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C’est pas gagné ! | album de Yumiko FUKUZAWA
Traduit du japonais par Christian Bouvier
Éd. L’École des loisirs | mars 2009 | 11,50 €
Boule le bouledogue a très envie de devenir l’ami de Kana, la petite fille de la maison où il vient d’arriver. Comment faire ? C’est pas gagné ! Kana n’aime ni ses baisers baveux, ni ses chansons jappées, ni aucun de ses tours de toutou inoffensif. Boule en perdrait presque l’appétit. Mais quand un beignet atterrit sur sa pâtée, il ne peut résister. Et voilà l’occasion de montrer à Kana son énorme dentition et… de la faire éclater de rire.
Qui, du chien ou de la fillette, apprivoise l’autre ? Un peu des deux, bien sûr. Cette histoire d’amitié balbutiante est dessinée avec espièglerie. Le bouledogue – un chien très peu glamour a priori, voire repoussant – est vraiment craquant avec son regard expressif, si, si, et son imitation d’ours en peluche très réussie. La dernière page nous les montre tous trois, chien, fillette et ours, pelotonnés ensemble pour une sieste… en boule.
Corinne Chiaradia (avril 2009)
22/04/2009 | Lien permanent
Comme mon père me l’a appris | album de RASCAL
Éd. L’École des loisirs, coll. Pastel | mars 2009 | 11,50€
Un enfant inuit suit en tous points les enseignements de son père. Il raconte sa journée de chasse au phoque, depuis un rêve annonciateur jusqu’à sa conclusion sur la glace. À chaque étape, l’enfant s’applique à tout faire «comme son père lui a appris»: se lever tôt, partager son déjeuner, choisir ses armes avec soin, atteler les chiens, hâter la course de la meute, trouver le trou de respiration, préparer ligne et harpon, enfin patienter… Mais à l’instant fatal, quand le phoque pointe son museau, le jeune inuit ne peut pas le tuer. Un échec, une trahison du père? Non, car cet homme très sage a aussi appris à son fils que «nous sommes tantôt faibles, tantôt forts».
Il se dégage de l’album, de ses phrases simples, courtes, répétitives et de ses illustrations au style primitif (peinture sur bois où dominent des nuances de blancs venteux traversés de quelques couleurs) un sentiment de sérénité qui le rend vraiment précieux. La confiance mutuelle père/fils dont il témoigne, jusque dans l’acceptation de l’échec et des faiblesses, est magnifique. Du grand Rascal.
Corinne Chiaradia (avril 2009)
26/05/2009 | Lien permanent
Le Tour du monde en pédaroulette | album de Léna ELLKA, illustré par Peggy NILLE
Éd. Talents Hauts, coll. Des livres pour les filles ET pour les garçons | avril 2009 | 11,50 €
Alphonse part faire le tour du monde sur son vélo à petites roues. Il a installé des bouées sur les grandes roues du vélo et, sur une rivière, rencontre Éliette et son pédalo. Elle lui propose de se joindre à lui. Alphonse hésite : après tout, c’est une fille, alors «…attention : tu ne peux pas être aventurière si tu te coiffes tes cheveux toutes les cinq minutes ou si tu pleures tout le temps. Si un seul petit pois sous ton matelas t’empêche de dormir, ce n’est pas non plus la peine de venir». Eliette a bon caractère et sait bien que les princesses aux petits pois, c’est comme les princes charmants, ça n’existe que dans les contes de fées, alors elle se décide à accompagner Alphonse, malgré les préventions de ce dernier.
Les voilà donc tous deux partis pour un tour du monde en pédalo et vélo. Mais un pédalo ça ne fonctionne pas sur les routes, il faut le tirer et ça, Alphonse en a assez. La solution la plus simple serait d’installer les petites roues du vélo d’Alphonse sur le pédalo d’Eliette… Mais Alphonse ne sait pas faire de vélo sans les petites roues et c’est la gamelle assurée ! Alphonse va devoir réviser avec un peu d’humilité ses certitudes sur les filles.
Un album malicieux aux couleurs vives, qui parle des garçons et des filles mais sans en faire des tartines. Un album qui se moque, avec finesse et gentillesse, des petits garçons à qui l’on a un peu trop rabaché qu’il ne fallait pas pleurer, ni se faire commander par une fille.
