Rechercher : Comme un poisson dans l'eau
L'Océan noir | album de William WILSON
Éd. Gallimard jeunesse, coll. Giboulées | avril 2009 | 15,90 €
Ni fiction, ni documentaire, ni album, ni roman, L’Océan noir est un livre hybride, métis comme son auteur franco-togolais, l’artiste William Wilson.
Autour de 18 «tentures appliquées»*, réalisées dans un atelier d’Abomey au Bénin, William Wilson mêle son histoire personnelle à celle qui lie depuis des siècles les Noirs aux Blancs. De l’arrivée des Blancs sur le continent africain aux guerres d’indépendances, des esclaves aux immigrés d’aujourd’hui, des anonymes aux personnages célèbres, L’Océan noir retrace l’histoire d’un métissage souvent violent mais porteur d’espoir, d’un «faisceau entrecroisé de relations (qui) a donné naissance à des merveilles et à des catastrophes» et qui «décrit ce que nous sommes et deviendra ce que nous en ferons».
Chacune des tentures est le point de départ d’un récit où se croisent l’intime, l’historique, le documentaire érudit et le témoignage. Chaque texte déploie, dans une langue parfaite, un moment de cette double rencontre entre l’auteur et sa propre histoire, entre les Noirs et les Blancs. L’ensemble forme un ouvrage passionnant et unique qui puise sa cohérence, au-delà de sa forme multiple (et même en miroir de cette forme) et de son sujet immense, dans la démarche quasi analytique de son auteur. «L’Océan noir est ma contribution aux mémoire éclatées du monde noir» écrit William Wilson. C’est aussi un livre qui rend compte du caractère fractionné (comme les tentures faites de plusieurs morceaux de tissus d’origines différentes) de l’histoire individuelle : «une étoffe mal taillée, malmenée et rapiécée de partout (…) à l’image du destin de chacun d’entre nous dans sa tentative de devenir un être humain, digne de ce nom».
C’est peu dire que L’Océan noir est un livre qui, bien qu’édité par Gallimard Jeunesse, s’adresse aux adultes comme aux adolescents. Il éblouira les uns comme les autres et tous y trouveront matière à réflexion, loin des clichés et des simplifications, dans une approche profonde et généreuse de cette histoire séculaire des Africains.
Ariane Tapinos (avril 2009)
* Ces tentures, ou toiles, sont fabriquées à partir de tissus appliqués (cousus) sur un autre.
01/05/2009 | Lien permanent
Rencontre avec CATHY ROUSSET et CLAUDE AZIZA
• Samedi 12 décembre de 17h à 19h
Découvrez l'Antiquité inattendue avec CATHY ROUSSET et CLAUDE AZIZA
Présentation du volume 1 de Murena, la célèbre BD de Dufaux & Delaby traduite en latin par nos deux invités (éd. Dargaud) ; et des deux derniers livres de Claude Aziza: Le Péplum, un mauvais genre (éd. Klincksieck 2009) et Le Guide de l'Antiquité imaginaire (éd. Belles Lettres 2008). La rencontre sera illustrée par un montage vidéo d'extraits de films inattendus et un peu loufoques… autour de l'Antiquité.
11/11/2009 | Lien permanent
A LA RECHERCHE DU PÈRE NOËL
album
de Thierry DEDIEU
Éd. Seuil Jeunesse, novembre 2015 - 18€
Dans le jardin de la famille Sorensen, un petit bonhomme de neige se met en marche sous le regard un peu surpris du rouge-gorge. Muni de son baluchon, rempli de grelots et de gâteaux, Il part à la recherche du Père Noël. La route est longue jusqu’en Laponie et les rencontres nombreuses. Petit bonhomme de neige est obligé de demander son chemin aux animaux qu’il croise et ces derniers, serviables mais malins, échangent leur aide contre un petit quelque chose. Qui un cookie, qui un grelot, qui une écharpe rouge … et bientôt, Petit bonhomme de neige n’a plus rien à offrir ni à l’ours menaçant ni au Père Noël. Heureusement, le Père Noël n’a pas besoin de recevoir pour donner…
Thierry Dedieu quant à lui, nous offre un grand album bordé de rouge et vert dans la plus pure tradition du livre de Noël.
