D’ailleurs, j’écris des textes pour apprendre à illustrer. J’en écris aussi pour d’autres parce que j’adore le travail d’illustrateur de gens comme Régis (Lejonc), Nathalie Choux, Anouk Ricard et d’autres.

Les livres pour enfants
Pour moi, il y a eu clairement un déclic. Je ne les connaissais pas et je ne m’y intéressais pas particulièrement jusqu’à 24 ou 25 ans. En revanche, j’aimais beaucoup la poésie et la littérature en général. Je traînais dans les allées du Salon du Livre de Bordeaux, au Hangar 5 à l’époque, et en cherchant des textes de poésie, je suis tombé par hasard sur les éditions du Rouergue qui éditaient leur premier livre pour enfants : Jojo la Mache. Ça a été une grande claque pour moi. J’ai trouvé que c’était un livre très poétique, très profond, très beau. Il y avait une trentaine de mots seulement, mais bien choisis, comme dans une poésie, avec un rythme superbe, une impression de légèreté et de profondeur à la fois. À partir de là, j’ai commencé à mettre mon nez dans les livres pour enfants. Ça a commencé à me passionner. Ceci dit, la littérature enfantine qui me passionne, reste un peu celle-là. Il y a des livres pour enfants qui ne m’intéressent pas du tout, ceux qui sont un peu pédagogiques ou éducatifs ; ce n’est pas ma tasse de thé. Je préfère ceux qui sont véritablement du côté littéraire. Après cette rencontre avec un livre, j’ai beaucoup fréquenté les librairies et j’en ai trouvé plein d’autres formidables, y compris certains que je lisais quand j’étais petit et que j’ai redécouvert, comme Les Trois Brigands de Tomi Ungerer, que je continue à trouver sublime. Tristement, entre mes 10 ans et mes 25 ans, ces livres, je les avais oubliés.

Les éditions du Rouergue
Très vite, après être tombé sur les premiers livres des éditions du Rouergue et avoir commencé à lire de cette littérature, je me suis dit que j’allais essayer moi aussi d’en faire. J’ai écrit mes premiers textes pour apprendre, me chercher, des textes que je n’ai pas envoyés. Ensuite les parcours de vie, les parcours professionnels ont fait que j’ai travaillé pendant six ans dans une association engagée dans le travail social et dans laquelle j’avais déjà agi auparavant. J’ai donc mis cette idée de faire des livres de côté pendant six ans, tout en restant passionné par les livres pour enfants : je donnais de temps à autre des coups de main à la librairie Oscar Hibou, entre autres pendant le Salon du Livre de Bordeaux. Par ce biais, j’ai rencontré Régis Lejonc. Il se trouvait que Régis était co-auteur d’un des livres qui reste pour moi l’un des plus beaux qui ait été faits, Icare. J’avais donc beaucoup d’admiration pour son travail en général et pour ce livre-là en particulier. On est devenus amis. Je suis allé repêcher dans mon ordinateur de vieilles histoires que j’avais écrites et je les lui ai montrées. Une de ces histoires l’a touché et il a eu envie de l’illustrer. De voir que quelqu’un dont j’aimais le travail appréciait mes mots, ça a relancé mon envie d’écrire. Je m’y suis donc remis et j’ai envoyé ces textes nouveaux à Olivier Douzou, le directeur des éditions du Rouergue et l’auteur de Jojo la Mache. Par chance, il m’a répondu.J’avais envoyé quatre textes et deux ont retenu l’attention d’Olivier Douzou. Un est devenu mon premier livre (Le Paradis). J’avais joint au texte la description des images, absolument nécessaire pour comprendre ce projet, comme souvent dans les albums illustrés : la moitié de l’histoire et de ses éléments de compréhension est dite dans les images seules, l’autre moitié dans le texte lui-même. C’était donc une sorte de storyboard. Et puis il y avait un autre texte, plus dans la veine de La Mer et lui, auquel je n’avais pas joint de description d’image et qui finalement ne s’est pas fait, parce qu’on a pas réussi à trouver la bonne voie pour l’illustrer. J’ai suggéré des pistes qui ne lui ont sans doute pas paru bonnes. Olivier pensait que le livre ne pourrait pas fonctionner.