Ariane Tapinos (avril 2009)
25/05/2009 | Lien permanent
Le Chat Botté | conte de Charles PERRAULT, illustré par ALBERTINE
Éd. La Joie de lire | mars 2009 | 13,50 €
À sa mort un vieux meunier ne possédait qu’un moulin, un âne et un chat, que ses trois fils se partagent. Le plus jeune hérite du chat. Qu’en faire ? Il renonce à le manger quand l’animal se met à parler et lui promet la richesse, en échange d’une paire de bottes et d’un sac. Fièrement botté, le chat a plus d’un tour dans son sac… Usant de flatterie et de ruse, l'animal s’invente un maître – le marquis de Carabas – auquel il prête des serviteurs et des propriétés : champs, château… Fin psychologue, le chat convainc le Roi de la grandeur de son maître, se débarrasse d’un ogre vaniteux et transforme le pauvre fils du meunier en séduisant marquis propre à épouser une princesse.
Ce classique des contes de Perrault est reproduit dans sa version originale et très élégamment illustré par Albertine. L’artiste n’a pas modernisé artificiellement le vieux conte, mais a mis à profit son style très personnel pour en souligner l’intemporalité. Ses images vivement colorées, où le vert et le rouge dominent, présentent une alliance de délicatesse (finesse du trait, détails précieux) et d’incongruité (corps très étirés, disproportionnés, décors décalés : la serviette fleurie du roi, la robe à faux-cul de la princesse…) qui fait toute la saveur de son travail et illustre très bien le réalisme-fantastique propre au conte. Le traitement récurrent de deux motifs déclinés à chaque page en est un bon exemple : le décor floral – herbes folles, fleurs et céréales perchées sur de très très longues tiges – semble tout droit sorti de l’imagination d’un peintre qui aurait longuement observé la nature pour mieux la distancer ; la forme oblongue du moulin surmontée d’une cocasse petite pique se retrouve elle dans le bonnet du meunier, sur les pâtisseries, la vaisselle, le carrosse ou même la poitrine de la princesse ! C’est charmant (au sens envoûtant, comme un filtre de fantaisie), drôle et tout à fait en accord avec l’imaginaire du conte.
Corinne Chiaradia (avril 2009)
18/05/2009 | Lien permanent
Oiseaux penchés et chiens tordus | album de Jens BONNKE
Expressions toutes bêtes
Traduit et adapté de l’allemand par Violette KUBLER et Christian BRUEL
Éd. Être | mars 2009 | 18,50 €
Sur le principe connu de l’illustration au pied de la lettre d’expressions populaires imagées, ce recueil-album est très abouti. Son petit plus : la «lettre» d’origine est allemande, les expressions sont toutes animalières.
Chaque expression est donnée d’abord dans sa traduction littérale et illustrée («un oiseau penché»), accompagnée de son explication («désigne un individu pas très clair, un peu louche»), puis de son équivalente française («un drôle de zèbre») et, si l’on retourne le livre, on trouve la version originale allemande (Ein schräger Vogel – So bezeichnet man einen zwielichtigen Kerl). Cela paraît un peu lourd expliqué ainsi, mais le principe est simple, lisible et fonctionne très bien. On apprécie d’autant plus l’initiative de Christian Bruel de traduire et adapter le travail de Jens Bonnke que la langue allemande est devenue un parent pauvre du système scolaire français; en conséquence (?) les albums bilingues français/allemand sont aussi rares que… les ours dans les Pyrénées.
Histoire de tordre le cou à quelques idées reçues, on remarquera que la sagesse populaire a souvent recours aux mêmes images de chaque côté du Rhin : «un éléphant dans un magasin de porcelaine», «les rats quittent le navire», «quand le chat est sorti les souris dansent»… s’emploient à Hambourg comme à Bordeaux. Bien sûr, certaines images sont légèrement décalées: quand l’Allemand «pleure avec les loups», le Français «hurle» avec les mêmes; là où nous avons «un chat dans la gorge», nos voisins ont «une grenouille» au même endroit; de même notre «chair de poule» devient «une peau d’oie» dans le froid germanique. Une dernière, pour les enfants qui fuient la salle de bains: ils font comme le chat français à sa «toilette» ou l’allemand à sa «lessive» (sommaire, dans les deux cas).
Enfin, on pendra plaisir à découvrir des expressions totalement incongrues dans notre langue : «ficeler un ours sur quelqu’un», «donner du sucre au singe» ou encore «l’oiseau penché» et le «chien tordu» du titre… À vous de jouer et de découvrir ce que ces animaux nous disent, en vous jetant sur l’album!
