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Rechercher : comptines de miel et de pistache

LE CADEAU DE NOËL DE GASTON GRIPPEMINE

cadeau de Noël de Gaston.gifAlbum
de John BURNINGHAM
Traduit de l’anglais par Rose-Marie Vassalo
Éd. Flammarion, coll. Père Castor
Décembre 1998 – 13,50 €

Après avoir livré leurs cadeaux à tous les enfants du monde, le Père Noël et ses rennes rentrent chez eux fourbus. Le vieil homme borde ses rennes et se glisse, tout heureux, dans son lit quand… il aperçoit, au fond de son sac un cadeau oublié : le cadeau de Gaston Grippemine, le seul que ce petit garçon, dont les parents sont très pauvres,  reçoit de toute l’année. Pas question pour le Père Noël de priver Gaston de son cadeau. Courageux, il enfile son manteau par dessus son pyjama et se met en route – sans ses rennes déjà endormis – vers le Mont Briochon où vit Gaston Grippemine. Heureusement, le Père Noël va pouvoir compter sur l’aide et la générosité de ceux que son chemin va croiser. Avion, voiture, moto, skis à l’aller… cheval, trottinette, vélo, hélicoptère, patins à glace et à roulettes… au retour. Le Père Noël aura vraiment mérité de se coucher enfin et le petit Gaston s’éveillera heureux de trouver son cadeau glissé dans sa chaussette !

Comme toujours avec John Burningham, les images mélangent dessins des personnages au crayon et décors peints saturés de couleurs et de matières. Comme souvent, c’est la nuit qui l’inspire le plus et celle de Noël est magnifique avec son crépuscule orangé et son aube parée d’or avant, qu’au petit matin, le ciel et la page se couvrent d’un bleu glacé troublé de nuages floconneux.

Gaston Grippemine est à la fois une histoire accessible aux plus petits, avec ses répétitions et un conte de Noël dans la plus pure tradition, celle qui veut que la nuit de Noël, chacun donne un peu aux autres. Ce Père Noël là n’est pas un super héros mais un humain généreux et tenace qui fait passer le bonheur d’un petit garçon avant son confort.

Ariane Tapinos (novembre 2013)

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30/11/2013 | Lien permanent

Le Chemin de Sarasvati | roman de Claire UBAC

chemin sarasvati.gifÉd. L’École des loisirs | coll. Médium | mars 2010 | 290 pp. – 11€

Dès sa naissance, Isaï doit affronter la cruauté et l’intolérance. Alors que son père est parti chercher du travail à Bombay, elle vit avec sa mère chez sa famille paternelle. Sa tante, l’épouse du frère de son père, est un monstre de méchanceté et de cruauté. Persuadée qu’une fille ne vaut rien et jalouse du peu de place qu’Isaï et sa mère occupent au sein de la famille, elle n’a de cesse d’enjoindre sa belle sœur à se débarrasser d’Isaï. La mère d’Isaï tient bon jusqu’au moment où, emportée par la maladie, elle laisse sa Isaï aux mains de cette méchante femme. Les humiliations pleuvent sur la petite fille. son horrible tante lui rase même les cheveux…

Isaï décide de s'enfuir et de partir à la recherche de son père dont elle ne peut concevoir qu'il l'ait abandonnée. Déguisée en garçon (sa tête rasée lui sert finalement à quelque chose) et accompagnée de Murugan, un jeune intouchable désireux de fuir sa condition, elle entreprend ce grand voyage...

Road movie dans l'Inde moderne entre misère et splendeur, entre cruauté des uns et compassion de autres, Le Chemin de Sarasvati est un roman émouvant et sensible sur le destin de deux enfants qui se battent pour connaître une vie meilleure. Claire Ubac dresse un portrait tantôt effrayant, tantôt plein d'espoirs, qui résume bien les facettes contrastées de l'Inde des possibles.