La collaboration avec un illustrateur
Le travail d’un illustrateur peut m’inspirer des textes, c’est le cas par exemple de La Mer et lui, que j’ai écrit spécifiquement parce que je rêvais de voir des images de Régis sur ce thème-là. C’est aussi le cas de La Môme aux oiseaux, même si je ne l’ai pas écrit pour lui au départ - c’est parti d’un dessin de Béatrice Alemagna, pour laquelle j’ai aussi beaucoup d’admiration. Dans ces cas précis, ce sont des images de ces illustrateurs qui ont déclenché l’écriture du texte et l’envie de mettre des mots sur des images de leurs mains, qui n’existent pas encore, mais que j’imagine. Bien entendu, les images que j’imagine en écrivant ne sont jamais les images que les illustrateurs réalisent finalement... et heureusement !Sur des projets comme ceux que l’on a réalisés avec Régis, je n’associe pas au texte des descriptions d’images. Parce qu’il s’agit de textes qui exigent une interprétation de la part de l’illustrateur, des textes où il n’y a pas de faits, de personnages ou d’éléments narratifs précis à mettre dans l’image, indispensables à la cohérence du propos. Il s’agit plus d’une balade sensible que d’un récit. Dans ce cas, suggérer des images, ce serait appauvrir le livre à venir. Ce serait encadrer la ballade de l’illustrateur et se priver de son talent d’auteur, se priver de notes qui n’appartiennent qu’à lui, que je ne connais évidemment pas à priori, sur cette partition précise que nous tentons d’écrire ensemble, et que l’on découvre en partie au moment où elle se crée. Du coup, on discute beaucoup ensemble, pendant le processus qui aboutira au livre, autant des mots que des images.Pour d’autres livres, la description des images s’impose parce qu’il n’existe pas d’histoire sans elle. Pour donner un exemple, dans Le Paradis, le texte commence par une phrase du type de "ce 22 décembre, Josette a un pressentiment désagréable, elle part sans demander son reste". Si je ne précise pas dans la description de l’image qu’il s’agit d’une dinde, que la fête de Noël se prépare, que les couteaux s’aiguisent, cela n’a aucun sens. Cette description reste sommaire et évidemment, heureusement, Anouk Ricard a pris beaucoup de liberté. Je décris juste les éléments indispensables à l’histoire pour qu’elle puisse entreprendre son travail d’interprétation. De toutes les manières, dès que le projet démarre, tout est discutable, autant les mots que j’emploie que le découpage du texte, et on essaie de vraiment de construire le livre à deux. Au final, le livre ressemble à tout autre chose que ce que j’imaginais au départ. C’est l’intérêt même de ces collaborations. Quand les éditions du Rouergue ont reçu mes premiers textes, il n’y avait pas d’illustrateurs associés aux projets. Olivier Douzou m’a dit : " Ce texte-là, je le vois illustré par telle ou telle personne ". Il se trouve que je connaissais leur catalogue et que dans ces premières propositions, il y avait Anouk Ricard. J’ai pensé qu’elle serait celle qui apporterait le plus à ce projet-ci, Olivier Douzou le lui a soumis, et voilà comment les choses se sont faites. Maintenant, le plus souvent, nous présentons en complicité avec un illustrateur des projets plus aboutis, pensés ensemble. Chez certains gros éditeurs, les auteurs postent leurs textes et s’ils sont retenus, ils reçoivent leur livre finalisé, illustré, maquetté et imprimé, sans qu’ils n’aient rien vu depuis l’acceptation de leur texte. Ils ne peuvent pas œuvrer de la même manière sur le lien texte-images. Cela ne m’intéresserait pas du tout travailler de cette façon-là. De fait, je travaille avec des éditeurs (Le Rouergue, Thierry Magnier, Le Poisson soluble) qui tiennent le plus souvent à ce que le livre soit le travail et le fruit de deux auteurs, qu’il soit lié à la négociation et aux envies des deux.

Les éditions du Rouergue # 2
C’est un peu ma maison-mère. C’est un rapport simplement et bêtement affectif : c’est grâce aux éditions du Rouergue que j’ai eu envie de faire des livres pour enfants, donc c’est important pour moi de travailler avec eux. Au-delà de ça, c’est une maison qui fait les livres qui me plaisent. Ils ont une ligne de conduite que je trouve très respectueuse des enfants. Ils ne cherchent pas à faire "des livres pour enfants" mais de la littérature enfantine. Ce n’est évidemment pas le seul éditeur dans ce cas-là, mais il se trouve que c’est le premier qui m’ait fait rêver.