Corinne Chiaradia (avril 2009)
30/04/2009 | Lien permanent
Cache-cache coquin | album de Satoru ONISHI
Traduit du japonais par Jun Vercoutter
Éd. P’tit Glénat, coll. Suki-Suki | avril 2009 | 10€
Sur chaque double page, dix-huit animaux font face au lecteur (ou lui tournent le dos!). Dans un style graphique proche de celui de Taro Gomi, ces bestioles sont soit en forme de poire, soit rectangles, soit rondes. Il y a un chien, un tigre, un hippopotame, un ours, un renne, un kangourou, un lapin, un chat… Ils sont marron, orange, vert, jaune, rouge ou bleu. Page après page, les dix-huit animaux sont là, identiques ou presque. Et c’est dans ce presque que se situe l’intérêt de l’album qui s’apparente au livre-jeu plus qu’au livre d’histoire. Parce qu’à chaque page, une question est posée au lecteur: qui est caché, qui pleure, qui dort, qui montre son derrière? Les réponses sont cachées dans l’image, dans le petit détail qui distingue un animal des autres et de sa copie des pages suivantes et précédentes. C’est drôle et requiert des petits une bonne dose d’observation et de patience. Qualités dont le lecteur dépourvu (sans doute plus âgé) pourra se passer en allant consulter, à la fin du livre, les réponses aux devinettes.
Ariane Tapinos (juin 2009)
13/06/2009 | Lien permanent
Bébé Lézard, bébé bizarre | album de Hye-Sook KANG
Texte français d’Alain Serres
Éd. Rue du monde, coll. Coup de cœur d’ailleurs : La Corée | mars 2009 | 14€
Voici un bébé lézard qui a perdu sa queue et cherche à la retrouver. Il en essaie plusieurs, mais chaque fois elles appartiennent à un autre animal: lion, zèbre, chat… Chaque fois la page qu’occupe bébé lézard est plus petite que celle qui suit et c’est en tournant la page que l’on découvre le corps de l’animal qui avait prêté le bout de sa queue à bébé lézard. Et peu à peu, la page de bébé lézard grandit et sa queue aussi qui, à la fin de l’album, a entièrement repoussé.
Les images de ce livre sont très belles et très originales. Le petit lézard devenu bizarre sans son appendice et les animaux qui croisent son chemin sont dessinés sur des fond bariolés saturés de lignes, de vagues, de formes. C’est un véritable enchantement pour le regard et la découverte d’un style loin des canons habituels. Une bonne raison de suivre de près cette nouvelle collection qui présente des auteurs et illustrateurs d’ailleurs.
Ariane Tapinos (juin 2009)
16/07/2009 | Lien permanent
Yin la jalouse | album de Shen QIFENG, illustrations BOBI + BOBI
Éd. HongFei, coll. Caractères chinois, avril 2009 - 16€
Yin et Pan vivent un amour sans limite, ou plutôt dont la seule limite est l’immense jalousie de Yin. Quand Pan, malade, vient à mourir, Yin sombre dans la mélancolie. Son cousin, le peintre Huisheng, entend parler de la maladie de Yin et décide de la guérir. Il peint un beau jeune homme, qui ressemble étrangement à Pan, entouré de six jeunes femmes splendides et de magnifiques fleurs comme celle du jardin de Yin et Pan. Huisheng présente ses peintures à Yin en lui expliquant que Pan les avait beaucoup appréciées mais qu’il lui avait demandé de les conserver craignant que Yin ne les trouve pas à son goût. À la vue des peintures Yin entre dans une rage folle attisée par les explications de Huisheng sur le caractère «ordinaire» de Pan, et elle détruit toutes les fleurs de la maison. Mais ce faisant elle a quitté son lit et repris pied dans la vie.
Traduction et adaptation d’un texte chinois du XVIIIe siècle «Une peinture astucieuse fait office de bon médecin», comme nous l’expliquent judicieusement les éditeurs, Yin la jalouse s’inspire des traditions de la médecine chinoise qui considère qu’un remède est efficace s’il tient compte de la nature particulière du patient. Ici, pour guérir la belle et lui permettre de survivre à la disparition de celui qu’elle aimait, le «médecin», utilise sa jalousie pour ternir son amour et par là affaiblir la souffrance provoquée par la mort de Pan. L’idée est audacieuse et l’histoire de Yin un peu acide. Les images – des peintures où dominent des teintes de bleu – sont quant à elles d’une étrange beauté qui confère à l’album un caractère énigmatique.
Ariane Tapinos (juin 2009)
18/07/2009 | Lien permanent | Commentaires (1)
H.B. | album de Thierry LENAIN, illustré par Sophie DUTERTRE
Éd. Sarbacane | novembre 2003 - 12 €
Neuilly 1993, un homme s'introduit dans une classe de maternelle, prend en otages les enfants et leur institutrice, et menace de tout faire sauter. De ce fait divers qui a ébranlé la France il y a dix ans, Thierry Lenain tire un récit sobre et plein d'humaines questions. Erick Schmidtt, l'homme qu'on a appelé Human Bomb est mort, abattu par le GIGN, sans avoir expliqué son geste. Dans les jours qui ont suivi, toute question sur les conditions de cette mort paraissait bien peu opportune face à l'angoisse et au soulagement des parents. Avec le temps pourtant les questions demeurent: fallait-il abattre un homme endormi pour que l'apaisement succède à la colère engendrée par cet acte inhumain? Notre colère nous interdit-elle de penser? Chercher à comprendre revient-il à pardonner? Autant de questions qui sont sous-jacentes au récit de Thierry Lenain; autant de questions qui s'étendent à tant d'actions humaines et pourtant incompréhensibles.