Ariane Tapinos (mai 2010)

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30/05/2010 | Lien permanent

Le Noël de Max | album de Rosemary WELLS

noel de max.gifTraduit de l’américain par Isabelle Reinharez
Éd. L'École des Loisirs, 2000 [1987]
11 €

«Devine Max! Demain c’est Noël!» Marie la raisonnable explique à son petit frère Max que le Père Noël va descendre ce soir par la cheminé et qu’il faut vite aller se coucher car PERSONNE ne peut voir le Père Noël. Personne? Max n’y croit pas et descend en catimini pour se poster dans le salon… et alors Zoom! Devinez qui vient d’arriver?

L’autorité de Marie et la facétie de Max donnent un dialogue absolument irrésistible où Max questionne sans jamais obtenir de réponse satisfaisante, et où Marie joue les grandes personnes. À la fin bien sûr les rôles s’inversent et Max finira par reprendre à son compte le «parce que» définitif des grands pour répondre aux questions de sa grande sœur… parce qu’à certaines occasions, se sont les plus petits qui ont raison et les grands qui n’y comprennent rien!

Nathalie Ventax
(décembre 2010)

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09/12/2010 | Lien permanent

Fleurs de dragon | roman de Jérôme NOIREZ

Fleurs de dragon.gifÉd. Gulf Stream, coll. Courants noirs
mars 2008, 285 pages - 13,50 €

Au Japon, au milieu du XVe siècle, Ryôsaku, officier de police du Shogunat, est chargé de mener l’enquête sur une série d’assassinats mystérieux, dont toutes les victimes ont été retrouvées avec dans la bouche un extrait du chapitre 25 du Sûtra du Lotus. Flanqué de trois adolescents – dont la peine de prison pour faits de délinquance a été commuée en mission de renfort et protection auprès de Ryôsaku en vertu de leur extraction noble – l’enquêteur non armé (il ne porte qu’un petit maillet avec lequel il se frappe le crâne pour activer sa réflexion et… celle de ses apprentis samouraïs) se lance sur les routes à la poursuite du coupable. Quittant Kyoto pour l’est et le nord du Honshu, Ryôsaku le samouraï désarmé, Kaoru l’infatigable coureur de jupons, Keiji l’as du sabre et Sôzô le joueur de luth forment une curieuse et sympathique compagnie.

Bien que la traque soit émaillée de nombreux dangers et péripéties, Jérôme Noirez conduit ses personnages au rythme un peu lent des chevaux des quatre protagonistes et c’est ce qui donne tout son charme – oriental – à cette aventure nippone. La malice y domine dans le ton de l’auteur, comme dans les relations entre les personnages. Le mystère est, en partie, éclairci à la fin du roman, mais ce sont surtout les trois adolescents qui ont gagné en épaisseur au fil des pages. On quitte à regret les chemins du Japon du Moyen Âge avec, cependant, l’espoir, comme le laisse entrevoir la solution partielle de l’énigme, de retrouver Ryôsaku et ses acolytes dans de nouvelles aventures.
Ariane Tapinos
(première publication: août 2008)

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17/03/2011 | Lien permanent

Notes de Hiroshima | essai de Kenzaburô Ôé

Notes de Hiroshima.gifTraduit du japonais par Dominique Palmé
Éd. Gallimard, coll. Arcades
[1965] septembre 1996, 230 pp. 13,72 €

Prix Nobel de littérature en 1994, Kenzaburô Oé n’est encore qu’un jeune romancier de vingt-huit ans quand il entreprend en 1963 ces Notes de Hiroshima. Promis à une belle carrière (ses premiers écrits, notamment Gibier d’élevage, ont rencontré le succès), il n’imagine pas alors à quel point ses voyages à Hiroshima seront déterminants pour son avenir et sa façon de concevoir l’écriture, le rôle de l’écrivain, la dignité humaine et la vie tout simplement. Alors qu’aujourd’hui les malheurs, les guerres et les morts se succèdent dans les médias de manière presque «anodine» (sans conséquences sur notre intimité), ce livre fait d’humilité, de compassion et d’immersion de l’écrivain dans le vécu et la parole des victimes est bouleversant.