Livres pour enfants / Littérature enfantine
Le distinguo entre les deux, pour moi c’est avant tout une question d’intentions au départ. C’est comme à la télévision lorsqu’on fait des programmes à l’attention d’un public défini à l’avance, en disant : " Le public est comme ça, comme ça et comme ça ". L’émission doit tenter de répondre à cette attente-là.
On peut essayer de savoir comment est " l’Enfant ", qu’est-ce qu’il attend et essayer de répondre à cette attente. Moi " l’Enfant ", je ne le connais pas et je n’ai pas envie de le connaître. Cela me paraît un peu stupide de se dire qu’il existe un modèle, une sorte de moyenne. Je tente de m’adresser à des individus et ces individus, par force, me sont des inconnus. Je ne me préoccupe donc absolument pas de ce qu’ils peuvent attendre ou pas. J’adopte la démarche inverse, qui est de proposer une histoire qui plaira ou pas. Je tiens à avoir une démarche à mes yeux d’ordre artistique, liés à l’expression de soi. Ensuite, la réalisation, c’est un peu de l’artisanat. Mais pour arriver à cet artisanat, je n’ai pas envie d’adopter une démarche commerciale a priori. Et beaucoup de livres pour enfants ne semblent pas être issus d’une impulsion créative, mais plutôt commerciale ou éducative. Je ne critique pas les livres " éducatifs ", ils existent et c’est bien, mais ce ne sont pas ceux que j’ai envie de faire. Et ce n’est pas non plus ceux que j’ai envie de lire le plus souvent.
Dans la littérature adulte, je peux trouver absolument tout ce que je cherche : des livres pour apprendre, mais aussi des livres pour rigoler bêtement, des livres pour rigoler intelligemment, de l’émotion pure, des témoignages, des polars, etc. En littérature jeunesse, jusqu’à une époque relativement récente, ce n’était pas le cas. Il y avait presque exclusivement des livres pour apprendre, des contes, des récits édifiants. À côté de cela, une espèce de no man’s land rarement emprunté, celui du livre pour le seul et pur plaisir de lecture. Cette étendue infiniment vaste fait encore peur je crois et les excursions n’y sont pas encore aussi courantes et légitimes que je le souhaiterais. Pas seulement en tant qu’auteur, surtout en tant que lecteur.

Toc ! Toc ! Toc !
J’avais envie de faire un livre pour la collection " Têtes de lard ", parce qu’elle accueille des livres que j’aime infiniment. Et elle correspond à l’idée que je me fais de livres intelligents et respectueux pour les tout-petits. C’est probablement une question qui va m’habiter quand je vais avoir terminé le livre que je suis en train de faire actuellement. J’ai envie de m’adresser, plus profondément que je ne l’ai fait jusqu’ici, à l’imaginaire des tout petits. Ce qui me gênerait par exemple, c’est qu’un de mes livres, pensé spécifiquement pour s’adresser à des enfants de deux ans et moins, soit lu par ces mêmes enfants des années après et qu’ils le trouvent nul. Ça, ça m’embêterait. C’est vrai que dans Toc ! Toc ! Toc !, il n’y a qu’un niveau de lecture, mais je me dis que si le principe du livre m’amuse, il amusera aussi peut-être d’autres adultes et des enfants plus grands. Je ne sais pas ce qui amuse les enfants. En revanche j’ai des neveux et nièces, des enfants autour de moi (le grand âge me guettant, ce n’est plus très rare !). Ces enfants-là ne s’amusent pas toujours des mêmes choses. Mes livres font rire certains d’entre eux, mais pas tous. C’est quelque chose de singulier, l’humour. Chez les enfants aussi. Ça se voit d’ailleurs assez vite les différences d’humours chez les enfants : ceux qui essaient de faire rire les adultes, ceux qui n’essaient pas mais qui rigolent aux blagues, et puis ceux qui n’ont pas trop envie de rire et qui préfèrent regarder une coccinelle qui se barre dans les champs. Le seul de mes livres qui parte de quelque chose que j’ai observé chez tous les petits enfants que j’ai rencontrés, c’est Le Cri, le plaisir de reconnaître un animal et de poser un cri dessus.