Ses images, de grandes peintures, sont tantôt mélancoliques, tantôt pleines de la présence chaleureuse ou inquiétante des animaux qui peu à peu dépouillent ce gentil petit homme de neige. Un peu naïf, il se laisse faire mais garde en réserve sa gentillesse, ses chansons et son sourire. Peu d’auteurs illustrateurs sont capables de se renouveler autant que Thierry Dedieu qui utilise des techniques et des styles graphiques très différents d’un livre à l’autre. Il réussit ici à donner à cette histoire toute simple, un relief particulier en entrainant son lecteur dans les paysages désolés du Grand Nord, puis en resserrant son image sur l’un des personnages qui croise la route de notre petit héros de neige, dans un va-et-vient très cinématographique. Il lui donne également un petit aspect rétro et son Père Noël à la barbe fournie et au regard malicieux a l’air tout droit sorti d’une image de Norman Rockwell.
Ariane Tapinos (novembre 2015)
Retrouvez d'autres livres de Thierry Dedieu sur notre blog : Une souris verte dans l'herbe, Seuil Jeunesse, 2015 ; Va-t-en-guerre, Seuil Jeunesse, 2012 ; Le maître des estampes, Seuil Jeunesse, 2010 ;
Aagun, Seuil Jeunesse, 2009 ; Footballer, Seuil Jeunesse, 2006 ; Les rennes de Noël, Seuil Jeunesse, 2005.
27/11/2015 | Lien permanent
IMAGIER RENVERSANT
album - imagier
de MELO & Sébastien TELLESCHI (illustrations)
Éd. Talents Hauts, coll. Des livres pour les filles ET les garçons, octobre 2006 - ÉPUISÉ
Tout le monde connaît le principe de l’imagier : un mot dont le sens est donné par l’illustration qui l’accompagne. Au mot « tablier » correspond l’image d’un tablier. Mais si le-dit tablier est mis en situation – du genre : un tablier porté par un personnage en train de faire la cuisine – alors, de petites différences peuvent avoir de grandes conséquences (pour paraphraser Alice Swarzer et son essai emblématique des années MLF), et le sens s’en trouver enrichi de sous-entendus. Exemple : que le personnage soit une femme (le plus fréquent) ou un homme (encore tout-à-fait exceptionnel) n’aura bien sûr pas le même sens...
Les auteurs de cet Imagier Renversant se jouent avec malice de tous les sens et les sous-entendus de l’imagier. Chaque double page illustre un mot dans un contexte différent et avec un personnage féminin dans l’un et masculin dans l’autre. L’inusable tablier devient tablier de cuisine porté par un monsieur grisonnant à moustaches, et tablier de jardinage sur une grand-mère qui plante vaillamment ses poireaux. Et il en va ainsi des gants – de vaisselle pour lui, de motos pour elle –, du fil – de chirurgien, enfin,chirurgienne, pour elle, de couture pour lui –, des courses – au supermarché pour lui, au stade pour elle...
Avec des couleurs très vives et des illustrations très seventies, les auteurs de cet imagier renversent les symboles et les clichés pour notre plus grand amusement. Espérons queleur petit brûlot rigolo trouvera sa place dans les rayonnagesdes bibliothèques, entre deux collègues du PèreCastor !
Psst : c’est le moment de vous raconter qu’un éditeur, dont il vaut mieux taire le nom, nous a proposé récemment deux versions d’un même imagier, l’une pour les filles et l’autre pour les garçons... Avouez que la lutte pour l’égalité des sexes a encore de beaux jours devant elle !
19/02/2015 | Lien permanent
SUIVEZ LE GUIDE. PROMENADE AU JARDIN
album jeu
de PRINCESSE CAMCAM
Éd. Autrement, septembre 2014 – 14,50€
Un gros chat siamois nous guide à travers le jardin. Dans le potager, la serre, la cabane, au milieu de la nature épanouie.
Dans chaque double page de cet album tout carton, se cachent des volets à soulever pour découvrir les habitants du jardin. C’est une promenade ludique et merveilleuse au milieu d’un foisonnement de couleurs tendres où dominent les verts en camaïeu. Une promenade au délicieux goût des vacances d'antan…
Un livre jeu plein de poésie !
Ariane Tapinos (octobre 2014)
07/11/2014 | Lien permanent
FOOTBALLEUR
Album
de Thierry DEDIEU (texte & ill.)