Écrits à l’origine pour un journal japonais, ces reportages sont un précieux témoignage sur la perception des bombardements atomiques et de leurs survivants (les hibakusha) vingt ans après. Sans écrire un documentaire (Ôé assume pleinement sa subjectivité), l’auteur délivre des informations essentielles sur les souffrances physiques et psychologiques endurées par les rescapés. Souffrances qui débutèrent dans le silence: le Code de la presse instauré en 1945 par MacArthur imposait un embargo sur la parole des victimes et jusqu’en 1952 la censure interdit toute évocation des bombardements par l’écrit, l’image ou la parole. Ceci n’étant que l’un des aspects les plus frappants d’une ségrégation (renvoi dans les marges misérables de la société) vécue et assumée dans la honte. L’ironie (?) de cette époque étant que ces mêmes victimes furent très rapidement instrumentalisées par les différents mouvements pour la paix et l’abolition des bombes A et H. Face à l’enlisement des mouvement pacifistes «officiels» et à l’indifférence feinte du gouvernement japonais, Ôé dresse un parallèle cinglant avec les batailles menées au jour le jour, à Hiroshima même, par quelques hommes et femmes d’exception, engagés aux côtés des hibakusha et souvent eux-mêmes irradiés.

Cet essai, achevé en 1965, a été réédité en 1995 à l’occasion du cinquantenaire des événements. À cette occasion, Ôé y adjoignit une magnifique préface qui est toujours d’une brûlante actualité. Ce n’est évidemment pas un texte «jeunesse». Il peut néanmoins concerner (interpeller) les adolescents contemporains qui grandissent dans une société où la terreur nucléaire a été étonnamment euphémisée…

Corinne Chiaradia

(première publication de l'article: juillet 2005)

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20/03/2011 | Lien permanent

Les Orphelines | pièce de théâtre de Marion AUBERT

Orphelines.jpgÉd. Actes Sud Papiers, coll. Heyoka Jeunesse | nov. 2009 - 10€

«MONSIEUR
(au public)
Il y a des pays, lorsqu’une petite fille vient au monde, les mamans sont tout étonnées. Il y a des pays, lorsqu’un petit garçon vient au monde, les papas courent dans la rue. Ils achètent du champagne rosé. Ils font cuire une dinde. Il y a des pays, lorsqu’un petit garçon vient au monde, on tue le veau gras. On pend partout des lampions. Des guirlandes. Les parents sont tellement heureux. Ils dansent. Ils font les fous. Ils remercient Dieu. Les mamans sont fières de leurs petits garçon. C’est une grâce d’avoir un garçon dans certains pays. Les garçons sont tellement précieux. Il y a des pays, lorsqu’une petite fille naît, c’est un malheur. La ville devient toute grise. Le cœur de la maman tombe. Le papa est très en colère contre la maman parce qu’elle ne sait faire que des filles. Vous imaginez, vous? C’est un peu comme si c’était un monstre, une petite fille, dans ces pays-là. Il y a des pays, lorsqu’une petite fille vient au monde, on la tue. On ne veut pas d’elle. Le village ne veut pas d’une petit fille pareille.
(À Violaine:)
“Moi, je suis là pour mener une enquête sur les petites filles disparues”, je dis comme ça.
»