Le processus de fabrication des livres
En ce qui me concerne, le temps de réalisation est à peu près toujours le même. Ce qui peut être plus long, c’est de faire accepter un texte qui paraît plus difficile qu’un autre. C’est beaucoup plus facile de proposer Toc ! Toc ! Toc ! à un éditeur que La Mer et lui.
Mais, et c’est là où on en vient à l’artisanat, le temps de réalisation est à peu près le même d’un livre à l’autre : une page est une page et je mets toujours à peu près le même temps pour la faire. Par nature, je pense que j’ai plus d’aisance à réfléchir sur des livres comme La Mer et lui ou Ronde de nuit, qui ont une veine plus poétique, que des livres comme Toc ! Toc ! Toc !, où il faut absolument que ce soit efficace, qu’on ne se perde pas, parce que c’est une blague et qu’il ne faut pas traîner quand on raconte une blague. Je crois que je suis naturellement plus doué pour me perdre et pour marcher dans le brouillard que pour aller droit vers l’objectif.

Le travail d’illustrateur
Il y a des choses qu’on peut apprendre de façon claire dans l’illustration, alors que c’est peut-être plus flou dans le domaine de l’écriture. Dans l’illustration, il y a des repères, des codes visuels, etc. Assez vite, j’ai essayé de m’écrire des histoires pour pouvoir entamer ce travail-là sans me mettre trop en danger. Pour Méêêêtro boulot, l’idée n’était pas de le dessiner au départ. Une fois que je l’ai eu écrit, je me suis dit : " c’est graphiquement un bon exercice de style, qui repose essentiellement sur l’exploration d’une idée visuellement simple. Même si je rate complètement l’illustration, la lecture du livre ne sera pas rendue impossible par mes maladresses. " Alors je me suis lancé. J’ai commencé comme ça. Quand j’ai une histoire qui me semble à ma portée graphiquement, je me la garde souvent.

Le style et les techniques graphiques
Chaque fois que je suis amené à illustrer une histoire, je me demande quelle technique pourrait servir au mieux cette histoire et comment elle va, elle aussi, participer à la narration. C’est l’un des principes fondateurs d’un éditeur comme Le Rouergue. Le style du dessin, les choix typographiques, le choix du papier, le format du livre participent à sa réussite narrative. Mes questions sont donc les suivantes : est-ce qu’il faut un dessin tout simple, un dessin dont la lecture doit être rapide et synthétique ? Est-ce qu’au contraire, il faut qu’on se perde un peu dans l’illustration, parce que la lecture du livre doit être plus sensible ? Dans le projet que je suis en train de faire, l’illustration sera plus cérébrale parce que l’histoire fait appel à pas mal de références liées aux contes de Perrault. Ça me semble plus riche si on s’arrête et si on cherche à interpréter des images qui ne livrent pas leur sujet directement. Donc pour moi, la technique vient de ça : quelle est l’histoire à raconter ? C’est comme ça que pour Ernest, j’ai adopté une technique qui rappelle les imprimés des années 1930, avant l’imprimerie Offset. Et c’est une technique que j’ai reprise dans La Famille Ogre, un livre inspiré de vrais jeux de cartes des années 1950. Ce choix ne s’opère pas ou peu par un processus intellectuel. Concrètement, je pars d’une histoire et je procède à des essais. Quand les essais me paraissent concluants, je les adopte. La cohérence ou l’incohérence du choix d’une technique et d’un style d’illustrations avec l’histoire à raconter ne m’apparaît généralement qu’après ces essais préalables. Pour ce qui est de Ronde de nuit, la matière, les coups de pinceaux sont là pour arrêter le regard, pour qu’une lecture rapide des images ne soit pas possible parce qu’elle ne correspond pas au rythme du texte, qui est plutôt lent et contemplatif. Et le travail typographique fait par Célestin participe aussi de cette lecture là.

Le projet en cours : L’Autre Fois
C’est une histoire inspirée des contes de Perrault, que j’aime beaucoup, sinon dans leur forme du moins, toujours par ce qu’ils offrent en pâture à mon imaginaire. Dans L’Autre Fois, il s’agit des frères Poucet qui remontent Park Avenue à New York. À chaque croisement de rues ils sont confrontés à un autre conte de Perrault qui les absorbe et ils disparaissent, les uns après les autres, dans des conditions tantôt dramatiques, tantôt tout à fait agréables. Au final, il ne reste plus que Poucet, à mes yeux le plus beau personnage de Perrault. Je me permets de penser que c’est aussi celui que Perrault préférait, même si c’est un abus de mon pouvoir de lecteur !
Ce qui motive ce livre est lié à ma lecture de ces contes. Pas tellement ce que ces contes m’ont apporté mais plus simplement le fait de les lire. En quelque sorte, que ces contes soient encore lus aujourd’hui induit que Poucet n’a pas trois cents ans mais qu’il vient de naître. À chaque nouvelle lecture, il est là, propre comme sous neuf et aussitôt il commence à se perdre pour la première fois. C’est donc un personnage contemporain. Le projet est en cours, mais pour ce qui est des illustrations, il s’agit de transferts au trychlo sur du papier de soie, avec aussi de la peinture : beaucoup de mélanges, un jeu sur les transparences et les superpositions. Un palimpseste donc, qui correspond à ce que je ressens des contes : trois cents ans de couches culturelles qui se sont apposés les unes sur les autres. On aura donc à la fois un New York réel - les immeubles représentés existent vraiment - cohabitant avec d’autres représentations de la ville qui seront très symboliques, quasi abstraites.