Éd. Seuil jeunesse, coll. Les métiers de quand tu seras grand
Septembre 2006 [ÉPUISÉ]
Une bonne dose d’humour dans un monde de poncifs... on aime ! Le lapin bleu de Dedieu arbore un seyant maillot jaune orné d’un énorme 10 rouge, il sait jongler avec le ballon, se blesse, fait des lessives presque tous les jours (enfin... c’est un lapin rose qui étend le linge), fait aussi des publicités pour les shampoings et se dore la pilule dans une piscine. Le plus drôle est l’irruption de la femme, puisque quand on est footballeur « on se marie avec des blondes ». C’est très incorrect du point de vue féministe... mais il faut parfois savoir tordre les clichés avec humour.
27/06/2014 | Lien permanent
MONSIEUR LION CHEZ LE COIFFEUR
Album tout-petits
de Britta TECKENTRUP
Éd. Bayard jeunesse, février 2013
11,90 €
Monsieur Lion a la crinière en désordre. Son ami le singe prend les choses en mains : shampoing, brushing et coiffage. Voilà Monsieur Lion pourvu de couettes, de nattes, affublé d’un serre-tête, d’un petit nœud rose, teint en blond, en roux, en gris…
Un album tout carton décoiffant ! Monsieur Lion, placide, offre sa tignasse au singe et chaque page du livre l’afflige d’une nouvelle coiffure avec un dispositif astucieux qui laisse voir la même tête déconcertée du Lion. Monsieur Lion prend la pose et le singe n’en peut plus de rire. Et le lecteur avec lui !
Ariane Tapinos (été 2013)
29/07/2013 | Lien permanent
QUAND LA MORT EST VENUE
Album de Jürg SCHUBIGER
& Rotraut Susanne BERNER
Traduit de l’allemand par Marion Graf
Éd. La Joie de lire
Octobre 2012 – 13,90 €
Avant, « nos fronts n’avaient pas de rides. On ne souhaitait jamais à personne une “bonne journée” car toutes les journées étaient bonnes ». Ça c’était avant. Avant que la mort, un soir, ne vienne faire étape au village, ne trébuche devant la porte, ne s’installe dans la grange, ne mette le feu à la maison. Au matin, la maison est détruite et le petit frère couché à plat ventre au milieu des gravats.
« Depuis, quand un nouveau jour commence, nous nous souhaitons les uns les autres une bonne journée. Si quelqu’un éternue, nous lui disons : À tes souhaits ! Et quand quelqu’un s’en va, nous lui souhaitons bon voyage ».
Plus que de la mort d’un enfant et du deuil, peut-être impossible, à peine évoqués, cet album, nous parle de la valeur de la vie. Du relief que prend soudain le quotidien quand il est passé à travers le broyeur du malheur. Là où la mort s’est arrêtée, la vie douloureusement meurtrie est un bien plus précieux encore. Il faut tout le talent et la beauté presque naïve des images de Rotraut Susanne Berner pour donner à cette histoire horrible (quoi de plus insoutenable en effet que la mort d’un enfant) l’humanité qui la rend tolérable. Pour donner raison, aussi, au texte de Jürg Schubiger qui nous dit que la mort, passante indésirable mais inévitable, ne tue jamais l’espoir.
Avec cet album, comme avec beaucoup d’autres, on est loin du monde enchanté… On est dans la vie crue et cruelle. Celle que la mort traverse, celle où la douleur est un feu qui brûle (presque) tout. Celle aussi où les rivières continuent de couler, où les maisons détruites sont rebâties, où les joies succèdent aux peines.
Ariane Tapinos (novembre 2012)
15/11/2012 | Lien permanent
IL ÉTAIT UNE FOIS UNE SOURIS…
Album de Marcia BROWN
Adapté de l’américain par Catherine Bonhomme
Éd. Le Genévrier, coll. Caldecott
Mai 2012 – 16 €
Alors qu’il médite tranquillement, un ermite voit passer une souris poursuivie par un corbeau. Abandonnant un instant sa méditation, il porte secours au petit animal en mauvaise posture. Arrive un chat alléché par la souris. L’ermite, qui est aussi un peu magicien, transforme la souris en un plus gros chat. Dans la nuit, un chien s’en prend à la souris-devenue-chat, l’ermite transforme cette dernière en un grand chien. Et rebelote quand arrive un tigre affamé. La souris, désormais devenue tigre majestueux se pavane avec suffisance et envisage sérieusement de bouloter l’ermite…
… mais celui-ci ne se laisse pas faire et renvoie le tigre orgueilleux et ingrat à son état de petite souris.