«Il y a des pays, lorsqu’une petite fille vient au monde, on la tue»… Un grand écrivain, Monsieur, mène une enquête sur ces petites filles disparues, celles qui sont tuées à la naissance. Il est fait prisonnier dans un monde imaginaire, par des fillettes menées par Violaine. Auprès d’elles, il va apprendre la dure vie de ces enfants et des femmes qui sont leurs mères.
Avec trois personnages et quelques marionnettes, Marion Aubert nous entraîne dans un univers entre réalité et cauchemar, dans des limbes où vivent ces enfants non-nées ou tuées à la naissance. Avec ce procédé, elle réussit à parler de ce – de celles –  qui n’existe(nt) pas. En creux, elle dit la violence et la haine qui mènent à ces crimes répétés, renouvelés dans l’indifférence quasi-générale. Ne serait cet écrivain, ce Monsieur, qui s’est donné la tâche d’enquêter sur ce crime silencieux, personne ne parlerait de ces absentes. En rendant une voix à ces petites filles, incarnées par des marionnettes, elle trouve le moyen de s’adresser à de jeunes enfants et de leur dire des choses graves, des choses d’adultes qui les concernent pourtant. Elle leur parle d’amour et de haine, de désespoir et peut-être un peu d’espoir aussi.

L’écriture de Marion Aubert a un ton particulier, une musique fine et délicate où se mêlent humour et gravité dans une langue ciselée, précise, riche. C’est un régal d’intelligence et un bonheur de lecture. Il faut se plonger dans cet univers un peu baroque et décalé qui dit mieux le monde tel qu’il est que beaucoup de textes plus collés au réel. Il faut lire à voix haute (ou, encore mieux, aller au théâtre*) ce texte splendide qui parle aux enfants en empruntant leurs mots, avec cet mélange de naïveté et de lucidité qui les caractérise. Il faut écouter le Diablon et la Diablonne présenter l’histoire de Violaine et de ses petites amies et savourer leur dernier dialogue, en forme d’épilogue:

«La Diablonne
Est-ce que la pâte à petite fille est moins bonne?
Le Diablon
Moi, je me demande s’il y a un défaut dans le moule à petites filles.
La Diablonne
Moi, je me demande si le moule à petite fille c’est un moule à petit garçon cassé.
Le Diablon
Moi, je dis: “Non, non. Il y a deux moules différents
”»

Ariane Tapinos (février 2010)

* À Alès, les 7 & 8 avril 2010 et à Rouen les 20, 21 & 22 avril 2010, mise en scène Johanny Bert
Spectacle coproduit par La Grande Ourse - Scène Conventionnée Jeunes Publics (Villeneuve-Les-Maguelone)

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08/03/2010 | Lien permanent

Passeuse de rêves | roman de Lois LOWRY

Passeuse de rêves.jpgTraduit de l’américain par Frédérique Pressmann
Éd. L’École des loisirs, coll. Médium | mars 2010 | 165 pp. - 10€

Et si nos rêves nous étaient offerts par de minuscules créatures, des «passeurs de rêves» qui, tels des araignées, tisseraient les fils de nos souvenirs, récoltés autour de nous, pour en faire des songes doux et apaisants? Et si nos cauchemars nous étaient imposés par ceux qui, parmi ces créatures auraient, à trop fréquenter nos souvenirs douloureux, basculés du côté obscur (on les appelle alors les «saboteurs»)? Petite est une passeuse de rêves en apprentissage. Elle visite, chaque nuit, une vieille femme qui vit seule, avec son vieux chien, entourée du souvenir de celui qu’elle a aimé dans sa jeunesse et qui est mort à la guerre. Un jour, les services sociaux lui confient un petit garçon, John, et Petite doit redoubler d’ardeur pour lui offrir des rêves apaisants et opposer toute sa douceur à la malveillance des saboteurs.

Avec cette histoire, tissée dans une écriture poétique aux frontières du fantastique, Lois Lowry nous raconte la difficile reconstruction d’un petit garçon délaissé par sa mère et maltraité par son père. Elle nous fait entrevoir un monde, aux côtés du nôtre, où luttent nos souvenirs heureux et douloureux, pour nous aider à grandir et à vivre tout simplement.

Ariane Tapinos (février 2010)

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22/02/2010 | Lien permanent

Des millions de flocons | album de Lerryn KORDA

des millions flocons.gifÉd. Tourbillon | octobre 2009 | 11,95€

Un vrai livre, ravissant, pour les tout-petits. Un album cartonné aux pages pelliculées dont les illustrations séduisent d'emblée par leur simplicité raffinée, leur grande expressivité et leurs couleurs gaies et lumineuses.