Le travail à l’ordinateur / à la main
J’utilise l’ordinateur pour ce que je ne saurais pas faire à la main. Il y a beaucoup de choses difficiles à faire à la main et simples à exécuter à l’ordinateur : les à-plats par exemple, ou certains collages. Avec l’ordinateur aussi, on peut toujours revenir en arrière, c’est très sécurisant. C’est donc un grand confort pour les gens comme moi qui, pour chaque livre, cherchent quelque chose de différent et qui se cherchent encore également du point de vue de l’illustration. Mais ce confort est aussi un piège. J’aime aussi beaucoup le côté artisanal du dessin et je le ressens plus à la main qu’à l’ordinateur. Donc il y a certains livres que je m’impose de ne faire qu’à la main. C’est le cas sur L’Autre fois.

Les interventions en classe
C’est souvent à l’initiative d’organisateurs de salons ou d’instituteurs. Ça m’apporte beaucoup : quand je dis que je ne tiens pas compte du public et des gens à qui je m’adresse quand j’écris des livres, c’est vrai. Mais une fois que les livres sont publiés, en revanche, comme je les ai fait pour les enfants, ça m’importe vraiment d’aller en discuter avec eux. Et puis il y a d’autres choses qui ne sont pas directement liées aux livres mais qui participent à mon envie d’aller dans les écoles : dans l’ensemble, je n’ai pas été très heureux dans le système scolaire. Je n’y ai pas trouvé cette part de plaisir qui me paraît pourtant essentielle à la transmission, y compris pour ce qui concerne la lecture. J’ai perdu une quinzaine d’années de lecture que j’aurais pu avoir quand j’étais élève, tout simplement parce que j’associais la lecture à du travail. Quand je vais dans des classes, je me dis qu’il y a des enfants qui, comme moi autrefois, ne sont pas forcément heureux sur les bancs de l’école, ou qui n’ont pas du tout entendu jusqu’à présent que la lecture pouvait être un plaisir pur et égoïste, et que ça n’avait rien à voir avec le travail. Souvent d’ailleurs, quand je me rends dans une classe, ce n’est pas seulement pour parler de mes livres, j’y vais avec des livres de poésie, des livres d’auteurs qui me touchent et dont je sais qu’ils peuvent toucher des enfants, comme Tardieu. J’essaie de faire partager mes plaisirs de lecture et de répondre aux questions que se posent les enfants. Pour beaucoup d’enfants, un livre c’est un peu sacré, et les auteurs c’est un peu mort. Moi, j’essaie juste de montrer que les auteurs ne sont pas forcément morts et qu’un livre c’est tout sauf sacré. Les enfants m’aident beaucoup aussi à comprendre les livres que je fais. Quand j’ai terminé un livre, si j’en ai fait le tour, si j’ai compris tout de l’histoire, c’est qu’il s’agit simplement d’un livre pour s’amuser, comme Toc ! Toc ! Toc ! ou Quand arrive l’hiver.
Ce n’est pas forcément le cas de livres comme La Mer et lui ou Ernest, où une grande part est volontairement laissée aux lecteurs, qui en deviennent aussi auteurs en quelque sorte. Et cette part, je ne la connais pas encore avant d’en avoir discuté avec les enfants, mes lecteurs. Ce qu’ils ont lu, ressenti, imaginé, ça me met quelquefois une claque, ça m’impressionne, ça me fait réfléchir. Je ne crois pas que les enfants soient naïfs, je les trouve au contraire extrêmement profonds, y compris dans l’expression de leurs sentiments.

Propos recueillis par Boris Barbiéri et Marie Buraud, mai 2005.

par Comptines & Compagnie

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