L’ermite peut alors reprendre ses réflexions « sur ce qui est grand… et sur ce qui est petit… »
Savoureuse « fable indienne gravée sur bois par Marcia Brown », ce petit album est une vraie merveille. Avec ses images en deux ou trois couleurs où domine le vert, son texte court et la répétition des situations, il plaira aux plus petits comme à leurs parents.
Ariane Tapinos (juin 2012)
20/06/2012 | Lien permanent
Le Dernier Danseur de Mao | témoignage de Li CUNXIN
Traduit de l’américain par Isabelle Saint-Marti
Éd. L’École des loisirs, coll. Médium documents, mars 2010, 389 pp. - 14,80€
Plus qu’un documentaire, voici un étonnant témoignage. Celui d’un Chinois, Li Cunxin, né en1961 dans un village pauvre de la province de Shandong, qui deviendra danseur étoile aux États-Unis avant de faire sa vie en Australie où il écrira ce livre, publié une première fois en France en 2003 (éditions First).
Li est l’avant-dernier d’une famille de sept garçons. Ses parents travaillent la terre et luttent pour nourrir leurs enfants et les élever dignement. Lorsque qu’il a neuf ans, et alors que la Révolution culturelle bat son plein, Li est choisi pour intégrer l’École de danse de Madame Mao. Il y passera sept années à trimer pour forger son corps et son caractère. Devenu l’un des meilleurs élèves de son école, tant par ses talents artistiques que par son engagement politique au sein des jeunes Gardes rouges, et alors que le régime communiste, après la mort de Mao, relâche son étreinte sous l’effet de la politique de la porte ouverte de Deng Xiaoping, il est désigné pour aller promouvoir la danse chinoise aux États-Unis dans le cadre d’un échange culturel avec une école de danse de Houston. Ébranlé par les richesses et les libertés de l’Occident, et amoureux d’une jeune américaine, il passe à l’Ouest dans des conditions rocambolesques. Désormais, sa vie est du côté du «capitalisme pourri», loin des siens, de son village, de sa famille…
Disons-le d’emblée: ce ne sont pas les qualités littéraires qui font l’intérêt de ce récit… C’est plat et parfois poussif. Li Cunxin est sans doute un merveilleux danseur mais un piètre écrivain. De plus, son absence presque totale de recul par rapport à la Chine de la Révolution culturelle et aux exigences absurdes et iniques du couple Mao est parfois un rien agaçante. Tout comme le ton souvent larmoyant du narrateur: Li, sa famille, ses camarades ont souvent «le visage baigné de larmes».
Pourtant… Ce témoignage d’un destin extraordinaire est captivant. Il plonge son lecteur dans une épopée moderne qui balaye l’histoire politique de la seconde moitié du vingtième siècle. Il y a une certaine honnêteté de la part de Li à afficher pareille naïveté quant au monde qui l’entoure. À raconter son adhésion au régime maoïste et ses quelques doutes. C’est que Li est enfant quand il quitte ses parents et tout jeune adulte quand il arrive aux États-Unis. Un adulte qui ne connaît du monde que ce que ses professeurs affidiés au régime (et régulièrement sanctionnés pour avoir fait un pas de côté par rapport à l’idéal communiste) en ont laissé filtrer. En même temps, il fait preuve d’un redoutable instinct de survie en ne laissant rien paraître de ses doutes et en ne délaissant jamais la partie politique des enseignements qu’il reçoit. Peut-être aussi que l’inépuisable dévouement à sa famille et l’immense respect qu’il voue à ses parents et aux adultes qui le forment, sont un peu suspects pour le lecteur occidental mais correspondent bien aux règles qui régissent la société chinoise, communiste ou pas.
Ce témoignage est un peu un ovni, venu de Chine via l’Australie, dans la production littéraire jeunesse. Tout comme cette nouvelle collection, Médium documents, de L’École des loisirs, décidément pleine de (bonnes) surprises!
Ariane Tapinos (mai 2010)
30/06/2010 | Lien permanent