À remarquer: la présence d'un vrai texte, bien construit, à l'intention des petits qui ajoute à la qualité de cet ouvrage.

Une histoire tendre, d'amitié, où les jeunes enfants se retrouveront avec bonheur dans les jeux de neige des quatre personnages de l'album.

Un petit bonheur de l'hiver !

Josuan (déc. 2009)

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05/01/2010 | Lien permanent

Les Enfant sauvages | pièce de Timothée de FOMBELLE

Affiche 2.jpg«La rencontre avec Timothée de Fombelle est apparue comme une évidence puisqu’il s’agissait d’écrire une histoire sur le thème des enfants sauvages, mettant en confrontation le mythe et la réalité. Ce point de vue dramaturgique n’avait pas trouvé d’existence dans la littérature jeunesse contemporaine. La commande d’écriture devenait essentielle.
Mais plutôt qu’une simple commande d’un texte, l’idée même de compagnonnage annonçait une étroite complicité tout le long de la création suscitant des allers-retours entre l’auteur, la metteur en scène et l’équipe artistique. Cette dimension nouvelle a permis d’engager l’écriture dans un processus de travail partagé laissant du temps et de l’espace. Elle facilite la réalisation d’un projet singulier en parfaite adéquation avec les univers de chacun. La création Les Enfants sauvages s’invente entre mythe et réalité.
»
Betty Heurtebise, metteur en scène, compagnie La petite fabrique.

Les enfants sauvages
A voir Aux Colonnes les 17 et 18 février à 19h à Blanquefort.
et au TnBA du 4 au 7 mai à Bordeaux
En savoir plus [ici]

Et aussi : lecture par Timothée de Fombelle, de son texte, Le phare, à la médiathèque Assia Djebar, mardi 16 février à 20h30, Blanquefort.

… et enfin à Comptines, mercredi 17 février, rencontre avec Timothée de Fombelle et la compagnie La petite fabrique.

Entretien
avec Timothée de Fombelle

Quel a été ton rapport à la commande dans ce travail d'écriture?
Timothée de Fombelle: Le plaisir de la commande, c'est d'entrer dans le désir des autres. Un  thème, des talents différents, des envies différentes… On se retrouve à jeter des ponts, à rendre les contraintes les plus fécondes possible. Ici, la commande était dans un titre qui m'était donné. Le collectif avait finalement de l'avance sur moi, puisqu'ils y pensaient depuis un certain temps, mais j'arrivais avec peut-être une fraîcheur nécessaire. Mon but était surtout de laisser beaucoup d'espace autour de mes mots pour que chacun (mise en scène, image, son, scénographie, musique, jeu des acteurs) puisse y glisser une liberté au moins égale à la mienne. Le deuxième temps est celui de la discussion, du débat, de l'expérimentation autour de mon texte. On le met à l'épreuve, on le met en pièces. C'est passionnant. On réoriente mes mots comme on le ferait d'un comédien ou d'un projecteur. «Plus à gauche! Moins fort!» Il faut alors trouver l'équilibre entre l'écoute et une vigilance sur la fidélité à ce qui fait mon écriture. Mais le plus important repose sur la confiance.

– Quelle a été ton entrée concernant cet «acte civilisateur», incarné notamment par Cazard?
Bien sûr, il y a une grande richesse des écrits, des films ou des pièces sur le sujet. Ce sont autant d'entrées que j'aurais pu emprunter. Notre pièce Les Enfants sauvages est comme une «variation sur un thème». Elle ne se veut ni la synthèse, ni même notre réponse à cette question d'une «rééducation» des enfants qui ont grandi à l'état sauvage. Comme d'habitude quand je travaille sur un sujet qui a une réalité historique ou clinique, ma démarche a donc été de me documenter, puis de tout oublier. Très vite, je dois mettre en premier l'imaginaire. En fait, il suffit de mettre en présence l'enfant sauvage et l'homme civilisé, puis de regarder ce qu'il se passe.