Jamais dans son texte, l'auteur ne nous dit quoi penser. Jamais il n'oublie la souffrance et la peur des parents, la peur des enfants: certains eurent peur, d'autres non. C'est comme ça avec les enfants: c'est imprévisible. Il porte un regard sur l'événement, le questionne et interroge notre réaction face à lui. Ce récit, comme l'indique Thierry Lenain dans son avant-propos, s'adresse autant aux adultes qu'aux enfants. Et cette capacité à parler d'une seule et même voix, d'une seule et même écriture, aux uns et aux autres, n'est pas la moindre des qualités de ce petit livre. Aux enfants, il raconte un événement presque ancien, avec les mots qui en disent l'extrême actualité, des mots qui leur parlent d'eux : «H.B. attend qu'un papa vienne le chercher, comme un enfant qui aurait fait une grosse bêtise». Aux adultes, il dit la souffrance de cet homme égaré «venu mourir dans son enfance» peut-être parce que le monde des adultes lui était devenu insupportable. Aux uns et aux autres il dit que H.B. signifie Human Bomb, bombe humaine, mais aussi Human Being: être humain...
Ariane Tapinos
(première publication de l'article : décembre 2003)
01/02/2009 | Lien permanent
Julie Capable | album de Thierry LENAIN & Anne BROUILLARD (ill.)
Éd. Grasset Jeunesse | octobre 2005 - 11,90 €
Julie n'est capable de rien. Elle est maladroite, elle dépasse quand elle colorie, elle perd à la marelle… Les autres enfants, qui l'ont affublée de ce surnom cruel de «Julie capable de rien», la harcèlent constamment de leurs moqueries. Julie appelle alors sa maman, mais sa maman ne répond jamais. Un soir que les enfants, plus méchants encore qu'à leur habitude, l'ont bombardée de boules de neige, Julie s'enfuit mais ne rentre pas chez elle. Elle marche jusqu'au cimetière, jusqu'à cette Tombe Muette, anonyme, surmontée d'aucune croix. Elle s'étend sur la pierre tombale, son cœur ralentit jusqu'à s'arrêter. C'est alors que les chats du cimetière viennent se coucher sur elle, la réchauffer, la nourrir et lui parler. Les sept Chats du Cimetière connaissent Julie parce que sa maman, depuis sa Tombe Muette, leur a souvent parlé d'elle. De son amour pour elle. Julie peut enfin leur poser la question qui la hante: «Pourquoi elle a appelé la mort... Pourquoi elle n'a pas attendu d'être vieille?». Elle peut enfin commencer de comprendre que sa mère n'est pas morte par sa faute. Qu'elle n'est pas morte parce qu'elle n'aimait pas sa fille ou parce que sa fille ne l'aimait pas. Julie, qui peut alors s'aimer, ne sera plus jamais «Julie Capable de rien». Elle sera «capable de ce qu'une enfant peut faire dans sa vie d'enfant». Une enfant dont la mère repose dans une tombe sur laquelle est désormais gravé «MAMAN».
Aujourd'hui, la littérature jeunesse fourmille d'albums qui parlent, avec plus ou moins de justesse, de la mort. Pourtant, la question reste ouverte: comment parler de l'absence aux enfants? Comment leur dire que la mort fait partie de la vie quand on a nous mêmes, adultes, tant de mal à admettre cette évidence? Souvent, ces livres abordent la mort à travers la disparition des grands-parents, la maladie et la vieillesse, et c'est bien normal. Mais comment dire aux enfants que certains «appellent» la mort, comme la mère de Julie? À toutes ces questions pas de solutions magiques. Mais parfois le talent opère, comme dans cet album où texte et images se mêlent pour dire l'importance de mettre des mots là où le silence nourrit l'angoisse et l'angoisse la maladresse. Le texte de Thierry Lenain est tout en retenue et en mélancolie. Les illustrations d'Anne Brouillard sont comme des fenêtres ouvertes sur la vie, la tristesse et le sourire retrouvé de Julie. Jusqu'à la mise en page très soignée, tout est très réussi dans ce bel album sensible.
Ariane Tapinos
(première publication de l'article : mars 2006)
01/02/2009 | Lien permanent