– Comment as tu abordé la question du langage dans le dessin de ces deux enfants sauvages?
L'idée était que le langage des enfants sauvages serait forcément une création. Je voulais franchir le mur de leur silence. Il fallait se mettre dans la peau d'une sorte de traducteur. Traduire en mots ce que les personnages ne devraient pas pouvoir formuler. On en arrive à une espèce de sous-titrage poétique de leurs envies, de leurs peurs. Leur langage se distingue forcément des codes de la civilisation dans laquelle ils sont plongés. Ce que je remarque, c'est que ce travail du langage est finalement toujours présent dans l'écriture d'une pièce. La parole théâtrale est toujours une succession de traductions.
Propos recueillis par Ingrid Bertol.

L’écriture collective - Le travail à la table
Dans la construction d'une création théâtrale, il y a une étape et que l'on nomme «le travail à la table» et qui correspond à un travail de réflexion dramaturgique, dans lequel en général est envisagé le rapport du texte au jeu d'acteur.
Pour Les Enfants sauvages, les lectures «à la table» ont permis de réaliser une écriture collective autour du texte.
Il s'agit d'adapter, en lien avec l'auteur, l'écriture au fur et à mesure des rencontres avec l'ensemble de l'équipe, pour aboutir à une histoire qui s'appuie sur tous les éléments de la mise en scène (projection vidéo, scénographie, jeu des acteurs…).
Dans cette écriture progressive les mots sont repris, malaxés; le texte devient une matière qui se déploie au fil des discussions, des lectures et des mises en espace.
Les personnages ont ainsi suivi une évolution certaine qui leur permet, par leur complexité et ambivalences, de ne pas être réduits à leur archétype.
Entre réaliste et onirisme, cette histoire est celle d'un mystère, qui se dévoile ici par le lien entre un frère et une sœur; ce lien est brisé par un personnage, celui de l'instituteur Cazard qui incarne la figure « civilisatrice ».

Les Enfants sauvages, extraits.
Deux enfants vivaient dans la forêt blanche. Ils avaient grandi là, frère et sœur. Ils ne connaissaient pas le reste du monde et le monde ne les connaissait pas. Deux enfants sauvages vivaient seuls dans la forêt blanche. Ils parlaient un langage que seuls ils comprenaient…

La sœur
Chant incantatoire après la capture de son frère
ELLE: […] Attends-moi. Ils auront peur. Ils verront les arbres plier sur eux. Ils seront enfermés dans dix saisons de neige. Le vent, les ouragans d’insectes. Ils verront ce monde se jeter sur eux. Ils se cacheront. Je suis là. Ils seront dans la boue de leurs larmes. Ici leur cri de peur fera bouger les arbres. Il n’y aura plus de carrés de lumières. Ils se seront couverts de nuit, de feuilles mortes, de branches. Je veux être leur piège. Je viendrai avec la pluie. Je viendrai avec les bêtes, les oiseaux, la neige. Je me jetterai sur eux avec les tempêtes. Attends-moi. Enlève tes larmes pour que je te reconnaisse quand je viendrai.

Solitude
ELLE: Tu m'oublies. Je t'ai vu debout, à côté de lui faire des traces blanches sur le mur noir avec tes doigts. Moi aussi je veux être là, faire des traces blanches avec mes doigts. Ici rien ne change. Je reste la même. Mais toi… Toi, tu as changé. Je ne te reconnais pas toujours. Tu tiens les choses de leur monde dans tes mains. Tu fais bouger les lumières. J'ai envie de de cela. Faire comme toi…

CAZARD: […] La chasse! Je propose la chasse. Pour que cette errance s’arrête, pour que cesse la violence de la clandestinité, pour que cette enfant puisse rejoindre les vôtres sur les bancs de l’école, il faut la trouver et la capturer. Il faut repêcher cette petite créature pour la rendre à l’enfance et à la civilisation. Demain, avant le coucher du soleil, nous serons quarante à l’attendre dans les bouleaux de la lisière. Je compte sur vous.

Plus tard…
CAZARD: L’hiver est venu. Il fait un froid de loup. J'en avais oublié le petit sauvage dans son coin. Les gens s’enferment pour boire du thé et raconter des histoires entre eux. On ne me parle plus. On parle de moi. Je perds tout espoir. L’enfant demeure plus sauvage et plus menaçant qu’un sanglier blessé. J'ai commis des erreurs.

Le frère
LUI: Je veux partir de là. Viens me chercher. Ils m’ont attrapé. Où es-tu? Viens. Viens. Je t'avais prévenue. je veux tenir tes mains. Je veux tenir tes mains. Quand je me cache les yeux, je suis un peu tranquille, j’ai moins peur. Celui-là, je ne sais pas ce qu’il veut de moi. Je voudrais que tu sois avec moi. Quelque chose me fait mal dans moi. Quelque chose me fait si mal. Tu ne viendras plus?


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19/01/2010 | Lien permanent

De chaque côté des cimes | roman de Claire MAZARD

9782020987783-1.jpgéd. Seuil jeunesse, coll. Karactère(s), mars 2009, 184 pp. - 9€

Dahoé et Namkha vivent au Zanskar «le Petit Tibet», niché en plein cœur de l’Himalaya, à plus de 3500 mètres d’altitude. Dans l’immensité himalayenne, leur univers est clos, entouré de hautes montagnes, isolé du reste de l’Inde plusieurs mois par an. Dahoé et Namkha ont le même âge, 14 ans au début du récit, et sont les meilleures amies du monde. Leur vie est simple et rude. «Notre vie, dit Dahoé, c’est notre éternelle goncha (manteau de laine) élimée… Ce sont nos lèvres gercées, nos mains gelées, notre corps frigorifié… C’est l’hiver rigoureux qui dure neuf longs mois et nous oblige à rester enfermés pendant des semaines. C’est l’été, aride et court, le soleil brûlant qui nous abîme les yeux…» Leur vie est identique, mais leurs aspirations, peu à peu divergent. Quand Mamkha est mariée, sans avoir jamais rencontré son futur époux, ni avoir eu son mot à dire sur ce mariage, Dahoé continue de regarder au-delà des cimes et de s’interroger sur le monde qu’elles cachent.

Depuis toujours Dahoé se demande ce qu’il y a de l’autre côté des montagnes qui sont son horizon. À quoi ressemblent les paysages, comment on y vit. Le mariage –et l’enlèvement qui s’en suit– de Mamkha, va achever de la convaincre qu’elle veut une autre vie, un horizon plus vaste. Et surtout, surtout, pas de mari connu ou inconnu. Elle veut apprendre et découvrir le monde. C’est grâce à sa tante et à son oncle, tous deux religieux bouddhistes, qu’elle va quitter sa vallée et rejoindre, après un éprouvant voyage –le tchadar–, un couvent de Dharamsala, où s’achève le récit et commence sa nouvelle vie.

Claire Mazard a su trouver le ton, le rythme, pour écrire cette histoire des hauts sommets, d’une amitié d’enfance qui fait face à la vie qui passe et aux trajectoires qui s’éloignent. Elle nous fait partager la tendresse qu’elle a pour ses personnages et le respect que lui inspire leur courage dans un monde où l’affection des siens ne parvient pas toujours à compenser la dureté de la nature et de l’environnement. Elle raconte, tout en délicatesse, cet univers comme figé dans le temps et, sans porter de jugements, elle en dessine les limites, comme les montagnes qui entourent le Zanskar. Elle réussit aussi à faire de cette histoire qui se déroule dans un endroit si reculé, si lointain, si différent du nôtre, une histoire universelle de deux jeunes filles qui apprennent et grandissent. Une histoire qui touche juste.

Ariane Tapinos (mai 2009)

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